Critiques

CRITIQUE- Opéra de Montréal- De fougues et d'émotions pour Nelligan

CRITIQUE- Opéra de Montréal- De fougues et d'émotions pour Nelligan

Marc Hervieux (Nelligan vieux) et Dominic Côté (Nelligan jeune)
Nelligan d'André Gagnon et Michel Tremblay
Théâtre du Nouveau monde, 2020

Le Théâtre du Nouveau Monde semble s’être épris de l’opéra à en juger par la programmation des dernières saisons. Rappelons que l’an dernier avait été présenté Le Mystère Carmen, un spectacle musical d’Eric Emmanuel-Schmitt qui laissait une belle part à la musique de Bizet qu’interprétait Marie-Josée Lord. Cette année, c’est un opéra complet qu’a programmé Lorraine Pintal.

Le nœud du drame de l’opéra de Gagnon et Tremblay réside dans la décision de David Nelligan, le père du poète, de soustraire son fils à sa vocation littéraire. L’œuvre revient sur cet épisode de la vie de Nelligan en plaçant face-à-face un Nelligan vieillissant (Marc Hervieux) interné dans un hôpital psychiatrique et un Nelligan jeune (Dominique Côté). Le duo formé par ces deux chanteurs - qui avaient déjà incarnés ces personnages en 2010 – est sans contredit une des grandes forces de cette production. Dominique Côté sait donner toute la fougue et l’impétuosité que demande le jeune Nelligan, caractérisé par une soif de vivre et d’écrire suscitant les plus vives réactions. L’interprétation du baryton, et plus particulièrement dans l’air « Tout me fait peur », est tout à fait touchante et communique au public toute la complexité des émotions qui sont vécues par le personnage. La qualité tant de sa prestation vocale que de son jeu en font le centre d’attention de cette production.

Tout le contraire du jeune Nelligan, le personnage de Nelligan âgé, tenu par Marc Hervieux, était lui aussi tout en nuance. Véritable antithèse de son alter ego adolescent, le personnage d’Hervieux était apathique, complètement désincarné, absent à lui-même. Il a toutefois la force de se rappeler sa jeunesse qui resurgit sous ses yeux, sur la scène, bien qu’il en reste le spectateur. Cette distinction des rôles entre le jeune et le vieux Nelligan, qui est au demeurant très typée, n’est peut-être pas la plus grande qualité du livret de Michel Tremblay. Il faut toutefois reconnaître qu’elle a été brillamment interprétée par Marc Hervieux et Dominique Côté.

La distribution est complétée par quelques excellentes performances, à commencer par celle de Kathleen Fortin qui jouait le rôle d’Émilie Hudon, la mère de Nelligan. Tous les airs qui lui sont dévolus sont rendus avec une émotion toujours juste et bien équilibrée, et la voix est sans faille. Le père sévère et fier qu’incarne Frayne McCarthy est une autre des belles performances qu’offre cette production. Des amis de Nelligan, Jean-François Poulin, qui joue Charles Gill, se démarque également, davantage par sa voix que par son jeu. Cette dimension fait cependant la force d’Isabeaux Proulx Lemire qui campe un Arthur de Bussières tantôt amusant, tantôt désabusé, mais toujours profondément ancré dans la réalité.

D’autres personnages passent dans l’œuvre de Gagnon et Tremblay, mais leur présence est parfois si secondaire qu’il apparaît justifié de douter de leur nécessité. Les moments où ils prennent la parole nous paraissent être des passages dont l’œuvre pourrait faire l’économie sans compromettre la cohérence de celle-ci. Cela permettrait en outre de resserrer l’action autour de la tension existant au sein du milieu familial. Par exemple, les sœurs de Nelligan sont représentées dans l’opéra, mais elles n’ont au final qu’un rôle très accessoire dans l’œuvre. C’est dommage, puisque Laetitia Isambert (Eva Nelligan) a offert une prestation digne de mention ; nous aurions aimé l’entendre davantage.

La production est servie par de très beaux costumes de Suzanne Harel et des décors de Jean Bard qui ajoutent juste ce qu’il faut pour comprendre le contexte dans lequel s’inscrit le récit. La mise en scène de Normand Chouinard, complétée par des éclairages de Claude Accolas est cependant un peu statique. Il faut dire que certains airs sont très longs et pour le coup, arrêter l’action le temps de certains airs n’aide pas à maintenir le dynamisme de la production. Si pour les airs de Kathleen Fortin (Émilie Hudon), ces arrêts sont les bienvenus, compte tenu de la charge émotive qu’elle parvient à transmettre au public, l’effet est nettement moins réussi pour les airs attribués à Jean Maheux (le Père Eugène Seers) et à Linda Sorgini (Françoise).


Dominic Côté (Nelligan jeune)
Nelligan d'André Gagnon et Michel Tremblay
Théâtre du Nouveau monde, 2020

L’opéra est donné dans la version adaptée pour deux pianos et violoncelle qui a été commandée à Anthony Rosankovic par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal en 2010 (pour plus de détails, voir la Rétrospective : Œuvre consacrée à Nelligan dans le no 22). Il va sans dire que cette version à l’instrumentation réduite est des plus appropriée pour la taille de la salle et qu’elle est dirigée avec brio par nulle autre qu’Esther Gonthier, accompagnée au piano en alternance par Rosalie Asselin et Marie-Ève Scarfone, et au violoncelle par Carla Antoun.

Nelligan est somme toute une belle réussite pour le Théâtre du Nouveau Monde qui doit continuer cette belle entreprise de faire rencontrer le théâtre et l’opéra sur sa scène, dont la force réside dans l’intimité qu’elle créé entre le public, les artistes et la musique.

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Nelligan opéra d’André Gagnon sur un livret de Michel Tremblay
Production : Théâtre du Nouveau Monde
Théâtre du Nouveau Monde, février 2020

INT : Marc Hervieux (Nelligan agé), Dominique Côté (Nelligan jeune), Kathleen Fortin (Émilie Hudon), Frayne McCarthy (David Nelligan), Laetitia Isambert (Eva Nelligan), Nathalie Doumar (Gertrude Nelligan) Jean-François Poulin (Charles Gill), Isabeaux Proulx Lemire (Arthur de Bussières), Linda Sorgini (Françoise), Jean Maheux (le Père Eugène Seers)
MES : Normand Chouinard
DM : Esther GonthierINST : Carla Antoun (violoncelle)
PA : Esther Gonthier, Rosalie Asselin, Marie-Ève Scarfone  

Production
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