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CRITIQUE- Orchestre métropolitain- Hétu Grandeur nature

CRITIQUE- Orchestre métropolitain- Hétu Grandeur nature

Choeur de l'Orchestre métropolitain


C’est un programme audacieux que présentait l’Orchestre métropolitain le 7 février dernier à la Maison symphonique, sous le titre Mozart grandeur nature. Le Mozart en question – effectivement d’une grande ampleur – est la Messe en do mineur, qui occupait entièrement la deuxième partie du concert. En première partie, l’Orchestre a donné la non moins ample Symphonie no 5 du compositeur québécois Jacques Hétu (1938-2010), dont soulignait le dixième anniversaire du décès (survenu le 9 février 2010, dix ans presque jour pour jour avant le concert) en présence de la gouverneure générale du Canada, Julie Payette. Fait remarquable, cette dernière n’était pas assise dans la salle, mais debout sur la scène pour la totalité du concert : elle chantait en effet la partie de soprano au sein du chœur.  

Le titre du concert, centré sur Mozart (afin, sans doute, d’attirer un plus large public), laissait présager une soirée dans laquelle l’œuvre de Hétu jouerait le rôle de « première partie » au sein d’un programme essentiellement classique – une structure somme toute assez commune au concert symphonique. Mais dans les faits, c’est à une toute autre expérience que nous conviait l’Orchestre métropolitain : la Symphonie no 5 du compositeur québécois prenait en effet le devant de la scène, non seulement en termes de durée (l’œuvre fait près de 50 minutes, ce qui n’est pas significativement plus court que la messe censée constituer le centre de gravité du concert), mais aussi – surtout – en termes d’intensité.  

La dernière symphonie de Hétu (composée en 2009) est en effet une œuvre d’une très grande puissance évocatrice, surtout lorsqu’elle est portée par une interprétation aussi inspirée que celle que nous en ont offerte l’Orchestre et le Chœur métropolitain sous la direction de Yannick Nézet-Séguin. À la fois programmatique et autobiographique, l’œuvre évoque un double combat : celui du compositeur contre la maladie pendant la dernière année de sa vie, et celui des Parisiens pour se libérer de l’envahisseur allemand pendant la Seconde Guerre mondiale. Très émouvants et hauts en couleurs, les quatre mouvements de la symphonie étaient particulièrement bien mis en valeur par une direction à la fois subtile et dynamique – du lyrisme du « Prologue » à la puissante énergie de « L’invasion », puis à la douceur presque oppressante de « L’occupation », le tout culminant dans le quatrième mouvement, « Liberté », où le chœur livre une prenante interprétation du poème éponyme de Paul Éluard, sur une musique qui semble venue d’un autre monde.  

Après une expérience esthétique aussi marquante, la Messe en do mineur (qui est pourtant l’un des grands favoris du répertoire mozartien) apparaissait étrangement pâlie. Cet effet d’anti-climax était encore renforcé par certains tempi un peu lents, en particulier dans le « Kyrie » initial qu’on aurait souhaité plus allant, ainsi que dans le « Et incarnatus est », où le dialogue presque opératique entre la soprano solo et un petit groupe de vents solistes aurait ressorti davantage dans un tempo plus vif. Cela dit, des moments de grand dynamisme donnaient également du souffle à l’interprétation, en particulier dans le « Gloria » et le « Sanctus », ainsi que dans le « Qui tollis » où les contrastes étaient extrêmement réussis. Les quatre solistes, Carolyn Sampson, Julie Boulianne, Jonas Hacker et Philippe Sly, formaient un quatuor particulièrement bien équilibré, qu’on regrettait de n’entendre réuni que dans le « Benedictus » – on ne peut ici que rêver des ensembles que Mozart aurait pu inclure dans l’« Agnus dei » s’il avait terminé la messe.  


Carolyn Sampson

Dans les deux œuvres, le chœur a livré une performance magnifique, dont le sommet demeure sans contredit l’inoubliable dernier mouvement de la Symphonie no 5 de Hétu. Il importe de souligner ici le travail des chefs de chœur, François A. Ouimet (qui fait par ailleurs partie du pupitre des ténors) et Pierre Tourville, qui ont visiblement porté une grande attention à la diction et à l’unité sonore, un défi de taille s’agissant d’un ensemble aussi important (près de 120 choristes).  

En définitive, ce concert aurait presque pu s’appeler Hétu grandeur nature, tant c’est la symphonie, davantage que la messe, qui en ressortait de façon marquante; et c’est un grand mérite de Yannick Nézet-Séguin et de l’Orchestre métropolitain de l’avoir mise à l’honneur dans le cadre d’un programme à la fois audacieux et rassembleur.

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Mozart grandeur nature, oeuvres de Jacques Hétu, Symphonie no 5 pour chœur et orchestre op. 81 et Wolfgang Amadeus Mozart, Grande messe en do mineur pour solistes, chœur et orchestre K. 427/417a.

Maison symphonique de Montréal, 7 février 2020.  

INT : Carolyn Sampson (soprano), Julie Boulianne (mezzo-soprano), Jonas Hacker (ténor), Philippe Sly (baryton-basse). ORC : Orchestre métropolitain
CH0 : Chœur métropolitain
DM : Yannick Nézet-Séguin
CC: François A. Ouimet et Pierre Tourville

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