Century Song : Sans mots, il faut exister par tous les autres moyens possibles
(Photo : Neema Bickersteth, @John Lauener)
Misant sur des œuvres sans paroles, agencées dans l’ordre chronologique de leur composition, Century Song nous invite à suivre l’artiste sur les traces de la mémoire des femmes noires en Amérique dans un spectacle interdisciplinaire des plus réussi.
Comme il n’y a pas de texte ni de synopsis, chacun est libre d’interpréter l’œuvre selon sa perception. Il n’en demeure que la juxtaposition des images de la projection, de la musique et de l’émotion transmise par la chanteuse évoque certainement une des parties longtemps passée sous silence de l’histoire des Amériques. En tant que femme afro-américaine, Neema Bickersteth voulait interroger son rapport à la musique classique occidentale. Comment pouvait-elle, en tant que personne noire, connecter personnellement avec cette forme d’art ? Century Song est donc une exploration de ce rapport identitaire complexe que l’artiste partage avec le public dans une ambiance intimiste.
Bien que dans la première œuvre, Vocalise de Rachmaninoff, les langages scéniques ne semblaient pas s’accorder, le décalage s’est estompé pour laisser place à une fusion qui a culminé dans A Flower de John Cage. L’effet de désharmonie généré par ce procédé artistique créait une courbe narrative qui se superposait au parcours historique que l’œuvre dessinait. Le corps et la voix retrouvaient ainsi un équilibre qui venait apaiser la tension présente au début. La dernière pièce vocale, commandée à Reza Jacobs expressément pour Century Song et intitulée Vocalise for Neema, dégageait une impression d’émancipation et de paix intérieure. Lorsque les premiers mouvements de la partition chorégraphique sont revenus en fin de spectacle, ils ont soudainement pris sens et ont permis de clore la performance de manière puissante en rappelant que la tension n’est jamais résolue définitivement.
La performance de Neema Bickersteth était impressionnante. En parfaite maîtrise de son corps, autant dans le chant que dans la danse, la chanteuse occupe la scène avec beaucoup d’intensité et ce, même lorsqu’elle est immobile. On sent bien que cette mémoire qu’elle évoque est le fruit d’une réflexion personnelle, ce qui explique son jeu aussi profondément authentique.
La soprano était admirablement bien soutenue par Matt Poon au piano et Benjamin Grossman aux percussions et au dispositif électronique. La musique n’était certainement pas facile, mais cela n’a pas semblé être un problème pour les deux musiciens dont la communication était irréprochable.
Au point de vue de la scénographie, il faut souligner la grande beauté des projections réalisées par FettFilm – Torge Moller & Momme Hinrichs, qui permettait de traverser l’univers du spectacle de manière fluide et dynamique. Le passage dans le paysage urbain sous l’orage était vraiment prenant et évoquait de manière forte le rythme effréné qui est celui du quotidien; Century Song est une belle façon de s’arrêter pour prendre un moment de réflexion.
(Photo : Neema Bickersteth, @John Lauener)
Century Songs
Œuvres de Sergei Rachmaninoff, Olivier Messiaen, John Cage, Georges Aperghis, Reza Jacobs, Gregory Oh et Debashis Sinha
Production : Volcano Theatre, Moveable Beast et Richard Jordan Productions
Chorégraphe : Kate Alton
- Production
- Volcano Theatre
- Représentation
- Centaur Theatre , 13 février 2020
- Instrumentiste(s)
- Benjamin Grossman (percussion; ordinateur)
- Interprète(s)
- Neema Bickersteth (soprano)
- Pianiste
- Matt Poon