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PORTRAIT: SHARON AZRIELI PEREZ

PORTRAIT: SHARON AZRIELI PEREZ

PHOTO: Sharon Azrieli Perez
(@ Ali Kay)

À dix-sept ans, elle partait, toute seule, pour aller vivre à New York. Elle a chanté des madrigaux et est aujourd’hui l’une des rares femmes cantores (chantres) à Montréal ; elle a écrit sa thèse de doctorat sur la présence de modes religieux juifs dans la musique de Verdi et a récemment participé à la création de nouveaux prix musicaux exceptionnels. Découvrez une femme remarquable : l’artiste et mécène montréalaise Sharon Azrieli. 

La musique avait-elle une place importante dans votre famille ? 
Oui, et même si, quand mon père est arrivé à Montréal comme immigrant, il n’avait que 60 $ en poche, qu’il a amorcé sa nouvelle vie modestement et que nous n’étions alors pas riches, j’ai reçu un enseignement musical (le piano). De plus, ma mère avait une très belle voix et chantait constamment, ainsi que mon père. La musique était présente, en particulier les samedis avec l’opéra à la radio ! 

Vous avez quitté le nid familial à dix-sept ans pour aller étudier à New York. Était-ce en chant ? 
Non, c’était en histoire de l’art, au Vassar College. Mais le chant m’intéressait, si bien qu’en parallèle, j’ai suivi des cours particuliers de chant à Paris avec madame Colette Wyss et à Florence, en Italie, au cours de l’été 1981, avec Gino Bechi. Là-bas, je suis tombée amoureuse de l’opéra ! J’avais dix-neuf ans. J’ai terminé mon bac en histoire de l’art, et là, mon père m’a dit que si je voulais étudier en chant, il m’appuierait financièrement à condition que je sois acceptée à Juilliard School. Et voilà, cela s’est réalisé. 

Vous avez ensuite fait une pause pour avoir des enfants. Ce devait être un choix assumé ? 
Tout à fait. Je n’ai absolument aucun regret ! Avoir mes enfants est l’une des plus belles choses dans ma vie. 

Par la suite, la vie est devenue plus compliquée pour vous, n’est-ce pas ? 
Oui, c’est vrai. Quand mon deuxième fils n’avait que sept mois, mon conjoint nous a quittés. J’ai dû me débrouiller toute seule. À ce moment, j’ai commencé à chanter dans des synagogues près de New York, comme cantore. J’avais ainsi un salaire acceptable et d’autant plus, cela me permettait de rester plongée dans la musique. 

Quand êtes-vous revenue à Montréal ? 
Lorsque mon premier fils, Matthew, était sur le point d’entrer à l’école. J’ai voulu revenir pour lui donner une éducation grâce à laquelle il pourrait apprendre le français. Mes enfants sont donc allés dans des écoles où ils ont appris le français, l’anglais bien entendu, le yiddish et l’hébreu. 

Que s’est-il passé par la suite ?
Je suis retournée aux études, à l’Université de Montréal ; ma professeure de chant était Rosemar ie Landr y*, une femme et une enseignante extraordinaire ! 

Et c’est fascinant, car vous avez écrit une thèse de doctorat sur la présence de la musique juive dans les partitions de Verdi ! 
En effet ! Mon expérience de cantore, jointe à mon apprentissage de l’opéra, m’a permis d’entendre des choses que d’aut res ne remarquaient pas dans les opéras verdiens. Par exemple, dans quelques passages de son Requiem, Verdi utilise clairement des modes harmoniques et des gammes typiquement associées à des prières uti l isées dans les synagogues ! Je peux même l’identifier : il s’appelle le mode Ahava Rabbah. Mieux encore : j’ai découvert que dans son Otello, quand ce dernier tue Desdemona, il chante « elle est coite » (silencieuse), cela sur une séquence harmonique de toute évidence héritée d’une prière que l’on chante à la synagogue et qui dit « j’ai péché ». Ce ne peut être une simple coïncidence ! 

Comment expliquer cette particularité, selon vous ? 
Tout jeune, Verdi a dû aller vivre dans une famille loin de chez lui pour étudier. Or, il s’agissait d’une famille de cordonniers, et telle que l’histoire nous le démontre, la cordonnerie était un métier qui était exercé très souvent par des Juifs à cette époque. Il n’a jamais été prouvé que cette famille l’était [juive], mais cela me semble tout à fait plausible. Verdi aurait entendu des chants religieux dans cette maison, qui auraient imprégné sa mémoire. 

Vous avez participé à la création du prix « Azrieli Music Prize », qui offre un total de 100 000 $ en récompense à des compositeurs d’oeuvres basées sur des thèmes juifs. Un premier concert a été donné par l’Orchestre symphonique de Montréal en 2016 avec deux oeuvres lauréates du prix au programme. Qu’est-ce que cet événement vous a procuré ? 
Ce fut une joie immense ! Et un grand succès ! Savoir que de nouvelles musiques de qualité ont été créées en partie grâce à mes efforts et à de l’argent qui m’appartient, voilà un immense bonheur. Il faut faire rayonner la beauté ! Il y aura d’autres concerts en 2018, 2020 et 2022. Qui plus est, des annonces seront faites bientôt, de belles surprises, mais à propos desquelles nous ne pouvons encore rien dire. Montréal et la musique vont rayonner comme jamais, et cela me rend profondément heureuse. Mon père a toujours pensé qu’il fallait redonner à la communauté, en particulier celle qui l’a accueilli, c’est la raison pour laquelle, il y a bien des années, il a mis sur pied la Fondation Azrieli. Celle-ci a soutenu, et soutient toujours, des projets en éducation et en santé. En ce qui me concerne, l’ajout d’un pan musical est une nouvelle étape importante dans cette philosophie constructive.


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