Articles

AU ROYAUME DE LA VOIX: LA SOCIÉTÉ D’ART LYRIQUE DU ROYAUME

AU ROYAUME DE LA VOIX: LA SOCIÉTÉ D’ART LYRIQUE DU ROYAUME

PHOTO: L’opérette La fille du tambour-major, un opéra-comique de Jacques Offenbach, Société d’art lyrique du Royaume, Chicoutimi, 2014
(@ Claudette Gravel)

Quelle est la doyenne des compagnies lyriques au Québec? La Société d’Art lyrique du Royaume ! En février 2017, la Société (communément appelée SALR) célébrera ses quarante-cinq ans de tradition lyrique en français dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Pour l’occasion, la compagnie offrira aux mélomanes un grand spectacle-événement : Carmen de Georges Bizet, avec une distribution toute québécoise. Vouée depuis quarante-quatre ans au répertoire léger, la SALR terminera, pour la première fois de son histoire, chacune de ses représentations par un meurtre (sur scène, bien sûr). Une nouvelle orientation pour la Société? 

Lorsqu’on dessine une carte de l’art lyrique au Québec, le Saguenay–Lac-Saint-Jean se détache nettement. Ce territoire de 300 000 habitants a produit un nombre considérable d’artistes lyriques, d’une envergure égale à celle de ses grands espaces : Marie-Nicole Lemieux, Jean-François Lapointe, Jul ie Boul ianne, Marie-Ève Munger, Manon Feubel... Tous sont originaires de ce coin de pays. Aucun de ces talents, en revanche, n’aurait pu se développer sans l’existence de structures éducatives et institutionnelles bien implantées. Le Saguenay–Lac- Saint-Jean bénéficie à lui seul de son Conservatoire de musique, à Saguenay, d’un programme avec option musicale au cégep, à Alma, d’un camp musical d’importance, à Métabetchouan et enfin, d’un orchestre symphonique bien établi à Saguenay depuis 1978. 

La Société d’Art Lyrique du Royaume contribue à sa manière à susciter et à encourager les vocations musicales. En accord avec sa mission principale (« promouvoir et diffuser l’art lyrique au Saguenay–Lac-Saint-Jean »), la Société présente chaque année, depuis 1971, une production majeure au Théâtre Banque Nationale à Saguenay. Chaque fois, c’est le prétexte à une expérience communautaire privilégiée. Toutes les productions mobilisent les forces de 12 à 15 créateurs (mise en scène, scénographie, costumes, etc.), de l’Orchestre symphonique du Saguenay–Lac-Saint-Jean et d’un choeur amateur recruté et formé localement. Pour le maestro Jean-Philippe Tremblay, directeur artistique de la SALR, « la participation de musiciens vivants, professionnels, signifie certes un nombre réduit de représentations, mais assure en contrepartie des spectacles de la plus haute qualité ». Ce dernier n’hésite pas à comparer, en termes d’ampleur et d’exécution, les productions de la SALR à celles qu’il a dirigées en Europe et aux États-Unis. 

Au-delà de Saguenay, la Société rayonne jusqu’au Lac-Saint-Jean par le biais de récitals, mettant en vedette divers « ambassadeurs lyriques », têtes d’affiche ou chanteurs de la relève (Marie-Josée Lord ou Rachèle Tremblay, par exemple). Selon Martin Boucher, ancien directeur artistique, « on ne saurait sous-estimer l’importance vitale d’une organisation comme la SALR pour le dynamisme de la musique classique en région ». Les défis restent nombreux : renouveler et fidéliser le public ; initier et impliquer les jeunes ; augmenter la visibilité médiatique et numérique et stabiliser le financement. C’est le mandat de la nouvelle directrice générale, Sabrina Ruiz Bourassa, qui estime que la pérennité de la SALR passe par un mouvement d’ouverture générale : « Il ne faut pas confiner l’art lyrique à la salle de spectacle ou au concert. Nous voulons élargir nos horizons, apporter la musique dans tous les milieux, que ce soit les écoles, les hôpitaux, voire les CHSLD ou les centres jeunesse ». Déterminée et enthousiaste, elle entrevoit déjà des collaborations tous azimuts, des projets pour enfants, par exemple avec l’Opéra/Théâtre Vox populi, ou encore une coproduction avec le Festival International des arts de la marionnette, en pleine effervescence à Saguenay. 

Est-ce que le mouvement d’ouverture s’étend aussi au répertoire ? Depuis ses origines, la SALR a toujours privilégié le domaine du rire, de l’opérette et d’Offenbach. Cependant, depuis la création originale en 2011 de Bungalopolis, « opéra-cabaret » inspiré de l’univers de la bande dessinée, on assiste à une diversification progressive du répertoire, confirmée en 2016 par la présentation d’un véritable opéra bouffe italien, Le barbier de Séville. Dans la foulée, le choix d’une authentique tragédie lyrique, Carmen, pour souligner le quarante-cinquième anniversaire, ouvre de nouvelles perspectives. Présentée dans sa version opéra-comique, avec les dialogues originaux (et non les récitatifs de Guiraud), cette oeuvre rejoint pour Jean- Philippe Tremblay l’esprit même de la Société d’Art Lyrique du Royaume : une grande tradition théâtrale et lyrique, en langue française de surcroît ! Déjà, au Royaume de la voix, l’avenir pointe vers le demi-siècle. 


Partager: