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L'ENSEIGNEMENT DU CHANT VU PAR... GABRIELLE LAVIGNE

L'ENSEIGNEMENT DU CHANT VU PAR... GABRIELLE LAVIGNE

Photo: Gabrielle Lavigne
(@ Journal Le Droit d'Ottawa)

La voix humaine ne livre pas facilement ses secrets. Dérobée au regard, organe suspendu entre la tête et le coeur, la voix engage notre être tout entier. Mise en vibration par le passage du souffle, elle se fait tour à tour soupir, murmure, parole emportée ou cri impétueux ! Et puis, unique et fascinant, le chant s’élève. Dans ce grand dossier en deux parties sur L’Enseignement du chant, nous sommes allés à la rencontre d’artistes lyriques et professeurs chevronnés, qui ont généreusement accepté de partager leurs réflexions sur cet inépuisable sujet. Au fil des entretiens qui ont suivi, trois questions se sont unanimement imposées : Comment en êtes-vous venu à enseigner la technique vocale ? Qu’est-ce qui vous passionne dans ce métier ? Qu’est-ce qu’un bon professeur de chant ? Quel est l’élève idéal selon vous ? Quelles sont ses qualités essentielles ? Comment et à quoi travaille-t-il ? À quel type de carrière se destine le chanteur d’aujourd’hui ? Et celle-ci a-t-elle changé depuis les vingt dernières années ? Les trois premiers invités de ce Dossier (Numéro 11 – Printemps 2017) ont été Mesdames Rosemarie Landry et Aline Kutan, ainsi que Monsieur Michel Ducharme. Notre incursion dans l’enseignement du chant se prolonge ici, avec les témoignages de Mesdames Gabrielle Lavigne et Marie Daveluy ainsi que Monsieur John Mac Master.

LE MIRACLE AU QUOTIDIEN 

Gabrielle Lavigne : professeure retraitée du Conservatoire de musique de Montréal

Intronisée au Panthéon canadien de l’art lyrique en 2010, lors du XVe Gala de l’Opéra de Montréal, la mezzo-soprano Gabrielle Lavigne a mené une brillante carrière internationale, endossant les grands rôles du répertoire. Ayant remporté une médaille avec Grande Distinction lors du Concours d’exécution musicale de Genève, en 1969, et ayant été finaliste aux auditions du Metropolitan Opera de New York l’année suivante, la jeune chanteuse voit sa carrière prendre un bel essor. 

Mais Gabrielle Lavigne ressent l’appel de l’enseignement bien avant de se produire sur la scène opératique internationale, notamment lorsqu’elle étudie auprès d’Irène Sénéchal de l’École des Beaux Arts de Montréal, pour devenir professeur… d’arts plastiques ! Madame Lavigne fera ses premières armes comme pédagogue à la demande d’Agnès Grossmann, alors directrice du choeur de l’Orchestre Métropolitain. « Comme les choristes n’étaient pas tous des chanteurs formés professionnellement, il y avait de petits ajustements à faire, quelques conseils à leur prodiguer pour améliorer leur technique » et harmoniser les différentes sections. « Je sentais que je pouvais aider et guider les voix en me basant sur ma propre expérience, et je me sentais en confiance avec ces premiers élèves, qui chantaient bien, mais d’abord pour le plaisir. » Madame Lavigne enseignera aussi au Centre culturel de Joliette dès 1985 et enfin, au Conservatoire de musique de Montréal, à partir de 1999.

Le travail technique conscient 
Il n’y a pas d’évolution technique possible sans prise de conscience, sans une attention de tous les instants à ce que l’on ressent ; « une demi-heure de travail conscient vaut bien davantage que des heures d’entraînement dans le vide ! » C’est la pensée qui met le corps en action, les mécanismes permettant de construire adéquatement l’instrument. 
« Être en voix, c’est être en corps ! » lance-t-elle avec conviction. Passionnée par son art, Gabrielle Lavigne n’en démord pas : « L’élève qui souhaite développer sa voix doit absolument réaliser cet essentiel travail de conscientisation et d’analyse des sensations qu’il perçoit » et mettre en place, à force d’entraînements quotidiens, d’exercices ciblés, mais aussi de recherches et d’initiative personnelle, une séquence cohérente et solide de tous ces gestes essentiels au chant. « Ainsi l’instrument vocal, parfaitement accordé, peut enfin être au service de la musique et de l’interprétation. » 
Elle en appelle aussi à la patience, vertu de moins en moins populaire chez nos jeunes artistes, pressés de pratiquer le métier ; « il faut comprendre que la voix d’un élève n’est pas encore formée, que c’est un instrument complexe à construire, et dont il faut ajuster chaque pièce, sans rien précipiter. » Quand le stress de la carrière, les impondérables de la vie, ou les exigences d’un chef ou d’un metteur en scène viennent compliquer les choses, il faut pouvoir compter sur soi-même. Une intime compréhension de sa propre voix et une réponse adéquate du corps permettent de chanter, même dans des conditions adverses.

Se préparer à réussir 
Tout en appréciant la grande variété de moyens techniques et d’outils promotionnels dont disposent les jeunes chanteurs d’aujourd’hui pour bâtir leur carrière, Madame Lavigne se désole un peu de voir que « l’emballage » prend souvent beaucoup de place en regard du contenu. Il est important de bien se présenter, de déployer sa créativité et de soigner son image, mais « on dirait que la carte de visite prend le pas sur la personne elle-même, devenant plus importante que l’artiste qui nous la tend. » 
Celle qui se dit « très chanceuse d’avoir fait une si belle carrière » déplore que, dans le contexte actuel, l’obligation de rentabilité de l’industrie culturelle fausse la donne en faisant miroiter des eldorados faciles ou, au contraire, en reléguant d’authentiques et rares talents aux oubliettes. Elle invoque les budgets à équilibrer, les subventions qui fondent comme neige au soleil, l’atteinte de quotas et de cotes d’écoute. « C’est le cas pour bien d’autres domaines d’activités, et les artistes ne font pas exception ; les lois de l’offre et de la demande ont une incidence certaine sur leur cheminement. » C’est pourtant l’optimisme qui l’emporte ici ; la fortune continuera de sourire aux passionnés, et de susciter les heureux hasards et les rencontres clés qui font naître et éclore de lumineux parcours. « Il faut savoir reconnaître et saisir l’opportunité quand elle se présente et surtout « avoir longuement pratiqué le miracle pour qu’il se manifeste au moment opportun ! » 

De gauche à droite, David B. Sela, Gabrielle Lavigne, Michel Beaulac.Madame Lavigne est reçue au Panthéon de l’Opéra de Montréal en 2010

* Lisez les entretiens avec John Mac Master et Marie Daveluy dans la version papier du no. 12 de la Revue *

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