Critiques

CÉLÉBRER VERDI EN MÉMOIRE DE JACQUELINE DESMARAIS ET AVEC ILDAR ABDRAZAKOV

CÉLÉBRER VERDI EN MÉMOIRE DE JACQUELINE DESMARAIS ET AVEC ILDAR ABDRAZAKOV

La basse Ildar Abdrazakov et le chef Yannick Nézet‑Séguin, 2018 (@François Goupil)

Toute présence de Yannick Séguin au pupitre de son Orchestre Métropolitain est devenue un événement ! C’était à nouveau le cas à l’automne, alors qu’il a dirigé dans la métropole deux concerts consacrés à la musique de Giuseppe Verdi.

C’est pour accéder aux dernières volontés de Jacqueline Desmarais, décédée le 3 mars 2018 (voir le dossier en sa mémoire publié dans L’Opéra – Revue québécoise d’art lyrique, nº 15, printemps 2018, p. 17-19) et commémorer la vie de la grande mécène lyrique que le maestro Nézet-Séguin avait invité son Orchestre Métropolitain à interpréter l’imposante oeuvre sacrée qu’est la Messa da Requiem de Verdi. Et le résultat était aussi saisissant que bouleversant ! De tout évidence, le chef, les instrumentistes et les choristes se sont investis de tous leurs corps et de toutes leurs âmes pour livrer un Requiem à la hauteur de l’estime qu’ils portaient à Jacqueline Desmarais et à son oeuvre. Frôlant, voire atteignant la perfection dans l’interprétation des sept parties de la très longue et exigeante partition du Requiem, Yannick Nézet-Séguin et ses musiciens ont joué avec la sobriété et la solennité que requiert la partition, tout en étant capable de rendre, avec le choeur, notamment dans le « Tuba Mirum », la grandiloquence qui sied à l’oeuvre. Celle-ci a par ailleurs été bien servie par une distribution de solistes internationaux qui contribuaient à faire de cet événement un concert de très haut calibre. La mezzo-soprano Ekaterina Gubanova s’est particulièrement distinguée, notamment dans ses duos avec la soprano Angela Meade (« Quid sum miser », « Recordare » et « Agnus Dei »), mais surtout avec son « Liber scriptus » et davantage encore avec le « Libera me » final. Les prestations du ténor Matthew Polenzani et du baryton-basse Bryn Terfel n’ont pas autant ébloui, mais ils auront contribué à faire de la fin de la deuxième partie du Requiem, notamment son « Lacrymosa », l’un des moments les plus touchants du concert.

Signalons également la très belle prestation du violoncelliste Stéphane Tétreault qui a interprété en guise de préambule la « Méditation » de l’opéra Thaïs de Massenet sur son violoncelle Comtesse de Stainlein… acheté et prêté à long terme par la regrettée Jacqueline Desmarais dont il fut aussi le protégé.

Comme il en a pris la bonne habitude, le chef Nézet-Séguin a par ailleurs et à nouveau donné l’occasion au public du Métropolitain de découvrir des artistes lyriques de réputation internationale. C’était au tour de la basse russe Ildar Abdrakazov d’être introduit à cet auditoire, qui a semblé fort apprécier le choix du maestro… à telle enseigne que l’on pouvait entendre à la sortie de la Maison symphonique des mélomanes, dont l’inspiration avait comme source le thème du concert « Viva Verdi », scander des « Viva Abdrakazov » !

Et pour cause. Le registre de cette basse s’est révélé remarquable et lui a permis d’imprégner de beauté tous les passages des airs verdiens sans exception, allant du plus aigu au plus grave, et ce avec une facilité déconcertante. Parmi les moments forts du concert, l’on peut compter l’air « Mentre gonfiarsi l’anima » tiré d’Attila et dans lequel l’artiste russe a eu comme partenaire le ténor québécois Jean-Michel Richer dont la prestation a été modeste, mais efficace. Le « Che mai vegg’io ! » de l’opéra Ernani a également été un moment où le chanteur s’est révélé d’une grande sensibilité, permettant de deviner la qualité du jeu dramatique dont il est capable sur une scène lyrique. Si l’on doutait encore du caractère attractif de la voix de l’invité du Métropolitain, il fallait voir la réaction enthousiaste de l’auditoire à la fin du rappel à l’occasion duquel Ildar Abdrakazov a substitué Boito à Verdi pour interpréter l’envoûtant « Son lo spirito che nega » de Mefistofele.

Cependant, un autre personnage était à l’origine de grands moments lyriques de ce concert. Il s’agit de l’Orchestre Métropolitain lui-même qui, dans son interprétation de l’ouverture de l’opéra Les Vêpres siciliennes, s’est tout simplement dépassé. À n’en point douter, le Métropolitain est devenu un orchestre lyrique… ce à quoi n’est tout à fait étranger son chef lyrique Yannick Nézet-Séguin ! Il faut se réjouir que l’essentiel de ce concert se retrouvera sur le label Deutsche Grammophon dont l’enregistrement a été fait dans les jours qui ont précédé le concert. Son existence ne prouvera pas que les absents n’avaient pas tort de ne pas être à ce rendez-vous, mais leur fera dire… qu’ils ont de la chance !

Les solistes Angela Meade (soprano), Ekaterina Gubanova (mezzo-soprano), Matthew Polenzani (ténor) et Sir Bryn Terfel (baryton-basse)
(Photo: Oxygène événements)

Requiem de Verdi

Concert en hommage à la mémoire de Jacqueline Desmarais

Production
Orchestre Métropolitain
Représentation
Maison Symphonique , 28 octobre 2018
Direction musicale
Yannick Nézet-Séguin
Instrumentiste(s)
Angela Meade (soprano), Ekaterina Gubanova (mezzo-soprano), Matthew Polenzani (ténor) et Bryn Terfel (baryton-basse); Choeur Métropolitain et Choeur de l'Opéra de Montréal
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