GAUVIN ET LEMIEUX: RENCONTRE AU SOMMET
PHOTO: KARINA GAUVIN
(@ Julien Faugère)
Le Domaine Forget a frappé encore une fois un grand coup en offrant à son public festivalier ce qui est devenu une tradition annuelle, celle de réunir en une fin de semaine des concerts lyriques de haute tenue, dont les programmes finement ciselés et la qualité des artistes invités attirent les foules autant que les plus grands diffuseurs, et confirment, par le fait même, la stature de ce Festival international qui célébrera l’année prochaine ses 40 ans.
Lors du premier concert ont rayonné deux véritables égéries de l’art lyrique au Québec, Karina Gauvin et Marie-Nicole Lemieux, que le Festival a réuni habilement, le temps d’une soirée, pour créer un événement aussi rare qu’attendu. Un enregistrement d’airs et de duos de Haendel, sorti en 2011 (Haendel : Streams of Pleasure, Naïve), nous avait donné un avant-goût de la complicité – tant vocale qu’amicale – qui règne entre elles, de la compatibilité de leurs timbres, de leur technique (rappelons que chacune fut élève de Marie Daveluy au Conservatoire de musique de Montréal). D’autres moments partagés figurent dans nos carnets de mélomanes : des oratorios ou des opéras en version de concert, comme ce Rodelinda de Haendel en janvier dernier sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées, dont l’immense succès nous a rendus si fiers. Il n’en fallait pas plus pour voir s’envoler les billets de cette soirée.
Le programme, qui se composait d’abord de lieder allemands, puis d’airs français en seconde partie, présentait des oeuvres assez connues, mais non moins exigeantes pour certaines, et aussi quelques surprises comme ces airs de Cécile Chaminade, rarement joués. Le concert s’est ouvert avec trois duos de Schumann (« Wenn ich en Vöglein wär », « Herbslied » et « Erste Begegnung »), bien maîtrisés, expressifs et, ma foi, parfaits pour délier l’appareil vocal. L’écoute était bonne, tout comme la respiration des chanteuses qui semblait ne faire qu’une à certains moments. Par chance, la communication avec le public ne fut aucunement entravée par la présence de partitions, étonnante pour des artistes de leur calibre, mais justifiée par le temps limité dont elles disposaient pour mémoriser les oeuvres.
Marie-Nicole Lemieux était particulièrement calme et concentrée, ce soir-là ; sa voix, toujours belle et expressive, donnait à entendre des inflexions magnifiques, jamais caricaturales (« Heidenröslein » de Schubert), où même les instants de silence étaient chargés de la lecture éclairée de l’artiste (« Mignon » de Schumann). Elle semblait être en parfait contrôle du temps – si immuable dans la partition et pourtant si libre entre les mains des plus grands – se permettant ici et là des rubatos délicieux, une retenue bien calculée.
Au sommet de sa carrière, Karina Gauvin est une artiste brillante qui a la pleine maîtrise de son art : virtuose jusqu’au vertige, elle est pourvue d’un caractère fort, d’un sens aigu de la dramaturgie et d’un timbre cristallin et acéré comme un diamant. Ses longs pianissimi ont maintes fois fait soupirer la salle à l’unisson. La magie opère, bien sûr, et un mélomane ne boudera jamais son plaisir. S’il fallait émettre un regret, nous dirions que la prononciation – et même en français – laisse un peu à désirer, comme si le souci d’atteindre le plus beau son venait compromettre le passage des mots. Nous ne lui en tiendrons pas rigueur, mais cette faiblesse devenait plus évidente au côté de Lemieux.
La seconde partie du concert pourrait être perçue comme un retour au bercail, chacune ayant consacré une partie importante de sa carrière à la mélodie et l’opéra français. Avec Gauvin, les airs de Gounod ont retrouvé de leur esprit primesautier (« Premier jour de mai »), une légèreté parfois naïve, souvent évocatrice d’un climat intimiste. Le dialogue avec le pianiste David Zobel tenait de l’équilibriste prodigieux qui atteint sa cible avec une désinvolture souveraine.
L’interprétation très inspirée de l’air « Au Rossignol » de Gounod par Marie-Nicole Lemieux nous a fait entrevoir le paradis par les sublimes évocations d’images poétiques qu’elle savait faire miroiter : le son onomatopéique de cette « Feuille qu’il craint de froisser » accompagné d’une légère retenue… nous la voyions se déposer. Qu’une grande interprète peut ainsi renouveler sans lassitude des oeuvres aussi connues !
Nous ne pouvons conclure sans souligner la contribution magistrale du pianiste David Zobel au succès de ce concert. La dernière fois que nous l’avons entendu, c’était en mars 2008 au Palais Montcalm à Québec, alors qu’il accompagnait la soprano américaine Joyce Didonato, avec qui il a joué pendant près d’une décennie. En plus d’être un pianiste accompagnateur réputé et sollicité, Zobel est un chef de chant (un coach vocal, comme on dirait dans le milieu) dont les compétences semblent être reconnues par les plus grandes maisons d’opéra, en France comme à l’étranger. Sa feuille de route est impressionnante, autant que ses collaborations récentes. Doté d’un sens musical inouï, d’une lecture claire et intelligente de la partition, son rôle d’accompagnateur était plutôt celui d’un allier, d’un complice dont le jeu attentif et précis était en parfaite osmose avec les artistes. Nous pouvons donc remercier Marie-Nicole Lemieux, qui l’a connu lors de répétitions en Europe, d’avoir suggéré ce grand pianiste pour ce concert et celui du lendemain.
En guise de rappel, le public, qui a fait preuve d’un silence respectueux et recueilli depuis le début, s’est vu offrir les dernières fleurs du concert : le magnifique « Caro ! Bella ! Più amabile beltà » de l’opéra Giulio Cesare de Haendel. Avec le retour de ce compositeur, il semble bien qu’un lien se soit resserré entre nos deux cantatrices.
Récital de Karina Gauvin et de Marie-Nicole Lemieux présenté dans le cadre des Grands rendez-vous du Domaine Forget
Lieder de Schubert, Schumann, Mendelssohn, duos de Schumann et Mendelssohn, mélodies de Gounod, duos de Gounod, Berlioz, Chaminade et Delibes. Concert présenté en partenariat avec le Palazetto Bru Zane, Centre de musique romantique française, dans le cadre de l’année Gounod.
- Production
- Festival International du Domaine Forget
- Représentation
- Salle du Domaine Forget , 29 juillet 2017
- Interprète(s)
- Karina Gauvin (soprano), Marie-Nicole Lemieux (contralto)
- Pianiste
- David Zobel