Articles

PORTRAIT : MUSICOLOGUE- Steven Huebner- Un travail d'analyse dans une conception du style musical

PORTRAIT : MUSICOLOGUE- Steven Huebner- Un travail d'analyse dans une conception du style musical

Steven Huebner est professeur de musicologie à la Schulich School of Music de l’Université McGill. Il a été co-éditeur du prestigieux Cambridge Opera Journal et a rédigé des notes de programmes pour plusieurs grandes maisons d’opéra. Ses travaux de recherche portent principalement sur l’opéra français et italien du xixe et du début du xxe siècle ; il est l’auteur de trois ouvrages consacrés respectivement à l’œuvre de Gounod, à l’opéra français de la Fin de siècle et au style musical de Verdi. Rencontre avec un chercheur lyrique.  

Qu’est-ce qui vous a mené à vous intéresser à l’opéra ?

J’ai commencé à m’intéresser à l’opéra lorsque j’étais étudiant au baccalauréat à l’Université de Princeton au New Jersey. Comme c’était près de New York, je fréquentais assidûment le Metropolitan Opera et le City Opera. J’imagine que c’est ainsi que je suis resté accroché !  

Avez-vous une œuvre ou un répertoire de prédilection ?

J’aime les opéras toutes périodes confondues lorsque le chant est bien maîtrisé. Le choix est difficile, mais si je devais sélectionner qu’une œuvre, je dirais Pelléas et Mélisande de Debussy. Selon moi, elle évoque la condition humaine d’une manière intensément expressive, car la rhétorique musicale est discrète. À l’image de ces personnages, nous sommes tous un peu aveugles dans notre façon de cheminer dans la vie. Ceci étant dit, j’aime beaucoup Madama Butterfly de Puccini, qui est évidemment un sujet tout à fait différent. Ce qui m’attire dans cet opéra, c’est d’abord l’intégration efficace d’éléments orientaux dans le langage musical occidental, mais aussi le caractère du personnage principal et l’orchestration.  

Dans votre ouvrage Les Opéras de Verdi : Éléments d’un langage musico-dramatique, vous avez analysé l’œuvre complète du compositeur italien. Quel est l’objectif de cet opus ?

Mon but était d’expliquer comment Verdi a construit ses opéras. Il ne pensait pas sa musique comme si elle devait forcément traduire l’évolution du drame, pas plus que les librettistes avec lesquels il a travaillé n’abusaient des dialogues. En fait, les opéras italiens de cette époque étaient conçus selon un ensemble de conventions qui régissaient l’organisation des livrets. Je commence donc par expliquer les principes à la base de la versification italienne et de là, je m’attache à démontrer comment les textures musicales sont agencées avec la poésie. Je poursuis en retraçant la composition des lignes mélodiques des airs, pour ensuite illustrer la manière dont Verdi concevait l’enchaînement des numéros musicaux sur une plus grande échelle temporelle. Cet ouvrage est beaucoup plus technique que mes précédents, The Operas of Charles Gounod et French Opera at the Fin de Siècle : Wagnerism, Nationalism and Style, mais je l’ai écrit pour démontrer qu’il est important d’ancrer le travail d’analyse dans une conception du style musical.  

Y a-t-il une spécificité au travail de composition de Verdi ?

Oui, l’imagination musico-théâtrale qu’il a su développer dans le cadre des conventions de son époque. Très tôt dans sa carrière, il s’est forgé un style musical très personnel qu’il a utilisé pour créer des interactions extrêmement efficaces entre les personnages et des contrastes dramatiques magnifiques. Loin d’être resté conservateur, Verdi s’est sans cesse renouvelé, même au-delà de ses 80 ans. Ne serait-il pas fantastique si nous étions tous capables de maintenir un tel niveau de vitalité à cet âge !  

Vous avez également été co-éditeur du Cambridge Opera Journal de 2007 à 2014. Que retenez-vous de cette expérience ?

J’ai vraiment apprécié être en contact avec un large éventail de travaux de recherche portant sur l’opéra. Les chercheurs utilisent une variété de méthodes impressionnante. Certains font de la recherche en archives, afin de jeter une nouvelle lumière sur les interprètes, les compositeursles publics et l’industrie du théâtre, tandis que d’autres s’intéressent au sens que peuvent prendre les opéras pour le public du xxie siècle. Pouvoir les aider à peaufiner leurs travaux a été une expérience formidable, et il était aussi très gratifiant que d’être dans les premières lignes de la recherche. Il reste tant de choses à découvrir sur des chefs-d’œuvres tels Le Nozze di Figaro ou La Traviata, tout comme il y a encore une foule d’œuvres peu connues qui ne demandent qu’à être redécouvertes !  

Vous avez collaboré avec plusieurs théâtres lyriques pour la rédaction des notes de programme. Comment abordez-vous l’écriture de ces textes ?

J’ai rédigé des notes pour plusieurs maisons d’opéra à travers le monde, notamment pour le Royal Opera House à Londres, le Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, le Sydney Opera et le Teatro La Fenice à Venise. Ce genre de travail est vraiment agréable, parce qu’il me permet de rejoindre un vaste lectorat dans le contexte culturel de l’opéra et d’encourager les gens à porter attention aux subtilités de l’art lyrique. J’essaie d’aller au-delà des simples notions historiques relatives à la création de l’œuvre en adoptant une approche originale, afin de donner un aperçu de la richesse de ce genre aux lecteurs.


Partager: