ENTRETIEN : Suzie LeBlanc … une artiste lyrique en mouvance !
Acadienne de naissance, la soprano Suzie LeBlanc a élu domicile à Montréal en 1976 et y a reçu une formation musicale qui lui a permis de passer de la flûte, au clavecin… à la voix ! Sa carrière d’interprète a démarré au sein de l’ensemble New World Consort à Vancouver et c’est à Londres, Vienne et Amsterdam qu’elle a fait ses premiers pas dans son répertoire de prédilection, celui de l’époque baroque. Elle est aujourd’hui reconnue pour sa contribution au rayonnement de cette musique au Québec, en Acadie, au Canada et ailleurs dans le monde. À l’origine de la création de l’Académie de musique baroque, Suzie LeBlanc a collaboré à la renaissance d’œuvres lyriques des xviie et xviiie siècles – dont l’opéra pastoral Nicandro e Fileno de Paolo Lorenzani – avec Le Nouvel Opéra, organisation qu’elle a fondée en 2000 et dont elle est aujourd’hui la co-directrice artistique avec Marie-Nathalie Lacoursière. Dirigeant l’ensemble vocal Capella Antica de l’École de musique Schulich de l’Université McGill, la soprano a entrepris une carrière de cheffe qui l’a récemment menée au pupitre du Studio de musique ancienne de Montréal pour un concert intitulé « L’Italie baroque au féminin ». Avec l’enthousiasme qui la définit et d’une voix d’une infinie douceur, elle a gentiment et généreusement répondu aux questions de L’Opéra – Revue québécoise d’art lyrique.
Pourriez-vous nous parler de votre enfance musicale et de l’influence que votre patrie acadienne – et votre travail avec Les Jeunes chanteurs d’Acadie – a exercé sur vous ?
Le premier souvenir de mon enfance est celui de ma grande sœur Christiane jouant, sur le piano droit de la maison, cette pièce douce et calme qu’est La Cathédrale engloutie de Claude Debussy. C’était à Moncton où je vivais avec mes deux autres sœurs qui firent également de la musique. Marie-José accompagnait ses chants à la guitare dans les boîtes à chansons et Danielle avait appris le violoncelle, ayant choisi quant à moi la flûte. Mon père, Loyola, qui était pédiatre, aimait aussi la musique et aimait écouter, souvent d’ailleurs, l’enregistrement de Pablo Casals des Suites pour violoncelle seul de Bach.
C’est sans doute avec Les Jeunes chanteurs d’Acadie que mon apprentissage de la musique, par le chant choral, s’est approfondi. Je dois beaucoup à la directrice Lorette Gallant, cette femme aussi exigeante que douce, qui dirigeait ce chœur avec doigté et intelligence. Elle conférait une importance à la connaissance des langues et c’est avec elle que j’ai perfectionné ma prononciation de l’allemand.
Notre répertoire – qui comprenait des chansons acadiennes – n’est sans doute pas étranger au fait que j’ai tenu à faire connaître la musique de ma nation acadienne à travers les trois enregistrements que j’ai réalisés à ce jour… et d’autres, je l’espère, à venir. Mais, la musique avait des concurrentes, car j’aimais aussi – autant peut-être – la danse, la gymnastique et la natation. Avec les Jeunes chanteurs, je me rappelle m’être rendue à Saint-Boniface, mais aussi de n’avoir pu participer à une tournée européenne de la chorale en raison d’une compétition de natation. Ce que j’ai regretté un peu après, lorsque mes camarades choristes m’ont raconté leur expérience à leur retour !
Votre mère, l’artiste lyrique Marie-Germaine LeBlanc, souhaitait-elle que vous suiviez ses pas ?
Je crois que ma mère se réjouissait du fait que j’aimais la musique, mais n’a pas insisté pour que je m’engage, comme elle, dans une carrière lyrique. Formée à l’École Vincent-d’Indy par Louise André, elle s’était distingué à 17 ans lors du concours Singing Stars of Tomorrow, bien qu’elle n’ait pu donné suite – pour des raisons familiales – à l’invitation d’aller parfaire sa formation lyrique avec Elizabeth Schumann et au Metropolitan Opera de New York. Elle a toutefois effectué plusieurs tournées et joué dans Il Barbiere di Siviglia de Rossini aux côtés de Napoléon Bisson, Jean-Paul Jeannotte et Joseph Rouleau. Elle a aussi incarné Cherubino dans Le Nozze di Figaro de Mozart pour le Théâtre lyrique Molson sous la direction de Jean Deslauriers.
C’est lorsque nous nous sommes installés à Montréal, ma mère et moi, que j’ai décidé de me consacrer au chant ; ma mère m’offrait de temps en temps ses précieux conseils, qu’elle offrait également à ses élèves, à qui elle enseignait en privé à la maison. Et la vie durant, elle a été pour moi une grande source d’inspiration.
J’ai aussi le souvenir que ma mère soit retournée sur scène lors d’une production de La Flûte enchantée de Mozart par l’Atelier d’opéra de l’Université de Montréal. Elle a accepté de se joindre au corps de jeunes étudiants et étudiantes de la Faculté de musique pour incarner la Reine de la nuit. À mon souvenir, il s’agissait du premier opéra que je voyais sur scène. Je me rappelle d’une mère courageuse, qui avait à nouveau suivi des cours à Montréal avec Louise André et à Londres avec l’instructrice vocale réputée Vera Rózsa, et qui avait donné un dernier récital à l’âge de 65 ans.
Vous avez donc pris la route pour Montréal et y avez débuté vos études de chant ?
C’était en 1976. J’avais 15 ans et me rappelle avoir reproché à ma mère de n’avoir pas posé ce geste plus tôt, tant je découvrais de choses dans cette grande ville qu’était Montréal. Ma sœur Danielle y habitait et je me rappelle avoir, lors de mon premier été dans la métropole, joué à raison de cinq à six heures par jour sur son virginal.
Mes premières études musicales à Montréal n’ont d’ailleurs pas été en chant. J’étais toujours intéressée par la danse et avais entamé des cours avec la compagnie Entre-Six. Cependant, une grève d’autobus m’ayant obligé à faire du pouce pour me rendre à mes cours – auxquels j’arrivais en retard –, m’avait conduit à abandonner la danse. Peut-être le milieu a-t-il également joué, du fait qu’il est difficile de commencer à un âge plus avancé, et que la carrière y est plus courte. J’ai bien assumé ce choix et cela ne m’a aucunement fait perdre l’amour de la danse que j’adore toujours. La brève formation que j’ai reçue, ainsi que par la suite en Europe, n’aura pas été inutile dans des productions d’opéras baroques à l’occasion desquelles j’ai été appelée… à danser !
S’agissant des études musicales, j’ai d’abord commencé par la flûte et le clavecin au Cégep de Saint-Laurent. J’ai rapidement laissé tomber la flûte, mais les cours de clavecin auprès de Réjean Poirier me plaisaient beaucoup, il était d’ailleurs heureux d’avoir une élève pour laquelle il n’y avait rien à défaire, puisque je n’avais pas de formation en piano. M’apercevant que je chantais plus que je ne jouais du clavecin lors des concerts étudiants, j’ai choisi le chant comme deuxième instrument. Je trouvais cela facile de chanter, mais je me suis rapidement rendu compte qu’il fallait toute une discipline pour bien chanter et longtemps !
Parlez-nous des enseignants et enseignantes qui ont contribué à votre formation musicale, tant en clavecin qu’en chant ?
Le flûtiste Jean-Pierre Pinson m’a sans doute orientée vers le chant lorsqu’il m’a demandé en 1980 de prendre part à l’opéra-collage Orphée ou le voyage de l’inconstance qu’il avait conçu. Mise en scène par Marthe Forget, cette production, dans laquelle j’incarnais l’inconstance blanche, réunissait Danièle Forget, qui chantait l’inconstance rouge, et Madeleine Jalbert, qui tenait le rôle de l’inconstance noire.
Après mon séjour au Cégep de Saint-Laurent et à l’Université de Montréal, j’ai étudié auprès des clavecinistes Colin Tilney à Toronto et John Grew à l’Université McGill. Quant à ma formation vocale, je dois beaucoup au regretté Christopher Jackson qui m’a permis de chanter et d’apprendre l’interprétation de la musique ancienne avec le chœur du Studio de musique ancienne de Montréal. Le meilleur des apprentissages aura été pour moi celui acquis au sein de divers ensembles avec lesquels j’ai évolué au début de ma carrière professionnelle, dont le groupe britannique The Consort of Musicke, où j’ai été appelée à remplacer Emma Kirby pendant huit mois. Lors de séjours à Londres et Amsterdam, j’ai également bénéficié de l’enseignement des sopranos Jessica Cash et Margreet Honig.
Je me permets d’ajouter que par la suite, c’est aussi la musique de compositeurs qui m’a appris à chanter, qu’il s’agisse de celle de Haendel, Mozart, Richard Strauss, Robert Schumann et Reynaldo Hahn. Cette musique m’a instruit sur la virtuosité, le phrasé, le lyrisme ou l’étendue du registre.
Est-il vrai que vous avez eu un coup de foudre pour la musique baroque à l’occasion d’un concert du Studio de musique ancienne de Montréal ?
C’est vrai. Et si ma mémoire est fidèle, il s’agissait d’un concert à la Salle Redpath où le SMAM interprétait des œuvres sacrées de Monteverdi. Je venais de déménager à Montréal et me rappelle avoir dit à ma mère, en rentrant à la maison : « J’ai raté ma vie. Pourquoi n’ai-je pas été exposée à cette musique auparavant ? » Je me suis toutefois ressaisie et me suis dit : « Cette musique, je la connais et je veux la chanter ».
Dans le répertoire de musique ancienne, et particulièrement de l’époque baroque dont vous êtes devenue une spécialiste, quelles sont vos œuvres préférées ? Parmi les personnages de ce répertoire que vous avez incarnés, quels sont ceux auxquels vous êtes particulièrement attachée ?
J’aime autant Les Vêpres de Monteverdi que les Passions de Bach, ces deux compositeurs qui, à 150 années d’intervalles, ont mis leur génie, insaisissable, au service de la musique. La musique de Marc-Antoine Charpentier m’a toujours séduite, comme celle de Delalande et de Lully. Il y a aussi la musique allemande qui précède Bach : Praetorius, Schein, Schütz, les madrigaux de John Ward, Luca Marenzio, Jacques de Wert ou Carlo Gesualdo pour en nommer quelques-uns. Il y a Dowland, Purcell, Barbara Strozzi, et toute l’œuvre de Monteverdi à laquelle je reviens souvent. Il y a des centaines de compositeurs moins connus que je m’efforce de faire connaître depuis trente ans. Ces musiques anciennes provenant d’Allemagne, de France, d’Espagne, d’Angleterre ou d’Italie (sans oublier la musique sud-américaine, portugaise et scandinave) sont aussi nationales qu’universelles et méritent d’être connues et promues en ce qu’elles enrichissent, chacune d’elles, le patrimoine musical de l’Humanité.
J’ai une affection particulière pour la musique sacrée et celle des couvents du xviie siècle italien par les compositrices Chiara Margarita Cozzolani, Sulpitia Lodovica Cesis et Lucrezia Orsini Vizzana.
À l’aube de mes 40 ans, sans délaisser le répertoire de musique ancienne, j’ai pris plaisir à chanter des mélodies de Debussy, Fauré et Hahn, ainsi que les lieder de Schubert, Schumann et Richard Strauss. J’ai aussi découvert les cycles de Messiaen Chants de terre et de ciel et La Mort du nombre que j’ai enregistrés.
À l’opéra, un de mes rôles préférés aura été celui de Poppea, que j’ai incarné dans la production de L’Incoronazione de Poppea de Monteverdi à l’Opéra de Montréal, dirigé par Yannick Nezet-Seguin, avec qui je me suis liée d’amitié depuis cette production. Devenu un des plus grands maestro du monde, je me rends compte de la chance inouïe que j’ai eue récemment lorsqu’il a accepté de m’aiguiller lors de ma préparation pour mon premier concert en tant que cheffe avec le Studio de Musique Ancienne de Montréal. J’ai également incarné La Musica et Euridice dans L’Orfeo de Monteverdi à Vienne, Stuttgart et Tokyo, et j’ai eu l’immense plaisir de chanter Pamina dans La Flûte enchantée de Mozart en Belgique et Mélisande dans Pelléas et Mélisande de Debussy. En 2017, dans le cadre d’une initiative pour faire renaître l’opéra Nicandro e Fileno de Paolo Lorenzani au Monument-National, afin d’en présenter une version scénique – l’opéra n’ayant été produit qu’une seule fois en version concertante à Versailles en 1681 –, j’ai découvert et j’ai beaucoup aimé tenir le rôle de Filli dans une co-production du Nouvel Opéra avec Francis Colpron et son ensemble Les Boréades. Cependant, je dois avouer que je ne me suis jamais totalement intégrée au monde de l’opéra. Je conserve une prédilection pour le monde du récital, qui offre une grande liberté, ainsi qu’un contact plus intime avec le public.
Dans votre travail d’artiste lyrique, vous donnez une réelle importance à la recherche musicologique. Pourquoi en est-il ainsi ?
Je valorise en effet la recherche musicologique et que l’un de mes grands plaisirs est de fréquenter des bibliothèques où se trouvent une multitude de trésors musicaux. À la British Library de Londres, j’ai le souvenir d’avoir été émue aux larmes en touchant, avec des mains revêtues de gants, mon premier recueil datant du xviie siècle. J’ai également fait, un jour, une très modeste découverte : quelques couplets additionnels du texte Amarilli, mia bella. Qui sait si de futures visites dans les bibliothèques et de nouvelles recherches me feront faire d’autres découvertes !
J’ai travaillé avec des musiciens et musiciennes qui ont également un souci pour l’histoire et la recherche musicologique. Je pense à Stephen Stubbs, avec lequel j’ai travaillé au sein de l’ensemble Tragicomedia ; Bruce Dickey, le directeur de Concerto Palatino ; Erin Headley à la tête de du groupe Atalante ; et Candace Smith qui dirige l’ensemble Artemisia. De mon côté, j’ai enregistré Amor Roma, un album de chants provenant d’un recueil italien autour de 1640 présentés au Cardinal Richelieu. Aujourd’hui, je collaborer avec une collègue qui partage cette passion, la violoncelliste Elinor Frey. Celle-ci a d’ailleurs effectué une impressionnante recherche sur les premières compositions pour violoncelle seul (et avec voix) qui s’est traduite par l’enregistrement de l’album Fioré, dans lequel nous donnons vie à une collection de musique retrouvée dans un centre d’archives en Italie.
Pourriez-vous nous parler de votre travail avec le contreténor Daniel Taylor ?
Nous nous sommes connus au milieu des années 1980 lors d’un concert avec l’ensemble Les Idées heureuses. Ayant découvert que nos voix se mariaient bien, nous avons cultivé par l’écoute cette belle harmonie entre les voix. La magie a souvent opéré et continue de le faire, même si nos voix ont pu changer depuis les premiers concerts effectués ensemble.
Nous avons enregistré plusieurs disques ensemble, dont Primavera avec Les Voix humaines et Love Duets avec Arion, ainsi que plusieurs Cantates de Bach avec Montréal Baroque et le Theatre of Early Music. Travaillant toujours ensemble, nous avons beaucoup de plaisir à nous retrouver, ensemble, sur scène. Enseignant maintenant l’un et l’autre, à l’Université de Toronto pour Daniel et à l’Université McGill en ce qui concerne, il nous arrive d’échanger sur nos élèves et leurs projets. Je dirais que notre relation est fondée sur le plaisir, l’admiration et le respect.
Vous avez plusieurs autres enregistrements à votre actif, y compris de musique acadienne – de quel enregistrement êtes-vous la plus fière ?
D’abord, je dois avouer que je préfère le concert à l’enregistrement ; il y a moins de place à la spontanéité sur disque et le public, dont l’apport à la performance musicale est essentiel pour moi, n’y est pas. J’ai toutefois appris à aimer l’expérience. Je dois également admettre que j’apprécie davantage l’enregistrement lorsque je suis productrice et lorsque je choisis moi-même les œuvres. Au cours d’une séance d’enregistrement, je ne recherche pas la perfection technique. Si une prise n’est pas parfaite vocalement, mais que la phrase est juste dans l’émotion et dans l’intelligence musicale, c’est elle qui se retrouvera sur l’album.
Bien que j’aime beaucoup le disque des Chants de Terre et de Ciel de Messiaen et celui des lieder de Mozart sous la direction de Yannick Nézet-Séguin, s’il faut faire un tel choix parmi la cinquantaine d’enregistrements auxquels j’ai été associée à ce jour, j’opterais pour I am in Need of Music paru en 2013 sous étiquette Centrediscs. Il s’agissait d’ailleurs davantage d’un projet que d’un enregistrement, un projet en plusieurs dimensions que j’ai porté en commandant des œuvres et en les chantant, en y associant le Nova Scotia Symphony et le Blue Engine String Quartet, en levant des fonds par une campagne de socio-financement pour en assurer la réalisation et en participant au DVD intitulé Walking with Elizabeth Bishop qui accompagne l’album.
J’aime cet enregistrement parce que la poésie d’Elizabeth Bishop, Américaine née en 1911 et dont le projet visait à célébrer le centenaire de la naissance, me subjugue et la mise en musique de ses vers par les compositeurs Alasdair Maclean, John Plant, Christos Hatzis et Emily Doolittle, a donné une nouvelle voix aux mots de la poétesse. Celle-ci vécut sa tendre enfance dans une Nouvelle-Écosse qu’elle décrit plus tard à travers plusieurs écrits – et dont l’enregistrement est l’occasion de le faire savoir –, un coin du monde que j’ai aimé à mon tour car j’y suis déménagée pendant la durée du projet… y étant même restée quelques années de plus. Ce projet m’a également rapprochée du milieu littéraire, et me fit pénétrer davantage dans l’univers de la musique contemporaine.
D’autres disques sont également près de mon cœur, en particulier le triptyque de chants acadiens : La Mer jolie : Chants d’Acadie (2000), Tout passe : Chants d’Acadie (2007) et La Veillée de Noël : De la France à l’Acadie (2014). Cette Acadie, mon « pays natal », est toujours au fond de moi et peut-être aurai-je l’occasion d’enregistrer d’autres titres – certaines partitions ayant été retrouvées parmi celles de ma mère !
Vous avez fondé, il y a quelques années, Le Nouvel Opéra, pourriez-vous nous rappeler la genèse de ce projet dont l’un des derniers-nés est la présentation et l’enregistrement de l’opéra Nicandro et Fileno de Paolo Lorenzani ?
Afin de promouvoir la musique composée de l’époque baroque jusqu’au début de l’époque classique, j’ai créé en 2000 l’Académie baroque de Montréal (ABM) avec le claveciniste et chef Alexander Weimann, ainsi que le metteur en scène Guillaume Bernardi. Lieu de haut-savoir et laboratoire d’idées, l’Académie visait à rendre possible, grâce à ses ateliers, une interprétation fidèle à l’œuvre et à son époque. C’est sous son égide qu’a été enregistré l’album Gloria paru en 2001 sous étiquette Atma Classique, qui réunissait des œuvres de Haendel, Bach et Vivaldi.
En raison du fait que les gens confondaient l’Académie baroque de Montréal avec le Festival Montréal baroque – auquel elle a d’ailleurs participé en 2006 –, il a été décidé d’en changer le nom. Inspiré par une magnifique gravure pour l’ouvrage Le Nouvel Opéra de Paris éditée chez Ducher et Compagnie en 1880, l’ABM a été rebaptisée Le Nouvel Opéra. Tout comme sa prédécesseure, cette nouvelle institution a maintenu l’éducation au cœur de ses activités à travers la création d’ateliers et de formations. Le Nouvel Opéra se consacre également à la production d’opéras des époques baroques et classiques, tout en présentant des créations. Avec l’arrivée de Marie-Nathalie Lacoursière au sein de la compagnie, la danse, le théâtre et la commedia dell’arte se sont joints au chant pour créer des spectacles des plus originaux.
Ayant co-produit de tels spectacles avec d’autres organismes, Le Nouvel Opéra a également invité des artistes à réaliser des expériences musicales enrichissantes et rassembleuses, comme ce fut le cas pour l’événement Molière Celebration en collaboration avec le Toronto Masque Theatre en 2010 ; Giulio Cesare de Haendel avec l’Atelier d’opéra de l’Université de Montréal et Le Ballet de l’Impatience de Lully en première mondiale au Festival Montréal baroque en 2011 ; le concert Les Éléments de Rebel au Festival Montréal baroque en 2013 ; le ballet Les Indes galantes ou Les Automates de Topkapi d’après Rameau au Festival de St-Riquier en France en 2014 et à Toronto en 2015 ; la production de Zémire et Azor d’André Grétry avec l’Opéra de Montréal en 2015 ; Nicandro e Fileno de Lorenzani avec Les Boréades en 2017 ; et Mouvance, spectacle multimédia sur poésie acadienne en 2019.
Pouvez-vous nous parler de Mouvance, spectacle que vous avez présenté en Acadie le 4 janvier 2019 et qui était inscrit à la programmation de la neuvième édition du Festival Montréal / Nouvelles Musique (MNM) le 23 février 2019 ? Pourrons-nous bientôt le revoir ?
Deux ans de gestation ont été nécessaires pour la création de cette aventure multimédia avec Jérôme Blais, compositeur québécois installé à Halifax, co-auteur du projet et chargé de la mise en musique de poésies acadiennes. C’est d’ailleurs le titre du poème mouvance de l’Acadien Gérald Leblanc qui a servi d’inspiration pour le nom du spectacle. Ce dernier propose d’entamer une réflexion sur les thèmes du déracinement et de la mouvance au sein d’un voyage migratoire, dans lequel m’ont également accompagnée le metteur en scène François Racine, la scénographe Karen Trask, le cinéaste Phil Comeau ainsi qu’un ensemble de chambre formé de la clarinettiste Eileen Walsh, du guitariste Jeff Torbert, du violoncelliste Norman Adams et du percussionniste D’Arcy Philip Gray. Je crois que l’on pourrait qualifier le résultat de monologue lyrique et, pourquoi pas, d’opéra contemporain dans lequel je chante les textes de dix librettistes, qui, en plus de l’auteur de mouvance, méritent une mention : Georgette LeBlanc, Sarah-Marylou Brideau, Herménégilde Chiasson, France Daigle, Léonard Forest, Céleste Godin, Gabriel Robichaud, Roméo Savoie et Serge Patrice Thibodeau.
Le Nouvel Opéra reprendra ce spectacle lors du Festival acadien de la Nouvelle-Acadie le 14 août 2019 à la salle Julie-Pothier dans la région de Lanaudière. Nous préparons également une tournée internationale pour 2021.
Une dernière question que nous aimons poser aux artistes lyriques qui, comme vous, acceptent de se livrer à L’Opéra – Revue québécoise d’art lyrique. Si un ou une mécène se faisait généreux avec Suzie LeBlanc et lui donnait une somme d’argent astronomique, quel projet chercherait-elle à réaliser ?
Au départ, je serais tentée de vous répondre que j’aimerais voir construire un véritable amphithéâtre lyrique, au Vieux-Port de Montréal, à l’image du Sydney Opera House en Australie. Ou, plus modestement, une salle d’opéra de taille moyenne pour mieux accueillir des opéras baroques ou contemporains.
À bien y penser, j’investirais l’argent dans le création d’un Centre de musique pour femmes. Ce centre deviendrait un lieu de formation pour celles voulant se livrer à la composition, mais également à l’interprétation de la musique de femmes, que ce soit d’œuvres contemporaines ou celles provenant de religieuses européennes, qui ont tant légué au patrimoine musical – et dont j’ai eu la chance de côtoyer lors du récent concert « L’Italie baroque au féminin » du Studio de musique ancienne de Montréal. Et plus près de chez nous, il y a les œuvres des Ursulines et des Augustines composées en Nouvelle-France qui méritent d’être (re)découvertes.
J’y formerais plus particulièrement un Chœur de jeunes filles, afin d’y faire naître une maîtrise qui serait la leur : on y enseignerait les langues, l’histoire et les arts, mais également la danse et le yoga. Une place privilégiée serait accordée à l’étude du chant et à l’acquisition d’habilités comme l’ornementation.
Il s’agirait d’un endroit où seraient valorisées la recherche musicologique, la commande d’œuvres aux femmes, ainsi que la production de séries de concerts, de récitals et d’opéras. Elle disposerait d’une riche collection d’instruments, et aurait, pourquoi pas, son orchestre : un orchestre de chambre, des duos, trios, quatuors et d’autres formations mettant en valeur le talent des femmes qui en seraient également les animatrices.
Ainsi, je lance l’appel aux mécènes, y compris des prochaines et nouvelles générations ! Nous les femmes, répondrons à l’appel et ferons une grande École, qui mettra au service de la musique l’intelligence, la sensibilité et la créativité de celles qui forment… la moitié de l’Humanité !
DISCOGRAPHIE
La discographie de Suzie LeBlanc compte plus de cinquante titres ; une liste complète de ses enregistrements est accessible sur le site de la revue à l’adresse www.revuelopera.quebec. En voici quelques-uns dont il est fait mention dans l’Entretien.