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DOSSIER- Entretien avec Aline Kutan... notre Reine québécoise de la nuit !

DOSSIER- Entretien avec Aline Kutan... notre Reine québécoise de la nuit !

Aujourd’hui professeure au Conservatoire de musique du Québec et à l’École de musique Schulich de l’Université McGill, la soprano Aline Kutan poursuit également une carrière qui l’a amené à ce jour sur les plus grandes scènes lyriques. Admirée pour son rôle de la Reine de la nuit dans La Flûte enchantée de Mozart, elle est également reconnue pour son interprétation du personnage de Lakmé de l’opéra éponyme de Delibes. Son répertoire est très varié comme en font foi les rôles qu’elle a tenus dans les opéras de Salieri (Europa Riconosciuta), Richard Strauss (Ariadne auf Naxos), Wagner (Parsifal), Stravinski (The Rakes’s Progress) et de Britten (The Turn of the Screw), mais également sa participation à la création de l’opéra Les Rois de Philippe Fénelon à l’Opéra de Bordeaux.

Elle se dit intéressée à prendre de nouveaux rôles, comme ceux des reines de Donizetti, de Lucia de Lamermoor du même compositeur et des trois héroïnes dans Les Contes d’Hoffmann. Aimant aussi chanter en concert, elle a abordé à ce jour un répertoire allant de Haendel, Beethoven et Mozart à Mahler, Messiaen et R. Murray Schafer. Elle collabore régulièrement avec l’Orchestre symphonique de Montréal avec lequel elle a pu chanter les Carmina Burana de Orff, la Missa Soleminis de Beethoven, la Symphonie no 8 de Mahler et des versions de concert des opéras Mavra et Le Rossignol et autres sables ainsi que la première québécoise et canadienne de Saint-François d’Assise de Messiaen. Elle a récemment travaillé avec le Quatuor Molinari lors d’un concert à l’occasion duquel était interprété le Quatuor à cordes no 7 pour soprano et percussion.

Dans l’entretien qu’elle nous a accordé dans le lumineux atrium du Conservatoire de musique de Montréal peu de temps après sa participation au concert « Portraits de femmes » d’I Musici, Aline Kutan nous parle de ses origines arméniennes et de ses premiers contacts avec la musique durant son enfance en Turquie, du début de sa formation après son arrivée à Vancouver comme jeune immigrante et de son choix de s’installer au Québec et d’y faire carrière. Elle traite également des « femmes de sa vie », des ses instructrices de chant qui l’ont accompagnée durant son parcours d’artiste. L’Opéra – Revue québécoise d’art lyrique est fier de donner la parole à la « Reine québécoise de la nuit » !  

Vous êtes d’origine arménienne, née en Turquie, et vous y avez vécu jusqu’à l’âge de 10 ans. Pourriez-vous nous parler de votre enfance musicale et de l’influence que vos racines arméniennes – notamment sa musique – ont exercé sur vous ?  

Dès mon enfance, ma famille a tenu à me faire connaître et apprécier la musique arménienne, qui était présente des deux côtés de ma famille, et mes deux grand-mères chantaient fort bien. J’ai également été exposée à la musique en Turquie où j’ai vécu durant les dix premières années de ma vie, comme je l’ai été à l’opéra en écoutant des disques d’Enrico Caruso sur le gramophone de ma grand-maman. Mais, mon initiation à l’art lyrique s’est surtout faite par un ami de mon père, Kevork Boyaciyan, qui était un ténor professionnel. L ‘une des premières œuvres lyriques que j’ai vue, à l’âge de 7 ou 8 ans, a été La Veuve joyeuse de Franz Lehár et je me souviens encore d’avoir entendu l’air de Vilya… que je chante encore aujourd’hui ! Sans doute les sorties au théâtre que m’ont offertes mes parents ne sont pas étrangères au fait que j’ai été plus tard séduite par le théâtre lyrique. Je n’ai toutefois pas eu de formation musicale durant mes années de scolarisation en Turquie, mais je chantais et dansais à chaque récital à la fin de l’année scolaire !  

Vous vous êtes établie avec votre famille à Vancouver et y avez entrepris des études musicales. Pourriez-vous nous parler de ces années de formation et des professeurs qui vous ont initiée à l’art lyrique ?  

Ma famille a en effet immigré volontairement au Canada, mon père - qui parlait français - et ma mère, qui maîtrisait quant à elle l’anglais et l’allemand, étant d’avis que notre vie y serait meilleure et que notre identité arménienne y serait davantage respectée. Le choix de Vancouver semblait avoir été dicté par le fait qu’il s’agissait d’une ville qui avait des ressemblances avec Istanbul, avec ses montagnes et la mer à proximité. Et comme le font généralement les Arméniens et Arméniennes, notre famille s’est bien intégrée à sa société d’accueil et nous avons joué un rôle actif au sein de la communauté arménienne de Vancouver.  

Je dois avouer que l’adaptation a été difficile pour moi et que j’étais malheureuse dans ce nouvel environnement. Ne maîtrisant pas la langue au départ, je n’étais plus première de classe comme en Turquie ! Mais, le temps a bien arrangé les choses. Dans mon cours d’English as a Second Language (ESL), mes camarades d’école secondaire venaient des quatre coins du monde,  d’Allemagne, de Corée du Sud, d’Inde, des Pays-Bas, de Taïwan et du Vietnam. Il y avait aussi une jeune Québécoise ! J’ai ainsi pu apprécier la diversité des origines et mes nouveaux amis et nouvelles amies m’ont ouvert à leurs cultures et traditions.  

Mon professeur d’ESL, qui m’avait un jour entendu chanter, a dit à mes parents que j’avais une belle voix et leur a recommandé de m’inscrire dans une chorale. J’ai ainsi pu chanter pendant plusieurs années dans un chœur de jeunes sous la direction d’une remarquable enseignante, Irene Schmor. Et quelle ne fut pas ma surprise de remporter - à l’âge de 11 ans – un concours en interprétant l’air de Vilya de La Veuve joyeuse ! Et de me voir attribuer une bourse de 250$ pour suivre des cours de chant.  

À cette époque, je me rappelle avoir dit à ma mère que je voulais devenir une chanteuse d’opéra. J’ai d’ailleurs retrouvé un cahier dans lequel l’élève de septième année que j’étais, en 1982, avait répondu à la question « Comment vous-voyez vous en l’an 2000 ? » de la façon suivante : « J’aimerais devenir une chanteuse d’opéra, voyager à travers le monde, avoir un mari, une maison et deux enfants ! ».  

J’ai suivi en parallèle, de 11 à 18 ans, des cours privés avec David Meek, un excellent ténor et professeur de technique vocale. Accompagnée par l’épouse de ce dernier, Sheila Meek, j’ai pu vivre mes premières expériences d’interprète en chantant dans des festivals en Colombie-Britannique. À la fin de mes études secondaires, j’ai pu être admise à la faculté de musique de l’Université de Colombie-Britannique et y ai entrepris des études en chant lyrique. À l’âge de 18 ans, j’ai fait mes premiers pas sur une scène lyrique en incarnant le personnage de Flora dans The Turn of the Screw de Benjamin Britten au Vancouver Opera.  

Vous avez pris la route pour le Québec et poursuivi vos études à l’Université Laval, en particulier avec Louise André. Qu’avez-vous retenu de cette nouvelle étape de votre cheminement lyrique ?  

C’est dans le cadre d’une invitation à venir chanter à Montréal que ma vie a pris un grand tournant. Une rencontre fortuite de mon cousin avec la professeure de chant Cécile Vallée-Jalbert avait amenée cette dernière à venir m’entendre un concert. Elle m’a alors recommandé auprès de l’une de ses collègues, la réputée professeure Louise André qui m’a invitée à poursuivre mes études auprès d’elle à l’Université Laval. Je suis rentrée à Vancouver pour y faire mes valises et j’ai repris la route vers le Québec, ce qui me convenait. Louise André m’a pris sous son aile à l’Université Laval où j’ai reçu une formation qui m’a été si bénéfique.  

Je garde de très beaux souvenirs de mon passage dans cette grande institution universitaire de la capitale nationale où j’ai été si bien accueilli et accepté dans la culture québécoise. Je m’y suis sentie comme un poisson dans l’eau. Durant les deux années où j’ai suivi les enseignements de Louise André, mais également d’autres enseignants et enseignantes d’exception, notamment des cours de dramaturgie de Michel Ducharme et Marc Bégin, j’ai d’ailleurs chanté dans Gianni Schicchi et y ai interprété pour la première fois le rôle de la Reine de la nuit dans La Flûte enchantée de Mozart. Cette production de l’Atelier d’opéra de l’Université Laval a remporté le Prix Opus de la meilleure production de l’année. Pendant mon séjour à Québec, j’ai eu la chance de travailler avec le regretté ténor Yves Cantin et d’y découvrir, en tournée, les villes et régions du Québec avec le spectacle Une Nuit à Naples.  

Cette nouvelle étape de mon cheminement lyrique m’a d’ailleurs placé sur une trajectoire assez particulière. Donnant suite à une suggestion de l’un de mes camarades de classe à l’Université Laval, j’ai passé une audition pour participer à la production de la comédie musicale The Phantom of the Opera d’Andrew Lloyd Webber. Et lors de cette audition, l’on m’a demandé de chanter l’air « O mio bambino caro »… et l’on a retenu ma candidature ! La tournée pancanadienne de cette grande aventure a duré deux ans et j’y ai chanté le rôle de Carlotta, tout en faisant partie du chœur. J’ai beaucoup appris pendant cette période où je chantais parfois à raison de deux représentations par jour, les leçons de technique vocale de Louise André m’ayant été d’un si précieux secours.  

Que vous a apporté la participation à plusieurs concours, et notamment aux auditions nationales du Metropolitan Opera de New York et au Concours international de chant de Toulouse ?  

Les concours sont des exercices qui m’ont permis de constater qu’il fallait encore et davantage travailler pour perfectionner mon art. Ils sont un exercice d’humilité… lorsque l’on n’en sort pas gagnante, comme ce fut mon cas en 1994 pour la première audition nationale du Metropolitan Opera de New York. Ils mettent à l’épreuve notre persévérance, et celle-ci m’a permis de remporter l’audition à mon second essai en 1995.  

Le fait d’avoir remporté plusieurs concours, prix et bourses, tels le Concours de chant de l’OSM,  le Concours Mozart du Canadian Opera Company, la Vancouver Operatic Society Competition, la George London Foundation Awards Competition, le Prix Joseph Rouleau du Concours des Jeunesses Musicales du Canada et la bourse d’étude du Licia Albanese-Puccini Foundation, m’a par ailleurs permis de soutenir financièrement une carrière professionnelle dont la poursuite supposerait des coûts importants et de constater par ailleurs que j’étais prête à entreprendre une telle carrière.  

S’agissant du Concours international de chant de Toulouse à l’occasion duquel j’ai remporté le prix de la meilleure interprétation d’un extrait d’opéra français, celui-ci m’a ouvert à ce répertoire lyrique français que j’affectionne particulièrement, comme en ont fait foi ma participation dans des productions de plusieurs très beaux opéras de ce répertoire, Lakmé de Léo Delibes, Les Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach, L’enfant et les sortilèges de Maurice Ravel, Le Comte Ory die Gioacchino Rossini et La Juive de Fromental Halévy, mais aussi dans l’oeuvre lyrique moins connue qu’est La Colombe de Charles Gounod que j’ai chanté à l’Opéra français de New York.

  Aline Kutan Olympia
Les Contes d’
Hoffmann de Jacques Offenbach
Opéra Royal de Wallonie en Belgique

Parlez-nous de la Reine de la nuit, l’un des rôles les plus exigeants au plan vocal du répertoire lyrique, que vous avez très souvent chanté et ce, dans les plus grandes maisons et festivals lyriques de la planète. Quelle est d’ailleurs votre production la plus mémorable ?  

Je suppose que c’est le rôle qui me définit du fait que je l’ai chanté dans plus de 25 productions et 130 représentations. Il s’agit d’un personne aigre, ambitieuse et manipulatrice, d’une colatura aux notes piquées hypnotiques, qu’il faut rendre complexe et difficile à  saisir. Sans doute, la diagnostiquerait-on aujourd’hui comme une personne maniaco-dépressive qui n’a pu s’accomplir dans la vie. Elle est en constante rupture entre ce qu’elle pense et ce qu’elle ressent. Elle est devenue méchante en raison de ses conditions de vie. Cela prend beaucoup d’énergie pour livrer un tel personnage pour un si court rôle… d’autant que je ne suis pas méchante de nature ! C’est aussi un rôle dangereux car la Reine de la Nuit doit souvent conjuguer avec des effets spéciaux ou revêtir des costumes spectaculaires… mais rendant la locomotion plutôt difficile !  

C’est un rôle que j’ai apprivoisé et dont je me suis senti en possession après l’âge de 30 ans, où peut-être davantage quand je suis devenu moi-même une mère. J’ai beaucoup appris des metteurs en scène qui avaient souvent des avis différents sur la façon de jouer le personnage. J’ai par exemple fini par utiliser le sourire parce que, comme me l’affirmait un metteur en scène avec conviction, les gens mentent en souriant ! Cela m’a aussi aidé à rendre la musique plus facile techniquement. J’ajouterais qu’il s’agit d’un rôle qui permet d’apprendre à devenir une vraie actrice, de réaliser l’importance de la théâtralité à l’opéra. D’ailleurs pour moi, le théâtre la musique doivent être en équilibre dans être en situation d’équilibre dans cette forme d’expression artistique qu’est l’opéra. Il ne faut jamais oublier que le livret donne naissance à la musique, comme nous l’a d’ailleurs rappelé Richard Strauss dans Capriccio.  

S’agissant de l’opéra lui-même, tout en étant œuvre où le merveilleux et le féérique prédominent, on est en présence d’un conte philosophique chargé de symbolisme. Il faut se rappeler qu’il a été composé aux lendemains de la Révolution française dont il épouse les thèmes, et notamment celui de l’accès à la connaissance. L’opéra commence avec un prince qui devient un homme et se conclut avec un homme qui devient un Prince. Certains princes d’aujourd’hui, comme certains chefs d’État en exercice, devraient se laisser inspirer par cet opéra et ses sages enseignements. J’aime moins par ailleurs la façon dont Mozart traite les femmes dans cet opéra car elles sont présentées comme des âmes torturées et des manipulatrices.! Les personnages féminins sont en revanche glorieusement définis dans Le Nozze di Figaro, Cosi Fan Tutte ou Don Giovanni et gagnent à la fin. À bien y penser, le pouvoir féminin et masculin sont juxtaposés pour raconter cette histoire du bien et du mal dans La Flûte enchantée… dont je ne me lasserai jamais de la beauté de la musique !

Si j’ai un très beau souvenir des productions de l’Opéra national de Paris, des Chorégies d’Orange et du Festival de Glyndebourne, mais également celles de l’Opéra de Montréal et de l’Opéra de Québec, celle du Teatro Colón de Buenos Aires en Argentine est pour moi la plus mémorable. Même si j’y étais laide et dure, l’acoustique de la salle était époustouflante et le public était si passionné par cette production que j’avais l’impression de participer à un match de foot ! Sous la direction du chef français Frédéric Chaslin, cette production était musicalement exceptionnelle (NDLR : Un extrait de cette production dans lequel Aline Kutan interprète le célébrissime air « O zittre nicht » peut être visionné à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=cn1GkhqTBEA). J’ai d’ailleurs le souvenir qu’il s’agissait de la troisième production consécutive de La Flute enchantée à laquelle je prenais part en 2011, les deux premières ayant été celles du Canadian Opera Company de Toronto et du Michigan Opera Theater de Detroit.  

Vous avez tenu, il y a quelques années à l’opéra de Montréal le rôle titre dans l’opéra Lakmé de Léo Delibes et l’avez également chanté sur plusieurs autres scènes du monde. Qu’aimez-vous de ce rôle et quels sont les autres rôles que vous aimez (préférez) interpréter ?  

Il s’agit de mon autre rôle fétiche. Je l’ai joué aussi en Allemagne (Badisches Staatstheater de Karlsruhe), aux États-Unis d’Amérique (Arizona Opera et Michigan Opera), en France (Opéra d’Avignon et Opéra de Toulon) ainsi qu’au Canada (Opéra de Calgary) et au Québec (Opéra de Montréal). J’aime le côté naïf et innocent du personnage, mais aussi son courage et sa loyauté, De l’opéra, j’aime son orientalisme et son exotisme, mais aussi et surtout la musique somptueuse de Delibes, qui se décline jusque ce magnifique air final qu’est « Tu m’as donné le plus doux rêve ». Pour ce qui est des autres rôles que j’ai interprétés avec le grand des plaisirs, je vous mentionnerai ceux de Zerbinetta dans Ariadne auf Naxos à l’Opéra de San Carlo de Napoli et au Théâtre Capitole de Toulouse, de Gilda dans Rigoletto et de Violetta dans La Traviata au Green Mountain Festival au Vermont. Je vous surprendrai peut-être en soulignant aussi le rôle d’Anna Trulove dans The Rake’s Progress d’Igor Stravinsky que j’ai chanté aux opéras d’Avignon et de Metz, et dans ce denier cas sous la direction de notre compatriote québécois, le chef Jacques Lacombe.  

La création de l’opéra Les Rois à l’Opéra national de Bordeaux en 2004 dans lequel vous avez tenu le rôle Pasiphaé a-t-elle été une belle expérience dans votre vie lyrique ?  

Oui, ce fut une expérience unique. Travailler avec un compositeur vivant est un privilège surtout quand celui-ci, en l’occurrence Philippe Fénélon, est très sensible à l’égard des interprètes qui participent è la création de son œuvre. J’ai le souvenir que celui-ci m’ait offert de modifier sa partition en raison du fait qu’elle requerrait que j’atteigne un contre-fa dièse. Je lui ai dit que j’en serais capable et qu’il n’était pas nécessaire qu’il change quoi ce soit à sa partition. Il a apprécié. Je me rappelle aussi de cet extraordinaire plateau et de la grande collégialité entre les interprètes et l’équipe de création. J’en garde aussi un beau souvenir car mes parents avaient assisté à cette création et avaient su l’apprécier, bien que leur fille incarnait cette Pasiphaé - mère d’Ariane par son union avec Minos et de Minotaure par son union avec le Taureau - devait incarner une femme hystérique... et que la musique était tout de même difficile !  

Pourriez-vous aussi nous parler de votre visite à Yerevan en Armémie en 2008 pour y interpréter le rôle-titre de l’opéra Anoush du compositeur arménien Armen Tigranian et vous y produire lors d’un concert ?  

Vous pouvez imaginer que pour une Arménienne comme moi le retour dans la patrie de ses ancêtres et une visite dans sa capitale Erevan se sont avérés des moments d’une rare émotion. À cette émotion, s’joutait par ailleurs le défi d’être è la hauteur du rôle-titre de l’opéra Anoush du compositeur arménien Armen Tigranian pour lequel m’avait par ailleurs préparé une production au Michigan Opera où, sous la direction du chef arménien Raffi Armenian, j’avais partagé ce rôle-titre avec ma compatriote Hasmik Papian. L’accueil a été enthousiaste et l’artiste de la diaspora arménienne que je suis a été appréciée tant sur scène que lors du Gala qui a également été organisé à l’occasion de ma visite. Toute la famille m’a accompagné à cette occasion, y compris ma petite fille de deux ans, mais été victime d’une « grippe d’estomac », ce qui n’a pas facilité mon travail… Pendant mon séjour, j’ai aussi pu me rendre visite au « Patriarche suprême et catholicos de tous les Arméniens » dont la résidence se trouve au Saint-siège d’Etchmiadzin. Et j’ai reçu à cette occasion la médaille « Mesrop Machtots »… ce qui a fait chaud à mon cœur d’Arménienne !

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Que pouvez-vous nous dire de votre enseignement au Conservatoire de musique de Montréal et à l’École de musique Schulich de l’Université McGill ? Que pensez-vous de la nouvelle génération d’artistes lyriques que vous avec contribué à former à ce jour ?  

Ayant débuté durant la même année 2009, mes enseignements au Conservatoire et à McGill me procurent un plaisir un réel plaisir. J’y donne des cours de chant, et particulièrement de technique vocale, à un nombre raisonnable d’élèves dans les deux institutions, à raison d’une heure par semaine par élève. J’essaie aussi de leur faire bénéficier de mon expérience et leur rappelle souvent qu’une carrière d’artiste lyrique est davantage une vocation qu’un métier… et qu’il faut avoir le feu sacré ! Je leur rappelle l’importance qui doit être accordé au travail dramatique et qu’il faut apprendre à mettre son âme à nu. Et qu’il faut de même être capable de sacrifices, de s’imposer ainsi un régime de vie très sain et d’accepter de vivre dans ses valises.  

Dans mes enseignements, je suis inspiré par une instructrice vocale qui a aussi contribué à ma formation d’une autre instructrice vocale, Jacqueline Richard dont le décès, il y a deux ans m’a fort attristé. Elle a formé beaucoup des jeunes interprètes ici et en Europe et elle a participé à la création de  l’Atelier lyrique à l’Opéra de Montréal. Elle m’a beaucoup appris - comment aborder des rôles, comment faire vive un personnage à travers le texte et la musique… et comment peindre des mots.  

Durant mes 10 premières années d’enseignement, j’ai constaté que des élèves avaient le feu sacré, d’autres non. J’en ai d’ailleurs deux qui promettent, deux sopranos : Magali Simard-Galdès, dont la carrière progresse très bien et qui s’est à nouveau fait remarquer dans la production de Werther à l’Opéra de Québec cet automne, Elisabeth Boudreault qui a remporté plusieurs prix Jeunes Ambassadeurs Lyriques et a chanté des rôles importants à ce jour ainsi que Rosalie Lane Lépine qui a été appréciée comme Yniold dans la version concert de Pelléas et Mélisande l’an dernier.  

Quels sont vos projets d’avenir ?  

Je compte continuer de m’investir dans mon enseignement et de former une relève lyrique québécoise qui nous fera honneur sur notre scène lyrique nationale et dans les autres grandes maisons d’opéra du monde. J’anticipe le plaisir de chanter lors de deux grands concerts qui seront présentés au dans les premiers mois de l’année 2019 dans le cadre de la saison du Conservatoire de musique de Montréal : d’abord le War Requiem de Benjamin Britten et ensuite les Gloria et Stabat Mater de Francis Poulenc. J’aimerais par ailleurs aborder un nouveau répertoire et je rêve d’ailleurs d’interpréter, un jour prochain, les reines de Donizetti, mais aussi de Lucia de Lamermoor du même compositeur et des trois héroïnes dans Les Contes d’Hoffmann.  

Aimant aussi chanter en concert, j’espère pouvoir collaborer à nouveau avec l’Orchestre symphonique de Montréal avec lequel j’ai pu chanter les Carmina Burana d’Orff, la Missa Soleminis de Beethoven, la Symphonie no 8 de Mahler et des versions de concert des opéras Mavra et Le Rossignol et autres fables ainsi que la première québécoise et canadienne de Saint-François d’Assise de Messiaen. J’ai aussi récemment travaillé avec le Quatuor Molinari lors d’un concert à l’occasion duquel était interprété le Quatuor à cordes no 7 pour soprano et percussion et récidiverais volontiers avec ses instrumentistes d’exception !  

J’aimerais aussi élaborer de nouveaux récitals et travaillerais volontiers avec ces pianistes que j’estime et font vivre la musique que j’aime chanter, qu’il s’agisse de Martin Dubé, Olivier Godin, Pierre McLean et Esther Gonthier.   

 L’un de mes souhaits les plus chers est de préparer des nouveaux enregistrements. Je suis bien fier de mon enregistrement des lieder de Richard Strauss, mais il me semble que je n’étais au sommet de ma voix. Pourquoi des airs de bel canto… mes aigus sont toujours là… jusqu’au contre la ! Et je travaillerais volontiers avec des pianistes dont j’apprécie grandement le travail  

Si vous aviez à votre disposition une somme d’argent illimitée, quel rêve voudriez-vous réaliser ?  

J’aimerais construire une petite maison d’opéra, de 1000 places, et y faire évoluer une troupe de jeunes artistes lyriques professionnels. Et à partir de ce nouvel amphithéâtre lyrique, je voudrais que l’on puisse diffuser ses productions sur diverses plateformes et y faire également des enregistrements. Les jeunes artistes d’ici m’inspirent. Je voudrais que tous les moyens leur soient donnés pour réussir!  

Propos recueillis par Daniel Turp et Gabrielle Prud’homme


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