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QUAND L’OPÉRA PARTICIPE À LA RÉINSERTION SOCIALE

QUAND L’OPÉRA PARTICIPE À LA RÉINSERTION SOCIALE

PHOTO: De gauche à droite, à l’arrière : Michel Legault, Marie-Josée Lejeune, Michel Arsenault et Stéphane St-Louis. Et à l’avant : Katie Miller (Julia, travailleuse sociale) et les chanteurs, Pierre Rancourt (Jean, en situation d’itinérance) et Max van Wyck (Jacques, un professionnel). Jean a été le mentor de Jacques.
(@ JAB Productions, 2017) 

Une idée toute simple, mais forte, porteuse, unique : créer un opéra à partir de l’expérience de vie de gens qui ont vécu une situation d’itinérance. C’est dans la tête de Nicole Blouin qu’a germé ce projet d’Opéra de rue, qui a rapidement pris son envol avec l’implication de l’Opéra de Montréal et de divers partenaires financiers qui ont eu la générosité de soutenir cette entreprise. Inspirée par l’initiative du Streetwise Opera – compagnie britannique qui monte des opéras du répertoire avec des itinérants (imaginez Dialogues des Carmélites chanté par des femmes de la rue !) – Nicole Blouin voulait aller plus loin : elle souhaitait créer et transmettre le vécu de ces personnes qui cherchent à réintégrer la société et qui jouissent du soutien de l’organisme Action-réinsertion Le Sac à Dos. 

Pourquoi faire un opéra alors que ces personnes ont à peine de quoi se loger, se nourrir, se vêtir ? Parce qu’on oublie à quel point ils ont un urgent besoin de se construire une nouvelle identité, de se rattacher à des projets pour se bâtir une nouvelle estime de soi. C’est en ce sens que l’Opéra de rue est devenu essentiel pour ceux qui s’y sont impliqués. 

En octobre 2016, on m’approche pour me demander d’être le compositeur de ce tout premier Opéra de rue. Des artistes majeurs relèvent le défi : le poète José Acquelin se charge du livret, Martine Beaulne, de la mise en scène, Danièle Lévesque, de la scénographie, et la chef d’orchestre Dina Gilbert et son ensemble Akéa se joindront aux chanteurs de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal : une équipe du tonnerre au service de ceux qui n’ont pas de voix. Car, soulignons-le, il faut une grande humilité de la part des artistes : ils sont ici des porteurs, ceux qui transmettent l’oeuvre, qui assurent le passage entre le groupe d’itinérants et le public. Pourtant, si je suis bel et bien le compositeur de cet opéra, je n’avais pas pour autant carte blanche : je devais être au diapason des intentions des participants et trouver par ma musique la meilleure façon de transmettre leurs messages, leurs émotions. 

Le projet a nécessité plusieurs rencontres. Avec José Acquelin, les itinérants ont témoigné de leur expérience de vie, mais ils ont aussi fait part de leurs rêves et de leurs espoirs. Acquelin a d’ailleurs intégré de nombreuses citations tirées de leurs interventions dans son livret, jonglant ainsi entre un réalisme documentaire et une poétique lyrique. Le groupe n’a pas voulu exploiter le misérabilisme de l’itinérance, mais s’est attaqué aux préjugés. C’est peut-être l’aspect qui m’a le plus touché dans cette démarche : plusieurs soulignaient qu’ils avaient connu une vie normale jusqu’à ce qu’un coup du destin les fasse basculer dans la rue. Leur douleur de se faire juger par leurs pairs humains m’a profondément bouleversé. 

Mes rencontres avec les participants ont été l’occasion de connaître leurs intentions et de me familiariser avec leur univers sonore. De ce dernier, j’ai retenu l’atmosphère urbaine (que j’ai instrumentalisée dans l’introduction de l’opéra) et une chanson de Marie-Josée Lejeune, une participante extrêmement impliquée tout au long du processus. J’ai conservé les paroles de sa chanson, écrites en anglais, mais j’ai créé une nouvelle musique afin de transfigurer les émotions initiales. J’ai été très touché lorsque Marie-Josée entendit cette musique pour la première fois et qu’elle m’a pris dans ses bras, les yeux mouillés, en me glissant à l’oreille : « Que c’est beau ». 

Leur désir était de créer une oeuvre porteuse, pleine d’espoir, qui pourrait élever l’âme. Je me suis donc attelé à créer une musique qui puisse transmettre cet idéal de beauté et de bonté. 

D’ailleurs, il y a une anecdote incroyable à propos de la finale de l’opéra. Après avoir terminé la composition, je passe chez José Acquelin pour lui offrir une copie de la partition. Je lui souligne que la finale est une passacaille et que j’ai choisi cette forme en partie pour sa symbolique : le motif utilisé pour une passacaille est un peu comme la vie qui, bien qu’elle puisse prendre diverses formes, poursuit inlassablement son chemin, comme ce motif mélodique à la basse qui, malgré les transformations harmoniques et contrapuntiques propres à cette forme musicale, se répète immuablement. En amoureux des mots, José tend le bras vers son Petit Robert pour connaître l’étymologie de « passacaille ». Quelle ne fût pas notre surprise d’apprendre que le mot provient de l’Espagne de la Renaissance et signifie « passer dans la rue »! 

Quoi de mieux pour clore un opéra de rue ! 

Mon souhait le plus cher est que cet te expérience ne demeure pas sans lendemain, l’opéra que j’ai composé avec José Acquelin, Humanitudes, véhicule une réflexion sur nos préjugés et nos attitudes face à l’itinérance, et interpelle directement les spectateurs. J’espère surtout que d’autres opéras de rue seront créés afin de permettre à de nouveaux participants de s’épanouir dans cette réalisation essentielle !


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