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LA SOCIÉTÉ D'OPÉRETTE DE SHAWINIGAN: SON ASCENSION ÉNERGIQUE ET SA CHUTE!

LA SOCIÉTÉ D'OPÉRETTE DE SHAWINIGAN: SON ASCENSION ÉNERGIQUE ET SA CHUTE!

PHOTO: La troupe dans Frasquita (Lehar), Société d’opérette de Shawinigan inc., Théâtre Cartier, Shawinigan, 1948 

Un peu d’histoire... 
Pour mettre en contexte les conditions qui ont mené à la création d’une société d’opérette à Shawinigan, il est d’abord nécessaire de parcourir un peu l’historique de la ville. À l’origine un grand village, la ville de Shawinigan est off iciel lement fondée en 1901, sous le nom de Shawinigan Falls en raison de chutes abondantes qui permettaient de fournir en électricité plusieurs villes du Québec. Dès 1902, la Shawinigan Water and Power Company installe d’immenses alternateurs parmi les plus forts au monde. Parallèlement, plusieurs industries viennent se greffer à ce noyau. 
La ville connaît alors une effervescence industrielle qui devient propice à tous les espoirs et tous les rêves... C’est dans cet esprit que certains ont compris la nécessité de développer les arts dans la région. Ainsi débutent les premières manifestations artistiques : une première troupe de théâtre amateur, puis l’Union musicale de Shawinigan – qui existe d’ailleurs toujours aujourd’hui et qui, sous la direction du professeur émérite Philippe Filion, contribua grandement à l’éducation musicale des concitoyens de l’époque –, ainsi que des chorales religieuses et ensembles vocaux profanes. En 1937, les mélomanes du Grand Shawinigan voient naître un organisme qui allait leur permettre durant vingt-sept ans d’avoir un contact direct avec les grands noms du monde international de la musique classique et du bel canto : la Société des Concerts de Shawinigan ; elle est en effet soutenue par la puissante et réputée société américaine Columbia Concert Association, qui offre à chacune des sociétés membres un choix d’artistes internationaux dont l’engagement, à titre individuel, aurait été impossible pour les petites villes comme Shawinigan.
Cela donne ainsi la chance à la population d’entendre et d’applaudir un nombre impressionnant d’artistes lyriques tels le ténor Raoul Jobin et le baryton Louis Quilico, et aussi plusieurs instrumentistes et ensembles célèbres, dont le Choeur des Cosaques du Don du Général Platoff et les Grands Ballets canadiens.

La naissance de l’opérette... 
En 1943, Richard Gill, le principal cofondateur de la Société d’opérette de Shawinigan, a l’idée de former un ensemble pour monter des extraits d’opérette. À partir de ces débuts très modestes, des jeunes d’une vingtaine d’années se joignent au projet. 
On forme d’abord de petits ensembles, mais l’organisme croît de plus en plus et ses membres décident en fin de compte d’apprendre une opérette complète af in de la présenter au public dans une salle importante. Ce sera Les cloches de Corneville, de Robert Planquette, à qui reviendra cet honneur et qu’on donne au Théâtre Cartier en 1945. Selon les témoignages de l’époque, la réussite est énorme, « un succès artistique qui dépassa toutes les espérances » ! La troupe étant entièrement bénévole et compte tenu du résultat obtenu, il fallait trouver du financement afin de s’assurer que le mouvement ne s’essouff le pas et même grandisse. Des subventions et des dons sont alors demandés par ces jeunes, mais la réponse n’est pas à la hauteur des attentes... 

Fernand Grenier (Pippo) et Fernande Pellerin (Bettina) dans La Mascotte, 1947

Devant la renommée croissante de cet organisme bénévole, plusieurs autres jeunes ont le goût de se lancer tête première dans cette aventure. Poussés par leur ambition artistique, ces artistes décident alors de former une association, ou société musicale, en bonne et due forme, dans le but « de réveiller le goût de la belle musique et du théâtre français dans l’esprit de nos jeunes, et de se perfectionner tout en divertissant ». Cette association devient la Société d’Opérette de Shawinigan Falls (SOS). Le retentissement de la compagnie s’accroît, et quatre autres oeuvres seront présentées : Au Soleil du Mexique (1946), La Mascotte (1947), Frasquita (1948) et Mam’zelle Nitouche (1949)
Malgré l’enthousiasme suscité par la SOS, la consolidation ne se fait pas sans heurts... Non seulement les membres devaient inlassablement recueillir des fonds afin d’assurer la survie de l’entreprise composée entièrement de bénévoles, mais ils devaient aussi fabriquer les décors de leurs propres mains, avec les conseils de quelques menuisiers ! Et les costumes devant être de qual ité, il n’y avait que dans une métropole comme Montréal qu’on pouvait les trouver ! De plus, monter une oeuvre implique nécessairement le paiement de droits d’auteur, sous peine de sanctions, et ces paiements ne pouvaient attendre. Bref, une entreprise parfois difficile pour ces jeunes sans expérience.
Mais comme rien ne les arrêtait, la plupart des membres de la troupe n’hésitèrent pas à cumuler parfois plusieurs fonctions pour garantir la pérennité de l’entreprise. Par exemple, le fondateur de la SOS, Richard Gill, remplit les fonctions de président et directeur musical jusqu’à La Mascotte en 1947, alors que Yvan Lang devient tour à tour président, trésorier, metteur en scène et chanteur. Dosithé Boisvert alterne dans les fonctions de président, vice-président et chanteur, tandis que Dominique Grenier est à la fois vice-président, chanteur et accordéoniste. Quant à mes parents, Fernand Grenier et Fernande Pellerin, lui est metteur en scène, conseiller et chanteur et elle, directrice musicale, conseillère et chanteuse.

Quelques anecdotes... 
La ville leur avait fourni gratuitement un local en haut du commissar iat de police pour leurs répétitions. Cependant, certains policiers, semble-t-il, dormaient à proximité et se sont plaints d’entendre les voix de stentor de ces jeunes Caruso ! Car dévorés par leur passion commune, les chanteurs de la SOS pouvaient travailler jusqu’à très tard en soirée et même pendant une partie de la nuit ! Or, une récrimination à cet effet est envoyée un jour par un policier à la ville, mais elle est rapidement abandonnée, la municipalité appuyant sans réserve la jeune troupe. Elle s’assure même que le conseil de ville ne siège pas le soir d’une représentation pour permettre aux conseillers d’assister au spectacle ! 
Le rayonnement de la troupe dépassant les frontières de la ville, la SOS est invitée à participer à un grand événement à Québec. En effet, le Conservatoire National de Musique de Québec, qui fête en 1950 le vingtième anniversaire de sa fondation, organise à cette occasion un grand festival d’opérettes avec le concours des principales organisations similaires de la province. Dans une lettre envoyée à la SOS, on vante les mérites de la Société à un point tel qu’on l’invite à présenter une opérette de son choix pendant une grande semaine musicale qui aurait lieu au printemps de 1950 au Palais Montcalm à Québec. Sous le coup de l’enthousiasme, la société accepte, mais le gouvernement ayant refusé d’accorder une subvention pour le festival, les charges devinrent trop lourdes pour la Société d’opérette de Shawinigan qui dut se désister... Et peu après, la Société doit malheureusement fermer boutique. Malgré l’enthousiasme suscité par la SOS, ces jeunes gens vieillissent et entrent peu à peu dans une nouvelle étape de leur vie. L’heure des obligations est venue, celle de trouver le plus souvent un « vrai » métier et de fonder une famille, comme cela se fait normalement à l’époque. Il devient ainsi de plus en plus difficile pour la plupart des membres d’assister régulièrement aux répétitions ; l’assiduité est gage de qualité et de motivation pour quiconque veut se consacrer à une activité artistique. La Société s’essouffla ainsi au point d’être obligée de cesser ses activités en 1949... 
L’aventure de la SOS ne demeura pas sans suite ni conséquences ! Beaucoup de ces jeunes amateurs d’art lyrique trouvèrent d’autres moyens d’assouvir leur passion. Certains chanteront ici et là dans des choeurs, d’autres créeront même leur propre chorale en y devenant directeur musical ou artistique. Par ailleurs et auparavant, si certains citoyens de la ville sentirent le besoin de promouvoir le chant et le théâtre à Shawinigan par diverses autres façons, d’ex-membres de la Société d’opérette de Shawinigan comme mes parents et un certain Dosithé Boisvert1 tentèrent d’aller jusqu’au bout de leur rêve en prenant des cours avec des maîtres réputés...

La passion du théâtre lyrique 
Si L’Opéra Revue québécoise d’art lyrique rend bien compte de l’ef fervescence des chanteurs d’ici et des nombreuses troupes qu’ils fondent, le récit de la trop brève aventure de la SOS tendrait à indiquer que les origines de ce foisonnement remontent loin dans le temps ! Même si l’expérience fut de courte durée et que nul monument ne vient rappeler son existence, l’importante masse de documents légués par mes parents (photos, programmes, contrats, lettres, coupures de presse) apporte la preuve de la qualité du travail réalisé en ce temps-là. Et il reste que ces jeunes passionnés ont su transmettre à leurs descendants leur passion pour l’art lyrique… à commencer par l’auteur de ces lignes ! 


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