Critiques

Elias de Mendelssohn : inauguration grandiose du Festival Bach

Elias de Mendelssohn : inauguration grandiose du Festival Bach

Photo de couverture : Samy Moussa, Elias, Festival international Bach Montréal, 2025

Pour le concert d’ouverture de son édition 2025, le Festival International Bach Montréal a eu l’idée lumineuse de présenter Elias, chef-d’œuvre de Mendelssohn dans lequel le compositeur s’inscrit dans la lignée du cantor de Leipzig tout en renouvelant le genre de l’oratorio grâce à son génie musical et à son instinct dramatique très sûr. Si l’œuvre est rarement jouée, le hasard des programmations a fait en sorte que cette exécution remarquable avait lieu quatre mois après celle donnée à Lanaudière par l’Akademie für Alte Musik de Berlin.

L’immense réussite de ce concert à marquer d’une pierre blanche réside d’abord dans la direction de Samy Moussa, que l’on connaît surtout comme compositeur, mais qui se révèle aussi un chef d’une trempe exceptionnelle. À la tête de l’orchestre et du chœur du Festival, il atteint des sommets de précision et d’émotion tout en imprimant sa forte empreinte sur une partition que, de toute évidence, il a longuement fréquentée. Dès la splendide ouverture et le chœur désespéré « Hilf, Herr ! », on est saisi par l’intensité de l’interprétation, qui nous plonge dans une atmosphère digne des plus grands opéras du répertoire. Car il s’agit ici d’un véritable drame, qui voit s’opposer dans un combat aux dimensions cosmiques le prophète de Jéhovah et les adorateurs du dieu Baal, avant qu’Élie, au terme de son existence terrestre, ne soit emporté au ciel sur un char de feu. Doté d’un infaillible instinct dramatique, Moussa détaille chacun des épisodes de cette grande fresque sonore avec une ardeur peu commune. À cet égard, on retient en particulier le spectaculaire chœur des prêtres de Baal (« Baal erhöre uns ! ») et le grandiose chœur d’action de grâce « Dank sei dir, Gott », qui conclut avec éclat la première partie.

Il convient ici de souligner l’excellence des 32 choristes qui, dirigés par Jean-Sébastien Vallée, accomplissent des prodiges, aussi bien dans l’expression de la déréliction que de l’extase religieuse. À cet égard, les membres du chœur participant au double quatuor (« Denn er hat seinen Engeln ») et au trio des anges (« Hebe deine Augen auf ») sont superbes d’émotion contenue et auraient mérité d’être identifés dans le programme.

En Elias, le baryton allemand Konstantin Ingenpass est tout simplement sensationnel : appelé à la rescousse pour remplacer à la dernière minute Matthias Winckhler, il possède une magnifique voix aux riches harmoniques qui sait traduire avec une rare éloquence les différents états d’âme du prophète. Autoritaire, colérique, méditatif, plein de compassion, il s’avère toujours parfaitement juste. D’une puissance impressionnante dans les moments de rage, son instrument se fait bouleversant dans « Es ist genug ! », d’une tristesse abyssale. C’est à juste titre que le public enthousiaste l’a chaleureusement acclamé à l’issue du concert. 

À ses côtés, le ténor Patrick Grahl, doté d’un timbre clair et agréable, fait preuve de beaucoup de dignité et d’une belle suavité dans l’air d’Obadiah (« So ihr mich von ganzem Herzen ») et ses autres interventions. Avec sa voix aux couleurs juvéniles, la soprano Mireille Asselin est non seulement un ange adorable mais rend justice à la grande scène de la deuxième partie (« Höre, Israel »), composée pour Jenny Lind. L’alto Mireille Lebel est pour sa part extrêmement convaincante en veuve de Sarepta qui voit son fils revenir à la vie, puis en impitoyable reine Jézabel, qui souhaite la perte du prophète. Son somptueux timbre opulent se marie enfin avec bonheur avec celui de la soprano dans le duo des deux femmes (« Zion streckt ihre Hände aus ») et dans les autres ensembles. Seule ombre au tableau de cette soirée admirable, le choix du petit chanteur du Mont-Royal dans le rôle de l’Enfant, dont les interventions en fin de la première partie tombent complètement à plat. Est-ce en raison d’une préparation insuffisante ou d’une méforme passagère du jeune garçon ? Toujours est-il que seules quelques rares notes émises de la façon la plus étrange sont audibles. Cela étant dit, cette réserve n’atténue en rien notre enthousiasme face à un concert mémorable qui aurait mérité un public nettement plus nombreux.

Photographie : Antoine Saito

Elias, Festival international Bach Montréal, 2025

Elias

Oratorio de Felix Mendelssohn en deux parties sur un livret d’après la Bible

Production
Festival Bach de Montréal
Représentation
Maison Symphonique , 21 novembre 2025
Chef de chœur
Jean-Sébastien Vallée
Direction musicale
Samy Moussa
Instrumentiste(s)
Orchestre du Festival international Bach Montréal, Choeur du Festival international Bach Montréal, Petits Chanteurs du Mont-Royal
Interprète(s)
Mireille Asselin (soprano), Mireille Lebel (alto), Patrick Grahl (ténor) et Konstantin Ingenpass (baryton)
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