Les veilleuses, un rituel musico-chorégraphique bienveillant

Crédit photo: Emily Gan
Le 24 septembre dernier, et pour un soir seulement à la Salle Bourgie, une réunion artistique inédite a permis la rencontre de publics issus à la fois du monde de la musique contemporaine et de la danse. La compagnie de musique et de danse de création AMOUR AMOUR, dirigée par Romain Camiolo et Simon Renaud, s’est associée à Chants Libres et à la compagnie de danse inclusive Corpuscule Danse pour créer un tout nouveau spectacle intitulé Les veilleuses. Réunissant six chanteuses (Marie-Annick Béliveau, Salomé Karam, Kathy Kennedy, Elizabeth Lima, Hélène Picard et Ellen Wieser) et trois danseuses (Marie-Hélène Bellavance, Nasim Lootij et Ingrid Vallus), cette nouvelle proposition artistique a entraîné son public dans une lente fresque collective et rituelle aux accents de sororité et de solidarité.
L’œuvre se divise en six tableaux musicaux – composés par Camiolo – que la danse – chorégraphiée par Renaud – parcourt en sollicitant tantôt les trois danseuses, tantôt toutes les artistes ; le mouvement fait partie intégrante de l’œuvre, même à travers les moments de grande lenteur, voire d’immobilité. À travers les différents morceaux chantés alternativement par le groupe ou des solistes, un fil rouge se dégage : l’interprétation, sous différents angles, de la chanson traditionnelle Blanche comme la neige, répandue en des centaines de versions en différents endroits du monde. La chanson raconte l’histoire de la belle endormie sur un lit de roses, courtisée par des capitaines. L’un d’eux l’emmène à Paris pour ravir son honneur, mais la jeune fille meurt le soir même. Son père, qui passe près de sa tombe trois jours plus tard, l’entend qui l’implore de la libérer : elle a fait la morte pour se préserver. Comme expliqué dans le programme, la chanson est ici mise en relation avec un collectif de femmes qui se protègent les unes les autres et à qui rien de mal ne peut dès lors arriver. D’autres chansons et mélodies, sur des textes originaux de l’autrice Laurence Leduc-Primeau, se mêlent à la trame du spectacle, donnant à entendre et à apprécier les voix diverses qui le constituent : les chanteuses lyriques Béliveau, Karam, Picard et Wieser côtoient ainsi les vocalistes expérimentales Kennedy et Lima. Une trame électronique minimaliste vient de temps à autre soutenir la partie vocale, à la manière d’un drone sonore.
Ce qui frappe d’emblée dans Les veilleuses, c’est la richesse harmonique des arrangements proposés par Camiolo : si Blanche comme la neige existe en une multitude de versions, le spectacle donnait un aperçu plus que convaincant du kaléidoscope musical qu’elle constitue. C’était plein de couleurs, mais également de textures, à travers un intéressant jeu de combinaisons des timbres vocaux. Il s’agissait d’un décor très riche permettant à la chorégraphie de se déployer, dans laquelle les danseuses ont pu exprimer une gestuelle singulière, en phase avec la fluidité de la musique mais aussi parfois brusque, saccadée, tremblante. En tous les cas, le groupe était toujours là pour tenir l’espace, pour contenir l’intensité du geste.
En termes de rythme, Les veilleuses étonne par son statisme – surtout dans son dernier tiers –, malgré tout le mouvement musical et corporel qui s’y déploie. Il n’y a pas de développement particulier, on parcourt l’œuvre dans une forme de temps suspendu. Le silence et la lenteur y prennent pleinement leur place, il peut être confrontant d’y adhérer. J’aurais apprécié un peu plus de densité, par moments. L’esthétique proposée a, quant à elle, quelque chose de mythologique, voire d’un peu suranné : le spectacle s’ouvre sur une chaîne humaine ludique et rieuse, évoquant une ronde de nymphes vêtues de robes jaunes et dorées. Je me suis demandé si ce n’était pas un peu convenu, si on n’essentialisait pas une forme de solidarité féminine conçue comme immémoriale. La question reste ouverte à ce jour.
En somme, Les veilleuses offre de très belles promesses. L’œuvre invite à se déposer, à entrer en amitié avec ses protagonistes, à onduler avec elles, à participer à cette sororité. Elle ouvre des espaces sonores amples et colorés dans lesquels il fait bon choir. Elle propose de la création à travers des contours peut-être un peu vieillots, mais dont l’actualité persistante étonne et séduit. On lui souhaite tout le rayonnement qu’elle mérite.
Les veilleuses
Spectacle de Simon Renaud (chorégraphie et conception) et Romain Camiolo (musique), avec des textes de Laurence Leduc-Primeau
- Production
- AMOUR AMOUR et Chants Libres, en partenariat avec Corpuscule Danse
- Représentation
- Salle Bourgie , 24 septembre 2025
- Direction musicale
- Romain Camiolo
- Interprète(s)
- Marie-Hélène Bellavance, Marie-Annick Béliveau, Salomé Karam, Kathy Kennedy, Elizabeth Lima, Nasim Lootij, Hélène Picard, Ingrid Vallus, Ellen Wieser
- Livret
- Laurence Primeau-Leduc
- Mise en scène
- Simon Renaud