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Critique - Un Don Giovanni figé dans le passé

Critique - Un Don Giovanni figé dans le passé

Photo de couverture : John Brancy (Don Giovanni), dans Don Giovanni, Opéra de Montréal, 2025

L’Opéra de Montréal ouvrait sa nouvelle saison avec un classique du répertoire : Don Giovanni de Mozart. Une production esthétiquement soignée, avec décors, costumes et perruques à l'ancienne, mais qui pose par conséquent une question essentielle : comment faire de l’opéra un art contemporain avec une telle proposition ?

C’est qu’il y a vraiment un décalage déroutant entre le discours publicitaire et l’esthétique du spectacle. On nous dit à quel point l'opéra de Mozart est encore d’actualité (pensons au concept publicitaire de la saison, où on découvre le séducteur recevant des menaces par texto sur son téléphone), mais le spectacle nous est servi dans un carcan vieillot, voire ringard, avec moult perruques poudrées.

Soyons honnête, le travail du metteur en scène a été adroit. Stephen Lawless, qui avait grandement impressionné dans Les Noces de Figaro en 2023, règle ici une partition scénique bien rodée, qui ne manque pas de rythme et qui intègre avec un dosage adéquat l’humour au drame. Un travail bien fait, sans plus, car toute la portée encore d’actualité de l’œuvre se noie dans ce qu’il y a de plus vieux jeu du côté du spectacle. C’était peut-être la norme en 1950, mais là, nous sommes en 2025 !

Sur les scènes de théâtre, on joue encore aujourd’hui les chefs-d’œuvre de Molière et de Shakespeare sans pour autant sombrer dans une attitude muséale du côté de la mise en scène. Leurs propos, s’ils sont universels – donc encore d’actualité – sont magnifiés par une vision théâtrale toute contemporaine. Et lorsque l’on choisit une esthétique d’époque, elle est (généralement) justifiée ou contextualisée, assumée ou nuancée, critiquée ou fantasmée. Bref, rien de gratuit.

Ici, on pourrait croire à la gratuité de l’intention : c'est un vieil opéra, on va le faire d’une vieille façon ! C’est bien fait, certes, mais en quoi cela résonne pour le public d’aujourd’hui ? (Et je n’ose même pas aborder la question du renouvellement et du développement des publics, tant l’enjeu est complexe et que cette production n’aide en rien à la réflexion sur le sujet !) Je ne dis pas que tout doit être modernisé à outrance (il ne faudrait pas sombrer dans l’excès contraire), mais il y a certainement place à une vision plus contemporaine et pertinente qui ne dénature pas l’œuvre et qui soit porteuse pour le public d’aujourd’hui.


Andrea Núñez (Donna Elvira), Ruben Drole (Leporello) et John Brancy (Don Giovanni), dans Don Giovanni, Opéra de Montréal, 2025

Musicalement, la distribution était certes inégale, mais pas inintéressante. La plupart tiraient bien leur épingle du jeu, avec différents atouts selon les artistes concernés. Dans le rôle-titre, John Brancy démontrait une grande agilité scénique et un jeu convainquant. Une belle voix aussi, mais qui manquait un peu d’éclat et de projection. Tout le contraire de Ruben Drole qui lui projetait une voix riche et chaleureuse, réussissant l’impossible : habiter l’espace acoustique de Wilfrid-Pelletier. Ce contraste ternit un peu les jeux de pouvoir être le serviteur et son maître, le premier semblant plus triomphant que l’autre...

Du côté féminin, Kirsten LeBlanc est une excellente Donna Anna, et Sophie Naubert offre une très bonne interprétation du rôle de Zerlina. Ces deux artistes nous ont prouvé leur constance vocale et leur finesse de jeu de façon éloquente. Dans la peau de Donna Elvira, Andrea Núñez a débuté la soirée avec quelques hésitations, avant de s’ancrer plus adéquatement après l’entracte. Mettons cela sur le dos du trac d’un soir de première, car nous savons que cette chanteuse a un talent indéniable.

William Meinert a été un bon Commandeur, avec la voix et la teneur scénique adéquates pour ce rôle. Le reste de la distribution masculine ne se démarquait peut-être pas de façon flamboyante, mais restait d’un bon niveau. Dans la fosse, Kensho Watanabe dirigeait avec souplesse et vivacité la partition, confiée ici à I Musici version augmenté (et de beaucoup, puisque l’orchestre mozartien ne se contente pas que de la dizaine d’interprètes qui forme le cœur de cet orchestre de chambre). On regrettera néanmoins que l’acoustique exécrable de la salle (et une amplification d'ambiance trop discrète) nous donnait l’impression que l’orchestre jouait derrière d’épais rideaux.

Voilà donc un Don Giovanni correct, qui a surtout comme principal boulet d’être d’un conventionnel accablant. Espérons que cela ne devienne pas la norme pour le reste de la saison !


Ruben Drole (Leporello), John Brancy (Don Giovanni), Sophie Naubert (Zerlina), dans Don Giovanni, Opéra de Montréal, 2025


Photographie : Vivien Gaumand

Don Giovanni

Opéra en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo Da Ponte

Production
Opéra de Montréal
Représentation
Wilfrid-Pelletier , 27 septembre 2025
Direction musicale
Kensho Watanabe
Instrumentiste(s)
I Musici de Montréal, Chœur de l’Opéra de Montréal
Interprète(s)
INT : John Brancy (Don Giovanni), Ruben Drole (Leporello), Kirsten LeBlanc (Donna Anna), Anthony Gregory (Don Ottavio), Andrea Núñez (Donna Elvira), William Meinert (Le Commandeur), Matthew Li (Masetto), Sophie Naubert (Zerlina)
Mise en scène
Stephen Lawless
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