CRITIQUE – Le début d’un temps nouveau ?
Natasha Henry (Missia), dans La veuve joyeuse, Opéra bouffe du Québec, 2025
C’était un soir de double première à l’Opéra Bouffe du Québec ! Première représentation de La veuve joyeuse, valeur sûre du répertoire, et première présence dans la fosse du nouveau directeur musical et artistique de l’OBQ, Julien Patenaude… une valeur sûre à sa façon ! En effet, le chef d’orchestre débutant peut se vanter d’une feuille de route fort impressionnante. Né dans une famille de musiciens, il étudie le violon, le chant, fait un bout de carrière en tant que baryton soliste, avant de co-fonder le quatuor vocal Quartom et de compléter une formation en écriture à l’École Nationale de l’Humour. Avec cette carrière sous le signe du rire et de la musique, Julien Patenaude est tout à fait à sa place ici. Sa direction attentive et compétente s’est sûrement assouplie au cours des représentations subséquentes.
On devine qu’il n’a pas eu le temps, depuis son arrivée en poste, d’imprimer sa marque sur la compagnie lavalloise. En tout cas, le spectacle auquel on a assisté le soir de la première est en tout point comparable à ceux des années précédentes, avec les mêmes grandes qualités et les mêmes petits défauts… mais serait-il permis de rêver à mieux encore pour les années à venir ?
Un des plaisirs de la soirée, c’est de regarder évoluer les choristes, enthousiastes et énergiques ! Il faut les voir tourner au rythme de la valse du premier acte, tout en chantant les harmonies quand même raffinées de Lehár, et on admire leur aplomb dans la danse folklorique de l’acte 2, mise au point par Geneviève Lauzon, agrémentée des flamboyants costumes de Diana Ratycz.

La veuve joyeuse, Opéra bouffe du Québec, 2025
L’autre plaisir évident, c’est de découvrir de nouveaux artistes lyriques. L’OBQ a le mérite de donner leur chance à plusieurs jeunes interprètes. Ici, c’est Natasha Henry qui se révèle dans le rôle-titre, dont elle possède toutes les qualités, à commencer par une belle voix dont elle se sert avec intelligence, et une aisance en scène à laquelle il ne manque qu’un peu d’expérience pour atteindre la pleine mesure du personnage.
Comme il n’a pas chanté depuis un moment avec l’OBQ, on peut parler de Dominic Lorange comme d’une découverte, même s’il est loin d’être un débutant. Ce professionnel habitué des comédies musicales fait valoir toute son expérience dans le jeu et la diction. Son Popoff, sautillant et grimaçant, est ridicule à souhait.
On retrouve avec plaisir Amélie Baland-Capdet, découverte dans La vie parisienne de l’an dernier. Elle chante toujours fort bien, mais sa Nadia semble bien sérieuse. Emmanuel Hasler, qui joue son soupirant Camille, ne fait rien pour l’aider, lui dont la voix puissante suggère plutôt le vérisme italien que l’opérette viennoise. Le marivaudage de ce couple d’amoureux aurait pu nous faire sourire davantage.
Pierre Rancourt qui interprète Danilo trouve le juste équilibre entre une allure princière et un humour pince-sans-rire. Souvent confié à des ténors, le rôle a mis en difficulté bien des barytons, mais Rancourt négocie avec beaucoup d’intelligence et d’habileté les pièges de la tessiture, tout en valsant avec élégance et en jouant de manière convaincante.
Dans les petits rôles de Lérida et D’Estillac, Andoni Iturriria et Patricia Yates s’amusent beaucoup, tout autant que le comédien professionnel Richard Fréchette, qui apparaît devant le rideau pendant les changements de décor et converse nonchalamment avec le chef (leurs interventions manquant cependant un peu de structure et de punch).

Amélie Baland-Capdet (Nadia) et Emmanuel Hasler (Camille), La veuve joyeuse, Opéra bouffe du Québec, 2025
Était-ce la nervosité d’un soir de première ? Il nous a semblé que les chanteurs se plaçaient un peu trop systématiquement à l’avant-scène, quasiment en tête-à-tête avec le chef, souvent sans même regarder leurs partenaires. Certains déplacements d’ensemble laissaient Missia disparaître dans la foule, à des moments où tous les yeux du public auraient dû être dirigés vers elle. Plus loin, les choristes auraient pu se faire discrets plutôt que d’écouter avec attention les échanges intimes entre les personnages principaux en avant-plan. Enfin, les micros suspendus, pourtant nombreux, nous renvoyaient un son plus inégal que d’habitude, tandis que l’orchestre enterrait un peu trop souvent les chanteurs.
Une fois le rideau fermé, le public était ravi, donc rien de tout cela n’est très grave. En tout cas, rien qu’un nouveau directeur musical ambitieux ne sache régler pour la prochaine production, qu’on suivra avec beaucoup d’intérêt !
Photographie : Bonnalie Brodeur
La veuve joyeuse
Opérette en trois actes de Franz Lehár, livret de Victor Léon et Leo Stein, version française de Robert de Flers et Gaston Arman de Caillavet.
- Production
- Opéra bouffe du Québec
- Représentation
- Théâtre des Muses, Maison des Arts de Laval , 25 octobre 2025
- Direction musicale
- Julien Patenaude
- Instrumentiste(s)
- Chœur et Orchestre de l’OBQ
- Interprète(s)
- Natasha Henry (Missia), Pierre Rancourt (Danilo), Emmanuel Hasler (Camille), Amélie Baland-Capdet (Nadia), Patricia Yates (D’Estillac), Andoni Iturriria (Lérida), Dominic Lorange (Popoff), Richard Fréchette (Figg)
- Mise en scène
- Alain Zouvi

