COMPTE RENDU – Roozbeh Tabandeh, Paramirabo, Chants Libres, Le Vivier – Création de Songs of the Drowning
Le 15 octobre dernier, plusieurs organismes de création, production et diffusion en musique contemporaine se sont réunis pour donner à entendre la création de la toute nouvelle œuvre du compositeur et directeur artistique irano-canadien Roozbeh Tabandeh, Songs of the Drowning. Projet multidisciplinaire ambitieux, Songs of the Drowning se présente comme une mise en musique d’un cycle poétique du compositeur Sandeep Bhagwati, inspirée notamment par les œuvres de l’artistes visuel Khosro Berahmandi. L’équipe artistique réunie autour du projet est considérable, avec la collaboration de l’artiste visuel numérique Hadi Jamali, de la scénographe Haleh Vedadi et du concepteur d’éclairage Mateo Barrera. La partie instrumentale était assurée par l’Ensemble Paramirabo additionné de musiciens invités (Lyne Allard à l’alto et Pierre-Olivier Maranda à la contrebasse) et dirigé par la cheffe Mélanie Léonard.

Songs of the Drowning, Chants libres et Le Vivier, 2025
Je ne crois pas me tromper en affirmant que l’œuvre était attendue, non seulement en raison de l’ampleur de sa proposition. Roozbeh Tabandeh est un compositeur actif et réputé depuis plusieurs années, dont la notoriété s’est consolidée dans la dernière année alors qu’il a remporté deux prix à l’édition 2025 des Prix Opus, soit « Découverte de l’année » et « Inclusion et Diversité ». Mettre en musique des poèmes de Bhagwati, compositeur émérite notamment honoré lors de la saison 2023-2024 de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ), constituait par ailleurs un acte de lignage artistique important.
Songs of the Drowning : les chants des noyés (ou de ceux qui se noient). La noyade traduite en mots par Bhagwati peut être interprétée au sens littéral comme métaphorique. Il est difficile de ne pas y voir la parole effacée des réfugiés perdus en mer, mais il est aussi possible d’y voir une réflexion sur toutes nos noyades dans un monde autophage. Si le propre de la noyade est d’avaler la parole, Bhagwati propose de la faire résonner, d’injecter du sens et de la poésie dans ce qui nous engouffre. Lors de la création, la partie vocale était assurée par un trio formé par la soprano Virginie Mongeau, l’alto Gabrielle Cloutier et le baryton Alasdair Campbell, auquel s’ajoutait la voix enregistrée de la chanteuse iranienne Mahya Hamedi, basée à New York. Au cours de la performance, les segments du poème étaient fragmentés et répétés, souvent en différentes langues : français, anglais, allemand et farsi.
Chaque poème (au nombre total de neuf) est traduit en un tableau musical aux contours et aux textures assez clairement définis, conférant à la musique une qualité cinématographique. À partir d’un premier tableau à l’accompagnement filé et aérien, l’ensemble gagne graduellement en intensité, à la fois sur le plan rythmique et sur celui des dynamiques – je souligne à cet égard un passage phare évoquant sans détour la Danse sacrale tirée du Sacre du printemps de Stravinsky. La conclusion de l’œuvre, qui correspond au passage d’un « Nous, les noyés » à un « Vous, les noyés », offre le calme après la tempête. La progression musicale de l’œuvre est soutenue par le travail visuel de Berahmandi et Jamali, des peintures aux allures de collage mettant en scène des créatures singulières aux côtés de segments vidéo éthérés. La scénographie de Vedadi confère par ailleurs une incarnation spatiale au déroulement de la pièce, à travers la manière dont les interprètes se masquent, se démasquent et bougent sur scène, aux côtés de grands cubes blancs qui structurent l’espace.

Mélanie Léonard dans Songs of the Drowning, Chants libres et Le Vivier, 2025
Considérant l’ambition artistique de la proposition, il y a de quoi se surprendre qu’elle n’ait fait l’objet que d’une représentation – le lot de tellement de créations, me direz-vous. Je ne peux dès lors que souhaiter à Songs of the Drowning une résonance qui rende justice à son envergure artistique.
Affiche : Chants libres et Le Vivier
Photographie : Alexandre Guay et Claude Précourt
Songs of the Drowning
Pièce de Roozbeh Tabandeh sur un texte de Sandeep Bhagwati (traduction française de Cynthia Dupuis)
- Production
- Roozbeh Tabandeh, Paramirabo, Chants Libres et Le Vivier
- Représentation
- Espace orange de l'Édifice Wilder , 15 octobre 2025
- Direction musicale
- Mélanie Léonard
- Instrumentiste(s)
- Ensemble Paramirabo et invités
- Interprète(s)
- Virginie Mongeau, Gabrielle Cloutier, Alasdair Campbell
- Mise en scène
- Khosro Berahmandi, Hadi Jamali, Haleh Vedadi, Mateo Barera

