Un troisième récital de la ROQ à l’Opéra Haskell - Entre deux pays, entre deux univers : Une soirée lyrique sur la frontière

Dans le cadre de son format « Soirée lyrique à l’Opéra Haskell », la Réunion des opéras du Québec (ROQ) présentait pour la troisième fois, le 30 août dernier, un spectacle sur la frontière canado-américaine. En effet, la salle de l’Opéra Haskell, située à la frontière sud du Québec, à Stanstead, est à cheval entre le Vermont et le Québec. Construite entre 1901 et 1904, cette salle centenaire a su conserver son cachet d’antan, offrant un espace intime au charme indéniable. Le bâtiment abrite également la Bibliothèque Haskell, située à l’étage inférieur, qui a été fortement médiatisée ces derniers mois en raison de tensions politiques opposant les deux nations. Toutefois, lors de cette soirée lyrique, les frontières se sont effacées et nous avons voyagé à travers les pays et les époques.
Cette représentation nous a offert de grands airs d’opéra : de La Flûte enchantée de Mozart, de La Traviata de Verdi et du populaire opéra Carmen de Bizet. Après quelques autres extraits tirés de différents opéras, nous avons changé de registre pour nous tourner vers celui de la comédie musicale. Cette transition, bien que discrète, a apporté tout de même un vent de fraîcheur aux couleurs jazzy. Le tout s’est conclu avec différents airs de comédies musicales tels que « I’ve Never Been in Love Before », tiré de Guys and Dolls de Frank Loesser, ou encore « You’ll Never Walk Alone », extrait de Carousel de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein.
Ce programme mettait en vedette la soprano Susan Elizabeth Brown, le baryton Geoffroy Salvas ainsi que la pianiste Meagan Milatz. Il va sans dire que le caractère intimiste de la salle convenait parfaitement à cette petite formation. Si, par moments, la voix ample du baryton dominait celle, perçante, de la soprano, le duo se complétait néanmoins très bien et témoignait d’une belle complicité. Ses chorégraphies menues, mais sincères, laissaient entrevoir la relation que les deux interprètes partagent en tant que couple. La pianiste, malgré un bourdonnement occasionnel de l’instrument, a su garder son sang-froid et ne s’est pas laissée déconcentrer. Par moments, la richesse harmonique des cordes que l’on retrouve dans La Flûte enchantée ou encore dans La Traviata aurait pu enrichir l’expérience sonore. Toujours est-il que le caractère percussif du piano convenait à merveille à Carmen, tandis que son timbre feutré dans les graves accompagnait avec douceur les moments les plus tendres.
La mise en scène, discrète et statique, aurait gagné à être davantage travaillée. De même, quelques changements vestimentaires au fil du spectacle auraient permis une immersion plus complète dans chaque univers en plus d’agrémenter l’expérience théâtrale. Cependant, cette simplicité avait pour mérite de diriger notre attention sur l’essence musicale et de mettre en valeur la beauté intemporelle de la salle, au détriment toutefois d’une mise en scène pleinement aboutie.
La première partie du spectacle qui était plutôt opératique fut un succès. Pensons à la délicatesse et à la simplicité de l’air « Bei Männern, welche Liebe fühlen » de Mozart, qui fut interprété avec brio comme première pièce du spectacle. Ce duo iconique de La Flûte enchantée célèbre l’amour, pourtant, il est chanté par Papageno et Pamina (deux personnages ne s’aimant pas entre eux !). Ainsi, en étant distants, mais tendres, les interprètes ont été justes dans l’incarnation des personnages et du message de cet air. De plus, ils ont fait preuve d’une remarquable justesse et ont laissé place à des nuances subtiles et bien dosées. Ensuite, dans la succession d’airs du deuxième acte de La Traviata, nous avons été transportés dans un grand crescendo de virtuosité, d’émotions et d’intensité. Le jeu pianistique était tout simplement à couper le souffle. Il a gardé les spectateurs en haleine et en admiration jusqu’au silence final.
Les chanteurs ont, eux aussi, délivré une performance de haut calibre, voguant avec aisance sur cet émouvant défoulement de rythmes et de notes. Enfin, la voix profonde, mais claire du baryton Geoffroy Salvas convenait à merveille au Toréador confiant de Carmen dans « Votre toast, je peux vous le rendre ». Dans la même lignée, la soprano Susan Elizabeth Brown a su entrer presque instantanément dans la peau de la séductrice Carmen dans l’air « Habanera ». Sa démarche, sa prononciation claire et articulée de même que son vibrato collaient à merveille à la peau du personnage.
La seconde partie du spectacle, davantage axée sur la musique de comédies musicales, présentait quant à elle quelques points faibles. Si, dans « I’ve Never Been in Love Before », le chant lyrique offrait une version profonde et séduisante, il conférait à La Quête de Jacques Brel (adaptation française de « The Impossible Dream » dans Man of La Mancha, de Dale Wasserman) une ampleur nouvelle, mais au prix de son aspect poignant et déchirant. De plus, l’ensemble manquait d’animation scénique dans cette seconde partie, ce qui a rendu les prestations moins engageantes sur le plan visuel. Notons toutefois que cette atmosphère plus douce fut accueillie avec bienveillance par le public, qui l’accompagna de sourires et parfois même de sa propre voix.
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En somme, les trois artistes ont démontré leur virtuosité tout en gardant une sensibilité musicale authentique. De plus, malgré un répertoire éclaté, ils ont réussi à naviguer entre chaque passion sans les confondre. Sur la même lancée, le clin d’œil lancé à l’air comique de Papageno et Pamina, un peu avant son exécution, a aidé à lier le programme et à nous y accrocher. Cela a valu aux interprètes un public captivé, plusieurs frissons et même une ovation debout. Le rappel avec « Edelweiss » aura certainement laissé à l’auditoire une tendre sensation de nostalgie, comme en témoignaient les fredonnements à la sortie de la salle : « Edelweiss... Edelweiss... »
Une Soirée lyrique à l'Opéra Haskell
Réunion des opéras du Québec (ROQ)
- Production
- Représentation
- Salle de l'Opéra Haskell , 30 août 2025
- Interprète(s)
- Geoffroy Salvas, baryton et Susan Elizabeth Brown, soprano
- Pianiste
- Meagan Milatz