Critiques

FESTIVAL DE LANAUDIÈRE – TRISTAN ET ISOLDE, UNE « APOTHÉOSE FINALE » QUI TIENT SES PROMESSES

FESTIVAL DE LANAUDIÈRE – TRISTAN ET ISOLDE, UNE « APOTHÉOSE FINALE » QUI TIENT SES PROMESSES

Tamara Wilson (Isolde) et Stuart Skelton (Tristan)

Avec Tristan et Isolde de Richard Wagner en version concert, l’édition 2025 du Festival de Lanaudière s’est terminée dans une « apothéose finale » plus impressionnante encore que pouvait le laisser attendre cet ambitieux sous-titre choisi pour la soirée de clôture. En plus de conclure en grande pompe la programmation du festival, cette représentation a aussi permis de donner un avant-goût particulièrement prometteur de la saison 2025-2026 du Metropolitan Opera : Yannick Nézet-Séguin, qui dirigeait à l’Amphithéâtre Fernand-Lindsay l’Orchestre Métropolitain, sera en effet en mars 2026 à la barre de la prestigieuse maison d’opéra new-yorkaise pour une série de représentations de Tristan et Isolde – production qui, si elle est portée par le même souffle que ce qu’on vient d’entendre à Lanaudière, s’annonce inoubliable. 

Si, bien entendu, les chanteurs et chanteuses ne sont pas en reste dans le succès de la représentation lanaudoise (j’y reviendrai dans un instant), l’orchestre de Nézet-Séguin est en effet ici un personnage à part entière, qui contribue de façon essentielle au déploiement de la conception dramatique de l’opéra. Dès le célébrissime Prélude, que le tempo relativement lent choisi par le chef permet de savourer dans ses moindres détails, l’attention précise accordée au traitement des leitmotive et au jeu des couleurs orchestrales est immédiatement évidente. Ce soin pour le timbre et le raffinement du contrepoint nous vaut non seulement des pages orchestrales extraordinaires – dont le Prélude du troisième acte, une pure merveille de subtilité alliant intériorité et puissance, qui crée une trame de fond saisissante pour les tragédies qui s’apprêtent à se dénouer – mais aussi des moments fabuleux de dialogue entre la voix et l’orchestre, comme dans le premier monologue du roi Marke (interprété par la magnifique basse Franz-Josef Selig) au deuxième acte, où la clarinette basse solo porte un poids dramatique infini, ou dans le fameux solo de cor anglais du troisième acte, qui pourrait difficilement être mis davantage en valeur.

Il faut dire que la mise en espace, simple mais efficace, contribue à faire ressortir ce passage en plaçant l’interprète séparément de l’orchestre, sur un rebord latéral de la scène. De là, la musicienne – qui n’est pas identifiée dans le programme de la soirée (où l’on ne trouve aucune mention des membres de l’orchestre) mais qui, sauf remplacement exceptionnel, devait être la hautboïste et cor anglais solo de l’Orchestre Métropolitain Mélanie Harel – a livré une performance poignante dans cette mélodie que Wagner concevait à la fois comme le signal de l’absence d’Isolde et un symbole du triste destin de Tristan. C’est du même emplacement que s’est fait entendre, un peu plus tard au troisième acte, l’annonce – débordante de joie, cette fois – de l’arrivée d’Isolde, jouée sur un instrument qui semble avoir été spécialement conçu d’après les instructions de Wagner : ce dernier voulait en effet, pour ce bref mais important passage musical, une sorte de trompette naturelle à pavillon de bois, qui « sonne comme un cor des Alpes ». 

Les voix également sont mises en valeur en tirant parti de l’architecture de l’amphithéâtre : l’air du matelot au premier acte est ainsi entendu à partir des cintres côté cour (donc très en hauteur, comme si le matelot, interprété avec brio par le ténor Matthew Cairns, était réellement sur le mât du bateau qui conduit Isolde en Cornouailles où elle doit épouser le roi Marke). C’est aussi de cet emplacement surélevé que se font entendre les avertissements de Brangäne (par l’excellente mezzo-soprano Karen Cargill) pendant le duo d’amour du deuxième acte entre Tristan et Isolde, un moment de musique absolument incroyable où les interprètes des deux rôles-titres, le ténor Stuart Skelton et la soprano Tamara Wilson, donnent toute la mesure de leur palette vocale et expressive. La section centrale « O sink hernieder, Nacht der Liebe » (« Descends, ô nuit d’amour »), en particulier, est moment de pure magie, tout en intériorité retenue. 

Le monologue au cours duquel le roi Marke, juste après avoir pris les amants sur le fait, exprime sa déception d’avoir été trahi par Tristan, est un autre des grands moments de cette production remarquable. Avec un naturel époustouflant (et une diction si merveilleusement claire que chaque mot va droit au coeur), Franz-Josef Selig livre ici une performance bouleversante, chantant la
douleur du roi trahi avec une telle sincérité et une telle facilité apparente qu’on en oublie l’artifice
pour plonger au coeur de l’art. 

Mais c’est au troisième acte que la représentation atteint les sommets les plus vertigineux. J’ai déjà évoqué l’atmosphère presque magique créée par l’orchestre dans le prélude qui introduit cet acte ; la suite est à l’avenant, avec une série de moments plus transcendants les uns que les autres. Le baryton Christopher Maltman déploie toute la richesse de son timbre dans les premières scènes, qui font la part belle à son personnage, Kurwenal ; suit la longue scène du délire de Tristan mourant, où Stuart Skelton livre une performance renversante, aussi bien sur le plan vocal que dramatique. La bataille qui suit voit le retour (après sa scène de trahison du deuxième acte) du baryton Sean Michael Plumb, extrêmement convaincant en Melot, ainsi qu’un second monologue du roi Marke, où Franz-Josef Selig est aussi émouvant que la première fois dans le registre totalement différent du pardon. Enfin, Tamara Wilson conclut l’opéra avec une performance tout en contrôle et en intériorité de la mort d’Isolde ; complètement transfigurée, elle crée pour cette scène mythique un univers musical d’une rare perfection. Les dernières mesures de l’opéra laissent tout simplement bouche bée ; on aurait voulu profiter plus longtemps des trop courtes secondes de silence qui ont précédé un tonnerre d’applaudissements absolument mérité.

Crédit photo : Gabriel Fournier

Tristan et Isolde

Drame lyrique en trois actes de Richard Wagner
Orchestre Métropolitain

Production
Festival de Lanaudière
Représentation
Amphithéâtre Fernand-Lindsay , 3 août 2025
Chef de chœur
Léa Moisan-Perrier
Direction musicale
Yannick Nézet-Séguin
Interprète(s)
Stuart Skelton (Tristan), Tamara Wilson (Isolde), Karen Cargill (Brangäne), Franz-Josef Selig (Le roi Marke), Christopher Maltman (Kurwenal), Sean Michael Plumb (Melot), Matthew Cairns (Berger, Matelot), Geoffrey Schellenberg (Timonier).
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