Nouvel Opéra Métropolitain – La Fille aux cheveux de lin ou les illusions perdues de Baudelaire

Charles Roberge (Le peintre) et Amelia Keenan (Rose)
Photographie: Agence Big Jaw
Présentée par le Nouvel Opéra Métropolitain dans le cadre du Festival Classica, La Fille aux cheveux de lin est un opéra de chambre conçu par le musicien Denis Plante, artiste polyvalent reconnu notamment comme compositeur, bandonéoniste et interprète réputé de tango. Pour cet ouvrage d’une durée de 75 minutes, il a choisi de réunir un certain nombre de partitions de Debussy et de Ravel, qu’il a adaptées ou orchestrées pour quatuor à cordes en collaboration avec son frère, le chef d’orchestre Antoine Plante. C’est ainsi que l’on peut entendre des pièces pour piano comme La Fille aux cheveux de lin de Debussy ou La Vallée des cloches et Pavane pour une infante défunte (surtout connue à vrai dire dans sa version orchestrale) de Ravel jouées par deux violons, un alto et un violoncelle. Sans surprise, une large portion du programme est consacrée au quatuor en sol mineur de Debussy et au quatuor en fa majeur de Ravel, deux authentiques chefs-d’œuvre distants d’une dizaine d’années. Dans cette plongée au cœur de la musique française de la Belle Époque, la portion vocale est confiée à la mezzo-soprano Amelia Keenan, dont les lignes mélodiques se superposent en général de façon heureuse aux parties instrumentales.
Responsable également du livret et de la mise en scène, Denis Plante s’est inspiré principalement du destin de Baudelaire pour inventer une trame se déroulant dans un modeste atelier de Montmartre à la fin du XIXe siècle. Prenant prétexte que le poète aurait éprouvé quelques velléités de réaliser une carrière dans les arts visuels afin de suivre dans une certaine mesure les traces de son père, Plante imagine un artiste peintre désargenté, interprété par le comédien Charles Roberge et qui vit une douloureuse lutte intérieure symbolisée par le dédoublement de son être entre l’animus et l’anima. Alors que lui-même utilise la parole, son anima chante, puisqu’elle est personnifiée par la mezzo. Appelée Rose, cette dernière peut être rattachée, selon les mots mêmes du librettiste, à Camille Claudel ou Elisabeth Förster-Nietzsche. On perçoit donc toute l’importance et l’ambiguïté du lien frère-sœur – rappelons toutefois au détour que Baudelaire n’avait pas de sœur – dans un rapport fait à la fois de complicité et d’incompréhension. Cela dit, les interactions entre les deux personnages demeurent extrêmement limitées et il aurait été intéressant de les faire dialoguer dans une réelle confrontation, qui se résume principalement ici à la jalousie malsaine de Rose envers la « fille aux cheveux de lin », modèle et amoureuse de son frère. De plus, la fin de l’œuvre s’avère plutôt confuse, avec la descente aux enfers du créateur incapable de transformer la boue en or et l’inversion de la légende de Pygmalion, où la métamorphose fait en sorte que « l’humain se métamorphose en statue » (notes de programme).
Réflexion assez sombre sur le processus de création, l’opéra cherche à ratisser large, mais aurait sans doute gagné à se concentrer sur certains épisodes de la vie de Baudelaire. Au célèbre « Enivrez-vous » (Petits poèmes en prose) déclamé par le comédien, des extraits des Fleurs du mal auraient pu être joints et se substituer ainsi à de nombreuses répliques du livret, écrit dans un style peu soutenu. Pourquoi ne pas avoir évoqué en outre la carrière littéraire de Baudelaire et l’épisode particulièrement éprouvant du procès qui lui fut intenté après la parution de son recueil en 1857 ? Plutôt que la figure de l’anima, on aurait de plus préféré retrouver la présence de Caroline Aupick, mère tour à tour idolâtrée et vouée aux gémonies qui occupa une place primordiale pour le poète tout au long de son existence.

Photographie: Agence Big Jaw
Sur le plateau quasi nu où l’on voit un chevalet côté jardin et une bergère près d’un poêle côté cour, évoluent les trois protagonistes. D’une grande élégance gestuelle en fille aux cheveux de lin, Gabrielle Maria Gourd incarne aussi une vieille propriétaire qui vient réclamer le loyer. Charles Roberge traduit avec éloquence les affres du créateur, de même que le désir de fuite dans les vapeurs de l’alcool. Amelia Keenan est une Rose d’une grande sensibilité et au grave d’une belle richesse. Si l’aigu s’avère parfois tendu et que la diction manque un peu de clarté, ce ne sont là que peccadilles en regard de la qualité de son chant. Quel dommage, cependant, d’avoir recours à la sonorisation, qui empêche d’apprécier pleinement le timbre de l’artiste et les subtilités du quatuor ! Car l’intelligence musicale de Stéphane Tétreault, conjuguée à la somptuosité de son violoncelle, est un pur délice. Il sait diriger avec beaucoup de précision et de raffinement les trois autres membres du quatuor, soit Marie Bégin (violon 1), Dominique Bégin (violon 2) et Elvira Misbakhova (alto), qui alternent avec bonheur d’un compositeur à l’autre. Grâce à leur jeu sensible et passionné, les quatre musiciens savent créer d’envoûtantes atmosphères qui font en partie oublier les faiblesses d’un livret qui pèche par le désir d’embrasser un trop grand nombre d’aspects biographiques, psychologiques et mythologiques.
La Fille aux cheveux de lin
Opéra de chambre en un acte et quatorze tableaux sur un livret de Denis Plante
- Production
- Nouvel Opéra Métropolitain (NOM)
- Représentation
- Théâtre de la Ville de Longueuil, Salle Jean-Louis-Millette , 1 juin 2025
- Direction musicale
- Stéphane Tétreault
- Instrumentiste(s)
- Stéphane Tétreault (violoncelle), Marie Bégin (violon 1), Dominique Bégin (violon 2), Elvira Misbakhova (alto)
- Interprète(s)
- Amelia Keenan (Rose), Charles Roberge (Le peintre), Gabrielle Maria Gourd (La fille aux cheveux de lin)
- Mise en scène
- Denis Plante