Critiques

Concours musical international de Montréal – Des voix et des styles d’une grande variété

Concours musical international de Montréal – Des voix et des styles d’une grande variété


Theodore Platt (baryton), Julia Muzychenko-Greenhalgh (soprano), Yewon Han (soprano), Fleuranne Brockway (mezzo-soprano) et Junho Hwang (ténor)
Photographie: Tam Photography

Des dix concurrents entendus lors des deux soirées de la demi-finale (3 et 4 juin) du Concours musical international de Montréal, cinq chanteurs ont été retenus pour la grande finale du vendredi 6 juin. Accompagnés de l’Orchestre symphonique de Montréal sous la direction de Patrick Summers, les concurrents devaient présenter trois airs d’opéra ou des œuvres avec orchestre dans deux ou trois langues. On comprend dès lors l’importance de choisir avec le plus grand soin un répertoire varié qui puisse mettre en valeur la polyvalence d’artistes devant faire la preuve qu’ils possèdent une riche palette expressive conjuguée à une solide technique, voire une grande virtuosité.

Avouons d’emblée que l’attribution du troisième prix au baryton britannique Theodore Platt fut pour nous tout à fait inattendue. Le timbre est certes superbe dans le médium et la projection s’avère excellente, mais l’aigu lui pose bien des difficultés. Outre un vibrato parfois gênant, il ne nuance pas toujours suffisamment son chant, comme en font foi ses airs d’Hamlet et de La dame de pique. Plus convaincant chez Mahler (« Ich atmet’ einen linden Duft »), il a joué par ailleurs de prudence dans un programme qui ne le poussait jamais dans ses retranchements. De même que dans la demi-finale, où son air de Pierrot (Die tote Stadt de Korngold) manquait de suavité, sa musicalité ne compense que partiellement une tendance à chanter presque toujours mezzo forte.

Beaucoup plus consensuel, le deuxième prix récompense le ténor sud-coréen Junho Hwang, qui avait fait grande impression en demi-finale, en particulier dans les airs de Lenski (Eugène Onéguine) et d’Alfredo (La traviata). Peut-être plus nerveux ou quelque peu desservi par son choix d’œuvres, il a moins ébloui le dernier soir. Quoique d’une grande assurance, ses extraits de La bohème et d’Aleko (romance du jeune Tzigane, accompagnée à la harpe) furent entonnés avec une voix de stentor qui forcent l’admiration, bien que l’on puisse préférer plus de tendresse dans ces épanchements amoureux. Dans la ballade de Kleinzach (Les Contes d’Hoffmann), il a brillé à tous égards par la plénitude de ses moyens. Il est d’autant plus regrettable qu’il ait choisi de modifier la toute fin de son air par des notes données à l’arraché et dont l’effet ne fut pas particulièrement heureux.

Seule candidate ayant eu le bon goût de dire quelques mots en français au début de la courte vidéo précédant son programme, la mezzo australienne Fleuranne Brockway a reçu les grands honneurs en récoltant non seulement le premier prix (comprenant une bourse en argent, la bourse de développement de carrière Joseph-Rouleau, le prix Aria de l’Opéra de Montréal et le prix de l’Opéra de Montréal) et le prix du Jury de la relève. Musicienne sensible, elle avait d’abord fait montre d’une belle intériorité en demi-finale dans « Erbarme dich » (Passion selon saint Matthieu), puis avait davantage semblé à l’aise dans l’air enflammé du Compositeur (Ariane à Naxos) que dans une Cenerentola (« Non più mesta ») un brin trop sage. En finale, sa séguedille de Carmen laisse plutôt indifférent, au contraire de son remarquable air des lettres de Werther, qui rend tangibles ses affinités avec le répertoire tragique. Passionné à souhait, son Roméo de Bellini (« Se Romeo t’uccise un figlio ») suscite avec raison l’enthousiasme du public. Elle devra toutefois veiller à ne pas abuser des notes de poitrine, qui nuisent à la qualité de son chant.

Fleuranne Brockway (mezzo-soprano), Lauréate du premier prix
Photographie: Tam Photography

Il faut maintenant parler des deux finalistes laissées pour compte. De la Corée du Sud, la soprano Yewon Han avait plutôt fait bonne figure en demi-finale, sans doute moins dans un air de Philine (Mignon) assez peu idiomatique, que dans l’entrée de Lucia di Lammermoor, chantée avec aplomb. Appartenant tous trois au bel canto, ses airs de la finale ont confirmé le fait que sa grande agilité vocale n’est pas constamment associée à une musicalité très fine, comme en témoignent « Chacun le sait » (La fille du régiment) et « Una voce poco fa » (Le barbier de Séville). Elle se rattrape fort bien en Amina (« Ah, non credea mirarti » de La somnambule), sans cependant égaler l’interprétation de Julia Muzychenko-Greenhalgh, qui nous avait époustouflé dans le même extrait en demi-finale. 

Car cette dernière est à notre avis la révélation du concours, celle qui s’est sans conteste imposée comme l’artiste la plus accomplie et dont l’exclusion du podium est pour nous extrêmement étonnante. Le 4 juin, elle ouvrait son récital avec une troublante scène de la folie (Hamlet) portée par un instrument exceptionnel de rondeur, de beauté et d’homogénéité. Si la voix est puissante, elle est surtout exceptionnelle dans les passages en demi-teintes, dans ces notes quasi susurrées qui remplissent néanmoins le vaste vaisseau de la Maison symphonique. Très agile, comme le prouve son « Alleluia » (Exsultate, jubilate de Mozart), sa voix est aussi idéale chez Bellini. Sur un fil de voix, elle donne tout son sens à « Non credea mirarti », avant d’exulter dans une cabalette étincelante. Très intelligemment construit, son programme de finale commence avec Manon (« Je marche sur tous les chemins »), dont elle traduit parfaitement l’esprit narcissique. Dans La fiancée du tsar (air du quatrième acte), elle offre un moment de pur bonheur grâce à ses notes comme suspendues en apesanteur, puis elle enchaîne avec la fin du premier acte de La traviata, où son abattage vocal et scénique fait merveille. Elle a d’ailleurs déjà triomphé dans ce rôle à Bologne, Avignon, Florence et Strasbourg, en plus de faire carrière à Moscou (Bolchoï), Berlin (Deutsche Oper et Komische Oper) et Francfort. On peut d’ailleurs apprécier son immense talent dans la splendide production de La nuit de Noël (rôle d’Oxana) de Rimski-Korsakov filmé (DVD Naxos) dans cette dernière ville.

Julia Muzychenko-Greenhalgh (soprano)
Photographie: Tam Photography

Parmi les chanteurs entendus seulement en demi-finale, retenons d’abord le nom de la soprano canadienne Ariane Cossette, dont la Rosalinde (La chauve-Souris) a triomphé de presque tous les écueils de la redoutable czardas, mais dont la voix s’est moins bien pliée aux exigences de Berlioz (« L’île inconnue » des Nuits d’été) et de Mendelssohn (« Hear ye, Israel d’Elijah). Deux autres chanteuses se sont également démarquées : la soprano française Fanny Soyer, très touchante en Anne Trulove (« No Word from Tom » du Rake’s Progress) et la mezzo chinoise Jingjing Xu, qui a dialogué admirablement avec la clarinette de Todd Cope dans La clémence de Titus (« Parto, ma tu ben mio »). Reste à savoir maintenant ce que réserve l’avenir à ces jeunes chanteurs dont plusieurs nous semblent appelés à une carrière internationale.

Pour consulter la liste de l'ensemble des lauréat·e·s et des gagnant·e·s de prix spéciaux de l'édition Voix 2025 du Concours musical international de Montréal, c'est juste ici.

Finale du Concours musical international de Montréal

Production
Représentation
Maison symphonique de Montréal , 6 juin 2025
Direction musicale
Patrick Summers
Instrumentiste(s)
Orchestre symphonique de Montréal
Interprète(s)
Yewon Han (soprano), Julia Muzychenko-Greenhalgh (soprano), Theodore Platt (baryton), Fleuranne Brockway (mezzo-soprano), Junho Hwang (ténor)
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