Club musical de Québec : Thomas Hampson - Liberté

Wolfram Rieger et Thomas Hampson
Photographie: Club musical de Québec/André Desrosiers
Trente ans après son dernier passage au Club musical de Québec – c’était alors à la salle Louis-Fréchette – et le lendemain de sa participation à la version concert de Così fan tutte à l’OSM, le baryton Thomas Hampson était de retour à Québec, cette fois au Palais Montcalm, pour un récital placé sous le signe de la liberté, des horreurs de la guerre, du racisme et de l’exclusion, autant de sujets d’une brûlante actualité en cette période troublée. Son choix musical allait de l’école postromantique germanique (Mahler, Zemlinsky, et le jeune Hindemith), à un cycle de l’Américaine Jennifer Higdon, en passant par Dvořák et Leonard Bernstein. Savamment agencé, cet éclectisme faisant se côtoyer des œuvres dramatiques et des moments d’une rare intériorité, a généré un saisissant crescendo d’émotions. Hampson avait pour partenaire le remarquable pianiste allemand Wolfram Rieger, dont on a pu apprécier à la fois la précision, la virtuosité, la subtilité, et la palette de nuances et de couleurs sonores, en particulier dans les effets spéciaux exigés par Jennifer Higdon et par Leonard Bernstein, et dans le sublime pianissimo concluant la mélodie d’Hindemith.
J’avais en mémoire la présence scénique de Thomas Hampson, son art de faire ressortir toute la richesse des poèmes qu’il chante, la puissance d’une voix parfaitement contrôlée. Si, dans l’ensemble, le charme a opéré une fois de plus, il faut reconnaître qu’à presque 70 ans, le chanteur éprouve parfois de la difficulté à soutenir certaines phrases et à projeter des aigus sans crier. Cela m’a frappée surtout dans les lieder, dont l’hallucinante parade macabre qu’est Revelge de Mahler et dans « Mit Trommeln und Pfeifen » (Avec tambours et fifres) de son contemporain Alexander Zemlinsky. C’est son solide métier, sa maîtrise d’un répertoire qui lui va comme un gant et son charisme qui lui ont permis de tirer son épingle du jeu.
Le premier volet du récital était consacré aux victimes des guerres, qu’il s’agisse de celles du Moyen-Âge du Knaben Wunderhorm mahlérien ou des coquelicots de la Flandre de 1914-1918 (« In Flanders Fields »), si bien évoqués par Charles Ives sur le poème d’un militaire canadien. Malgré les réserves mentionnées plus haut, l’émotion du chanteur face à ces parades fantomatiques était palpable et a tenu les auditeurs en haleine, tant le réalisme des poèmes était bien communiqué par les deux interprètes. Avec les douces-amères Zigeunermelodien (Mélodies tziganes) de Dvořák, tantôt rhapsodiques, tantôt nostalgiques, les invités du Club musical de Québec ont abordé le thème de la marginalisation et de la fierté d’un peuple sans frontières. Si le célébrissime « Als die alte Mutter » a été chanté de façon un peu indifférente, c’est avec passion, et toujours en harmonie avec le pianiste, que Thomas Hampson a mis en évidence le sentiment de liberté des tziganes, leur indépendance teintée de solitude et la richesse de leur folklore.
Après l’entracte, dans un programme entièrement consacré à la musique américaine, le baryton a chanté Civil Words, cinq mélodies composées pour lui en 2015 par Jennifer Higdon sur des poèmes datant de l’époque d’Abraham Lincoln. L’œuvre destinée à rappeler le 150e anniversaire de la guerre de Sécession, semble écrite sur mesure pour Hampson : elle exploite en effet une sorte de narration lyrique pleine d’intériorité, dans une zone vocale très confortable. Avec quelle émotion le chanteur a rendu le chant final, « Driving home the cows » dans lequel un fermier voit revenir son fils, manchot, mais vivant !
Dans le dernier volet, avec le même engagement, Thomas Hampson a interprété trois mélodies rappelant l’esclavage des Noirs arrachés à leur pays natal, des pages teintées de jazz et de spiritual, terminant avec une œuvre de Leonard Bernstein faisant allusion à l’homosexualité. Avant ses deux rappels, « Shenandoah » et « At the River », Thomas Hampson s’est adressé au public, et a notamment souligné qu’il ne pourrait plus, actuellement, chanter dans certains pays ce genre de programme.
Œuvres de Mahler, Zemlinsky, Hindemith, Ives, Higdon, Burleigh, Bonds, Berger, Bernstein
- Production
- Club musical de Québec
- Représentation
- Salle-Raoul-Jobin du Palais Montcalm , 26 avril 2025
- Interprète(s)
- Thomas Hampson
- Pianiste
- Wolfram Rieger