Critiques

Opéra de Québec – Il trovatore : Une audacieuse transposition

Opéra de Québec – Il trovatore : Une audacieuse transposition

Elena Gabouri (Azucena)
Photographie: Jessica Latouche

Quinze ans après son unique présentation à l’Opéra de Québec et pour souligner le 40e anniversaire de la compagnie, Il trovatore réapparaît au Grand Théâtre de Québec dans une version audacieuse et inattendue, signée Jean-Sébastien Ouellette, comédien et metteur en scène de Québec. Celui qui, en 2022, avait planté le décor de Don Pasquale de Donizetti en 1967, année de l’Expo de Montréal, propulse cette fois Verdi dans une galaxie imaginaire inspirée des superproductions américaines.

Faut-il se hérisser et crier au sacrilège ? J’avoue avoir pris plaisir à voir comment Ouellette a réussi, mine de rien, à faire évoluer des personnages du XVe siècle espagnol dans un univers de science-fiction, à travers quatre « épisodes » (actes), et à rendre l’action compréhensible grâce à la projection de brèves explications.

Contrairement à Rigoletto et à La traviata, conçus par Verdi à la même époque, il ne se passe pas grand-chose scéniquement dans cet opéra tiré par les cheveux : si l’on exclut le duel du premier acte, loin d’être réussi dans cette production, tout repose sur le récit, à divers moments, d’un épisode d’une rare violence, qui a eu lieu plus de vingt ans avant le début de l’opéra : la condamnation au bûcher d’une femme accusée de sorcellerie, et l’infanticide commis par sa fille Azucena en quête de vengeance. Transporter l’histoire dans une autre galaxie, à renfort de lampes DEL, ne peut donc qu’éveiller la curiosité du spectateur en faisant appel à ses références en matière cinématographique, le tenir en haleine et tenter de lui faire oublier que, la plupart du temps, les chanteurs, aux prises avec l’exigence vocale de leur rôle et l’émotion qu’ils communiquent, restent désespérément figés sur scène comme des statues !

Fallait-il cependant prendre des libertés avec la conclusion de l’opéra ? Chez Verdi, Azucena se venge en révélant au comte qu’il vient de tuer son propre frère, le laissant avec son désespoir. Dans cette production, elle tue son bourreau d’un coup d’épée qui, malheureusement, frôle la caricature.

Les costumes de Julie Morel ont privilégié la couleur et la richesse des vêtements féminins : Azucena avec ses épaulettes, sa coiffe auréolée de lumière rouge et ses doigts effilés, avait l’air d’une imposante magicienne extraterrestre, tandis que Leonora irradiait. Comme pour afficher la différence sociale entre les deux protagonistes masculins, le costume bleu du comte di Luna reléguait au second plan celui de son rival, le trouvère Manrico. Les soldats et les religieuses semblaient intemporels, et seuls les colorés gitans de l’acte II nous rappelaient un univers plus... terrestre ! Christian Fontaine a conçu des décors modulaires d’une grande austérité, pour ne pas dire minimalistes : quelques marches, des formes pouvant suggérer un couvent ou une forteresse, le tout sur fond bleu ou orange, signé Keven Dubois.

L’œuvre de Verdi a été servie par une distribution vocale de haut calibre. Le ténor français Christophe Berry, que l’on retrouvera au Festival d’opéra de Québec dans Carmen (Don José), a brillé dans le rôle du trouvère Manrico : une voix ample, bien contrôlée, qui projette et qui sait émouvoir, une belle diction et une présence convaincante, comme on a pu s’en rendre compte dans le duo avec Leonora à l’acte III et dans l’unique couplet de l’air « Di quella pira », qu’il a chanté avec brio et dominant le chœur.

Pour l’affronter comme rival prêt à tout, ignorant qu’il est son frère, le vindicatif comte di Luna a été confié au baryton québécois Hugo Laporte. Il avait fière allure pour son premier comte Di Luna, qui est aussi son premier opéra de Verdi : belle assurance, générosité des lignes mélodiques, grand moment lyrique dans l’air « Il balen del suo sorriso », dialogues bien sentis avec Azucena et Manrico. Je me plais à l’imaginer dans quelques années dans ce rôle complexe d’amoureux et de jaloux inflexible s’il continue à le mûrir.

Le Français Frédéric Caton, qui avait été un bon roi Arkel en 2018 (Pelléas et Mélisande) s’est distingué dans le rôle de Ferrando à qui revient le premier récit de l’infanticide commis par Azucena. Michel Desbiens (Québec), en Ruiz, a efficacement complété la distribution masculine.

Côté féminin, la soprano française lirico-spinto Irina Stopina a donné à Leonora à la fois la fragilité et la force de caractère de l’amoureuse de Manrico, convoitée par le comte di Luna. La voix est belle, pure, agile, comme elle l’a démontré dès son air de l’acte I, « Tacea la notte » et dans ses ensembles avec Manrico et le comte di Luna, même si quelques notes aiguës sont parfois risquées.

La mezzo-soprano franco-russe Elena Gabouri fut une époustouflante Azucena, avec une voix généreuse, qui triomphe des nombreuses prouesses vocales qu’exige son rôle, qui la font naviguer constamment entre les aigus et le registre grave, parfois un peu rauque cependant. Que d’émotions et quelle présence dans « Stride la vampa » de l’acte II et dans le récit qu’elle fait à Manrico de son geste meurtrier, confessant, pour le nier ensuite, avoir tué son propre enfant (« il figlio moi ») !

Frédéric Caton (Ferrando), Hugo Laporte (Comte di Luna), Émilie Baillargeon (Inès), Christophe Berry (Manrico) et Irina Stopina (Leonora)
Photographie: Jessica Latouche

Une mention spéciale à la soprano québécoise Émilie Baillargeon pour son rôle d’Ines, la suivante de Leonora, sa voix se mariant parfaitement avec celle de sa partenaire.

Les chœurs, préparés par Catherine-Élisabeth Loiselle, ont été à la hauteur, tant du côté masculin, pour les chœurs guerriers, que du côté féminin, pour les chœurs religieux. Ils nous ont offert deux moments forts : à l’acte II avec le chœur des enclumes, et à l’acte IV, avec le Miserere superposé aux plaintes de Leonora et au chant d’amour de Manrico.

Dès les premiers accents de l’introduction de l’opéra, le chef italien Federico Tibone nous a plongés dans l’atmosphère dramatique de l’œuvre. Il a dirigé l’orchestre symphonique de Québec avec souplesse et passion, toujours en communion avec les chanteurs, attentif à leur moindre rubato et faisant ressortir les beaux passages instrumentaux de la partition de Verdi.

Mentionnons que cette production porte la signature de Jean-François Lapointe, qui a quitté l’Opéra de Québec en janvier dernier.

Il trovatore

Opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi, sur un livret de Salvatore Cammarano et Leone Emanuele Bardare, d'après le drame espagnol El Trovador d'Antonio García Gutiérrez.

Production
Opéra de Québec
Représentation
Salle-Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec , 17 mai 2025
Direction musicale
Federico Tibone
Instrumentiste(s)
Orchestre symphonique de Québec et choeurs de l’opéra de Québec
Interprète(s)
Christophe Berry (Manrico), Irina Stopina (Leonora), Hugo Laporte (Comte di Luna), Elena Gabouri (Azucena), Frédéric Caton (Ferrando), Émilie Baillargeon (Inès), Michel Desbiens (Ruiz)
Mise en scène
Jean-Sébastien Ouellette
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