Critiques

OSM : Così fan tutte – Le jeu de l’amour selon Don Alfonso

OSM : Così fan tutte – Le jeu de l’amour selon Don Alfonso

Premier volet de la trilogie Mozart-Da Ponte que Rafael Payare entend présenter avec l’Orchestre symphonique de Montréal d’ici 2027, Così fan tutte est donné dans une version particulièrement vivante mise en espace par l’interprète de Don Alfonso, le baryton Thomas Hampson. Ce dernier a conçu un spectacle coloré qui, en plus d’utiliser intelligemment toutes les aires de jeu disponibles, comprend la présence d’accessoires, des changements de costumes et de superbes éclairages. Dans le but de rendre l’intrigue plus compréhensible et afin de réduire considérablement le nombre des récitatifs, un narrateur - assis nonchalamment dans une bergère côté cour - résume l’action entre les grands moments musicaux de l’œuvre. Si l’idée est heureuse en soi, il faut cependant relever un certain nombre de problèmes assez gênants qui viennent édulcorer en partie notre plaisir. La première erreur consiste à parasiter à quelques reprises le discours musical par celui du narrateur, dont la voix amplifiée jure cruellement avec les raffinements extrêmes de l’orchestration mozartienne. Ainsi en est-il par exemple du début du finale du premier acte ou de la magnifique sérénade du second acte. On s’étonne aussi que, sous prétexte de rendre l’ouvrage plus accessible, on ose carrément interrompre la continuité musicale des finales dont la progression dramatique ne saurait souffrir la moindre pause. Outre le fait que plusieurs éléments d’abord révélés dans la narration font ensuite tomber à plat quelques récitatifs, il faut enfin reconnaître que le comédien Frédéric Desager a du mal à trouver le ton juste dans cette comédie douce-amère d’une grande subtilité.

Peu associé jusqu’à présent au répertoire lyrique, Rafael Payare offre une lecture qui se distingue surtout par son caractère virevoltant, et ce, dès l’ouverture. Malgré une tendance à parfois bousculer certains passages rapides, il emporte l’adhésion par son sens inné du théâtre dont les plus beaux effets sont évidents dans les deux finales. Comme il l’a déjà démontré notamment chez Mahler ou dans les Gurre-Lieder de Schönberg, il sait fort bien mettre en valeur les chanteurs et le chœur - d’ailleurs tout à fait excellent -, toutes qualités qui nous font exprimer le désir de le retrouver plus souvent dans d’autres opéras.

L’une des principales difficultés de Così fan tutte réside dans le choix des six solistes qui doivent former une équipe d’une homogénéité la plus complète possible pour rendre vraiment justice aux nombreux – et très complexes – ensembles que comporte la partition. L’honnêteté nous oblige à dire que, en dépit de la valeur intrinsèque de chacun des interprètes, la distribution ne s’avère pas parfaitement équilibrée. Ainsi, les deux sœurs ont des voix qui se marient avec bonheur, mais la Dorabella de Michèle Losier dépasse de cent coudées la Fiordiligi d’Anna Prohaska. Triomphatrice de la soirée, la mezzo québécoise nous enchante par la somptuosité de son timbre, sa merveilleuse musicalité et la finesse de son jeu. Elle se révèle en fait encore plus extraordinaire que dans le DVD (Arthus Musik) enregistré au Palais Garnier en 2017, qui souffre de la mise en scène pour le moins discutable d’Anne Teresa De Keersmaeker. À ses côtés, Anna Prohaska, pourtant précédée d’une réputation flatteuse, déçoit en un premier temps par une voix au format relativement restreint, au grave inconsistant et à l’aigu parfois donné à l’arraché. Durement mise à l’épreuve dans « Come scoglio », elle ne peut non plus dominer comme il se doit les ensembles, sa voix ne réussissant pas à percer à travers la masse sonore. La soprano possède toutefois une remarquable sensibilité musicale, comme en témoigne un « Per pietà » qui, nonobstant une respiration intempestive dans la première phrase (entre « ben mio » et « perdona »), la montre sous son meilleur jour. Sans se laisser désarçonner par un cor solo défaillant, elle cisèle amoureusement cette page à laquelle elle confère toute l’intériorité désirée. Pour sa part, la Française Jenny Daviet, pourvue de l’exact format vocal du rôle, incarne une Despina pétillante et truculente à souhait en médecin et en notaire.

Gustavo Castillo (Guglielmo), Jenny Daviet (Despina) et Matthew Swensen (Ferrando)

Du côté des messieurs, le ténor Matthew Swensen inspire quelque crainte au premier tableau en raison d’une émission qu’on pourrait juger nasale de prime abord, mais qui se révèle en somme plutôt agréable. Si sa voix claironnante ne convient certes pas idéalement au suave « Un’aura amorosa », il ne craint pas les passages virtuoses du premier finale et brille dans un émouvant « Tradito, schernito ». En Guglielmo, le baryton vénézuélien Gustavo Castillo impressionne par des moyens solides qui conviendraient peut-être davantage au répertoire verdien. En dépit d’un art des nuances limité, son personnage est tout à fait crédible. Très à l’aise sur scène en vieux philosophe désabusé qui tire les ficelles tout au long de la pièce, Thomas Hampson fait entendre à 69 ans un instrument encore très puissant et au timbre clairement reconnaissable. Quoique l’artiste impose le plus grand respect, on ne peut s’empêcher de constater l’usure des moyens qui nous fait regretter son legato et son chant mezza voce de naguère. C’est dans le trio avec les deux sœurs (« Soave sia il vento »), où il n’arrive pas à chanter pianissimo et à se fondre dans l’ensemble, que l’irréparable outrage des ans se fait le plus durement sentir. Bien qu’offrant des satisfactions variables, ce Così fan tutte laisse en définitive un souvenir globalement positif et augure bien des Noces de Figaro prévues pour l’an prochain.

Così fan tutte

Dramma giocoso en deux actes sur un livret de Lorenzo Da Ponte

Production
Orchestre symphonique de Montréal
Représentation
Maison symphonique de Montréal , 25 avril 2025
Chef de chœur
Andrew Megill
Direction musicale
Thomas Hampson
Instrumentiste(s)
Orchestre symphonique de Montréal
Interprète(s)
Anna Prohaska (Fiordiligi), Michèle Losier (Dorabella), Jenny Daviet (Despina), Matthew Swensen (Ferrando), Gustavo Castillo (Guglielmo), Thomas Hampson (Don Alfonso), Frédéric Desager (narrateur)
Mise en espace
Thomas Hampson
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