Critiques

Opéra du Royaume : Un tout premier Don Giovanni à l’Opéra du Royaume

Opéra du Royaume : Un tout premier Don Giovanni à l’Opéra du Royaume

Matthew Li (Leporello), Odéi Bilodeau (Donna Elvira) et Angelo Moretti (Don Ottavio)
Photographie: Patrick Simard

C’est la première fois que le public de l’Opéra du Royaume a pu voir la compagnie produire un opéra de Mozart, et qui plus est, l’un de ses plus populaires. Ce n’était pas une mince affaire compte tenu du fait qu’il a fallu rapatrier artistes lyriques et instrumentistes des quatre coins de la province et les loger dans la région du Saguenay pendant près d’un mois de répétitions. Mais comme l’a souligné Carole-Anne Roussel, l’interprète de Donna Anna, en entrevue à Radio-Canada, ces derniers ont su saluer leur engagement en arrivant bien préparés !

Par sa petite taille, la salle Pierrette-Gaudreault du Mont Jacob procure par défaut une ambiance feutrée et intime. Cette qualité de l’espace était mise de l’avant par la section de tables rondes installées à quelques centimètres de l’orchestre de chambre, logé devant la scène en raison de l’absence de fosse. Assis en avant, avec un service de vin au début et au milieu du concert, on se sentait davantage dans un cabaret que dans une salle de musique ! Le format du spectacle a semblé très bien accueilli du public, et correspondait par ailleurs fort bien à l’atmosphère conviviale de l’opéra lui-même, puisque cette production constitue l’une des rares qui propose une traduction en français du célèbre opéra de Mozart.

La traduction de Don Giovanni, assurée par John de la Bouchardière et Véronique Gauthier, m’a parue bénéfique pour deux raisons. D’abord, on entendait beaucoup plus clairement le caractère sarcastique et vulgaire du texte de cet opéra burlesque qui se voulait, à l’époque, un dramma giocoso, ou drame joyeux. L’humour de certains personnages et les affronts des autres étaient mieux compris et on en ressentait un dégoût d’autant plus vif pour le personnage principal. D’autre part, quelques blagues ont été glissées çà et là, notamment dans l’air « Madame, voici le catalogue » que chante Leporello dans le premier acte, où les pays cités ont été remplacés par des villes du Saguenay-Lac-Saint-Jean telles que Jonquière, Chicoutimi et Arvida. Ces éléments textuels des airs portés par la très bonne diction lyrique des interprètes ont su capter l’attention et faire rire le public.

La salle étant divisée en deux sections, les rangées de sièges à l’arrière et les tables de cabaret à l’avant, les chanteurs et chanteuses avaient largement l’espace pour circuler à l’extérieur de la scène, ce qui renforçait le sentiment de proximité déjà établi. Le chœur de l’Opéra du Royaume, composé d’une quarantaine de choristes, n’a pas manqué non plus de s’installer sur tous les côtés de la salle pour chanter certains airs, comme « Telle est la fin » en finale de l’opéra, moment où le fortissimo entendu à quelques mètres de soi avait de quoi faire frissonner d’ahurissement. L’intensité sonore était la bienvenue compte tenu du manque d’intensité visuelle, particulièrement lors de cette scène de dénouement où Don Giovanni est emmené en enfer par le Commandeur, puisqu’il a été décidé que ce dernier ne paraîtrait pas sur scène lorsqu’il reviendrait de l’au-delà. On entendait plutôt la voix amplifiée de Marc-André Caron sortir du fond de la salle, ce qui était un peu décevant sur le plan visuel.

De manière générale, le seul manquement à cette production pourrait être attribué aux décisions de mise en scène et de costume. Les chanteurs et chanteuses étaient plus souvent qu’autrement campés au tout devant de la scène, parfois même devant les rideaux tirés, de sorte que la grande scène de la salle Pierrette-Gaudreault n’était presque jamais utilisée à pleine capacité. Les décors étaient assez minimaux, ce qui est chose courante, mais ce manque n’était pas comblé par un jeu de lumières ou de projections particulièrement présent. Des tableaux rectangulaires accrochés au plafond étaient abaissés puis remontés d’une scène à l’autre, mais on n’en comprenait pas vraiment la signification. Les costumes, eux, étaient clairement réfléchis, mais tout de même déconcertants. Certains personnages portaient des redingotes avec une petite lampe de poche à la main, ce qui donnait une belle allure policière au récit. Seulement, les personnages changeaient de costume en cours de route : Zerlina, d’abord habillée en mariée, a réapparu un peu plus tard déguisée en petit Chaperon rouge, Masetto portait à un moment une perruque de clown, et Donna Anna, Don Ottavio et Donna Elvira ont arboré des déguisements de Batman dans la salle de bal de Don Giovanni. Certes, les costumes de Zerlina et de Masetto soulignaient la manipulation qui contamine leur amour, et les costumes de Batman correspondaient à la quête de justice des trois victimes, mais ce qui est ressorti de ce choix de costume est moins la symbolique sous-jacente que le renvoi à différentes franchises de films et de contes de fées, ce qui était un peu étourdissant.

Emma Fekete (Zerlina) et Dominique Côté (Don Giovanni)
Photographie: Patrick Simard

Heureusement, les chanteurs, chanteuses et instrumentistes ont su combler les attentes grâce à leurs qualités musicales et leur jeu scénique. À cet égard, Dominique Côté a incarné Don Giovanni à la perfection, grâce à ses sourires railleurs et sa voix veloutée qui rendaient hommage à la personnalité séductrice et irrévérencieuse du personnage. Matthew Li, quant à lui, a gagné le cœur du public grâce à son talent pour le comique dès sa première apparition sur scène en tant que Leporello, alors qu’il montait la garde pour son maître dans le jardin de Donna Anna. Son timbre clair contrastait parfaitement avec la noirceur de Don Giovanni. Les autres personnages masculins étaient moins marquants : Angelo Moretti jouait un Don Ottavio plutôt effacé, surtout à côté de Carole-Anne Roussel dont la Donna Anna était particulièrement expressive ; et Philippe Morin, qui a fait ses débuts à l’opéra avec cette production, semblait timide dans Masetto, mais la chaleur de sa voix et ses performances en duo et trio supposent une carrière prometteuse. Zerlina, la conjointe de Masetto incarnée par Emma Fekete, débordait de malice, un élément de son personnage qui semble souvent oublié. Et que dire de la performance d’Odéi Bilodeau en Donna Elvira, personnage qu’elle a (clairement !) déjà incarné par le passé. Les élans dans l’aigu étaient faciles et émouvants, et les descentes dans le grave donnaient à sa voix un ton rauque qui convenait parfaitement à la rancœur que ressent cette dame à l’égard de Don Giovanni.

Toutefois, celui qui s’est mérité la palme d’or de cette production est un acteur plutôt inhabituel : le chef d’orchestre Christopher Gaudreault qui, durant tout le concert, a dirigé les instrumentistes, le chœur et les interprètes de la main gauche, tout en jouant la partition de piano de la main droite, sous les yeux ébahis du public. En plus d’avoir donné une conférence pré-concert quarante-cinq minutes avant chaque représentation, il a su incarner l’émotion, le mouvement de la musique, et donner les moments de pause et de reprise avec une main de maître. Son endurance et sa persévérance se doivent d’être saluées.

Photographie: Patrick Simard

Don Giovanni

Opéra en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart sur un livret de Lorenzo da Ponte

Production
Opéra du Royaume
Représentation
Salle Pierrette-Gaudreault du Mont Jacob , 13 avril 2025
Chef de chœur
Annie Larouche
Direction musicale
Christopher Gaudreault
Instrumentiste(s)
Orchestre de l’Opéra du Royaume
Interprète(s)
Dominique Côté (Don Giovanni), Odéi Bilodeau (Donna Elvira), Carole-Anne Roussel (Donna Anna), Matthew Li (Leporello), Angelo Moretti (Don Ottavio), Emma Fekete (Zerlina), Philippe Morin (Masetto), Marc-André Caron (le Commandeur)
Mise en scène
John La Bouchardière
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