Société Philharmonique de Montréal : Grandeurs et splendeurs du répertoire choral québécois

Photographie: Catherine Deslauriers
Au Québec, les compositeurs de musique « de concert » ont créé pour toutes sortes de formations, allant de la musique symphonique à la musique de chambre, de la musique chorale à l’opéra. Mais il est un genre qui est encore trop peu exploré, c’est celui de l’oratorio et de la messe de concert, bref de la musique pour solistes, chœur et orchestre. Il y a certes un répertoire qui mérite d’être (re)découvert, notamment par les chefs-d’œuvre que sont le Te Deum de Roger Matton et la Missa pro trecentesimo anno de Jacques Hétu, sans oublier des œuvres plus anciennes, monuments spectaculaires d’une autre époque, tel l’oratorio Jean le Précurseur de Guillaume Couture. Si l’on quitte le domaine de la musique religieuse pour des œuvres séculaires, on retient bien sûr la Cantate pour une joie de Pierre Mercure, encore trop peu présentée sur nos scènes pour une œuvre d’une telle qualité. Et quand aura-t-on la chance d’entendre à nouveau Terre des hommes d’André Prévost, ou encore la Cantate de la fin du jour d’Isabelle Panneton ?
Plus récemment, le Requiem de François Dompierre a connu une création en concert enthousiaste, couplé à un enregistrement de qualité. Dans un genre moins traditionnel mais extrêmement audacieux, l’oratorio Basileus de Pascal Germain-Berardi, créé en 2024 au Festival international de musique actuelle de Victoriaville, prouve avec éloquence que le genre est pertinent et qu’il est porteur pour les créateurs d’ici.
Le répertoire choral et orchestral est vaste, mais les occasions de le découvrir ne sont pas si nombreuses. Nos grands orchestres, tant à Montréal qu’à Québec, se cantonnent dans les grands classiques (le Messie de Haendel, les Requiem de Mozart, de Verdi...) et ignorent ostensiblement le répertoire québécois. C’est donc avec une grande mais rafraîchissante surprise que l’on retrouvait à l’affiche du traditionnel concert du Vendredi saint à l’église Saint-Jean-Baptiste un oratorio québécois, L’Amour de Joseph et Marie, signé Antoine Ouellette.
Créé en 2000, l’œuvre connaissait ici sa première montréalaise, dans une version comportant des révisions du compositeur. Le sujet serait plus approprié pour un concert du temps des Fêtes puisque l’action va de l’union de Marie et Joseph jusqu’à la fuite en Égypte. Le grand concert du Vendredi saint, instauré en 1982 par le chef de chœur Miklós Takács, se voue à l’exploration du répertoire choral de nature spirituel, ouvrant ainsi les horizons avec des propositions qui diffèrent du strict respect des traditions liées aux célébrations du Vendredi saint chrétien. L’élargissement à un répertoire sacré au sens large justifie ici un tel programme.
L’esthétique très consonante et mélodique d’Antoine Ouellette n’a rien d’effrayant pour les oreilles du grand public. En puisant dans les traditions musicales anciennes du christianisme, il développe une partition où les récitatifs prosodiques sont légion. Avec ces archaïsmes musicaux et son orchestration maîtrisée, on croirait entendre parfois du Rimski-Korsakov et même du Respighi (peut-être qu’Antoine Ouellette connaît l’oratorio Marie l’Égyptienne du maître italien). La forme y est parfois très simple. En ce sens, le long épisode choral au centre de l’œuvre, bien que mélodiquement inspiré, souffre d’une répétition sans variation qui génère quelques longueurs. Cette technique des séquences répétées est mieux exploitée dans le duo d’amour entre Marie et Joseph qui s’avère un épisode chatoyant et sensuel.
Le livret, signé par le compositeur, puise aux sources bibliques et reflète une expression spirituelle un peu naïve, quoique sincère, qui rappelle la démarche créatrice et spirituelle d’un Olivier Messiaen. L’orchestration généreuse fait une belle place aux percussions, exploitées dans une optique de coloration de la partition. Si certains passages souffrent d’un équilibre précaire entre l’orchestre et le chœur, il est difficile de dire si la faute en est à l’acoustique des lieux ou aux débordements instrumentaux du compositeur.
Les solistes Florence Bourget et Christopher Dunham étaient impeccable, la première avec son timbre chaleureux et enveloppant, le second avec une projection solide et une musicalité fluide et naturelle. En incarnant un ange, la jeune Arya Leclerc, à la voix un peu verte mais aux couleurs attachantes, complétait cette distribution solide. Chœur et orchestre ont offert une interprétation sentie, portée par le dynamisme de Pascal Côté à la direction, dont la foi en la partition était palpable dans toutes ses intentions.
En seconde partie, le Te Deum de Dvorák a été exécuté avec une énergie tonitruante, où le chœur se déployait avec plus d’insistance et d’entrain. On y retrouvait un Christopher Dunham à l’assurance royale, accompagné de la soprano Magali Simard-Galdès au rayonnement solaire. En guise de rappel, l’Agnus Dei d’Elgar, arrangement choral du Nimrod extrait des Variations Enigma, nous a plongé dans une émotion de recueillement pour clore ce concert spirituel hors de l’ordinaire, tout axé sur la découverte. On salut ici l’audace de la proposition, et on en redemande !
Grand concert du Vendredi saint
- Production
- Société Philharmonique de Montréal
- Représentation
- Église Saint-Jean-Baptiste , 18 avril 2025
- Direction musicale
- Pascal Côté
- Instrumentiste(s)
- Orchestre de la Société Philharmonique de Montréal
- Interprète(s)
- Magali Simard-Galdès (soprano), Arya Leclerc (soprano), Florence Bourget (mezzo-soprano), Christopher Dunham (baryton) ; Chœur de l’UQÀM et Chœur de l’école Joseph-François-Perrault