CRITIQUE - Le comte Ory à Québec : Drôle et irrévérencieux
Le comte Ory, Opéra de Québec, 2024
Photographie: Michel Gagné
Une nouvelle saison s’est ouverte le 26 octobre à l’Opéra de Québec, avec l’avant-dernier ouvrage lyrique de Gioacchino Rossini, Le comte Ory (1828), une œuvre doublement chère au directeur général et artistique Jean-François Lapointe, puisqu’il l’a chantée à Genève et à Marseille et qu’elle répond à son intention d’offrir au public de Québec des opéras en français. Est-ce en raison de la morosité sociale actuelle que l’Opéra de Québec a programmé coup sur coup depuis mai dernier trois œuvres divertissantes, pleines de facéties ? Quoi qu’il en soit, en attendant le sombre et brûlant Il trovatore de mai prochain, l’heure était à la frivolité. Pour y parvenir, une recette éprouvée : une bonne distribution vocale, une mise en scène destinée à faire rire le public et, au pupitre, un chef menant rondement le tout.
Après plusieurs productions transposant les opéras dans une époque plus contemporaine, compensant le manque de décors par des projections exploitant la technologie d’aujourd’hui, l’Opéra de Québec a fait revivre la France des Croisades du XIIe siècle et des femmes restées seules dans leur village ou leur château, aux prises avec leurs nobles résolutions de fidélité et des tentations auxquelles il est difficile de résister. Conçu par le scénographe français Bruno de Lavenère, qui avait déjà signé pour Québec le décor de Faust en 2022 et celui de La vie parisienne l’été dernier, celui du Comte Ory consiste en d’artistiques toiles peintes. Le premier acte semble sorti tout droit d’un de ces livres d’heures richement enluminés, tel celui du Duc de Berry : une forêt au bestiaire fabuleux et un château gothique à tourelles, tandis que le deuxième acte se déroule sur un rappel gigantesque de la célèbre tapisserie de La dame à la licorne. Pour le reste, aucun meuble sur scène, à part un escalier sur roulettes comme on en trouve dans les entrepôts et un lit escamotable. Les costumes d’Alain Blanchot restent dans l’esprit médiéval, à l’exception de celui, plutôt grotesque, du comte Ory déguisé en ermite, un personnage qui ressemble davantage à un satyre bachique ou à un sorcier qu’au vénérable sage qu’il est censé incarner.
De retour après Faust et La vie parisienne, le metteur en scène Jean-Romain Vesperini nous a offert un spectacle ludique, un brin irrévérencieux, en raison de son joyeux libertinage. Au premier acte, la gent féminine du village de Formoutiers s’envoie littéralement en l’air avec le pseudo-ermite. La comtesse Adèle, qui devrait être un modèle de vertu, se laisse courtiser par le page Isolier et n’est pas insensible aux belles paroles de l’ermite. Dans l’acte II, Adèle et ses compagnes ne semblent pas étonnées d’héberger des religieuses barbues et moustachues qui sont, en réalité, le rusé comte Ory et ses chevaliers déguisés en pèlerines. Et comment ne pas éclater de rire devant les acrobatiques ébats amoureux du trio Adèle, Ory et Isolier ?
Le comte Ory, Opéra de Québec, 2024
Photographie: Michel Gagné
Musicalement, Rossini avait repris plusieurs extraits du Viaggio a Reims de 1825 et, si Le comte Ory est très exigeant pour les voix comme pour l’orchestre, le feu sacré qui animait le Barbier de Séville, la Cenerentola ou L’Italiana in Algeri n’est plus vraiment au rendez-vous. Le compositeur en était conscient lorsqu’il allait décider de terminer sa carrière un an après Le comte Ory, avec Guillaume Tell, à l’âge de 37 ans.
Le rôle-titre a été confié au ténor français Philippe Talbot, très à l’aise dans le répertoire tant baroque que rossinien, et qui a déjà chanté le comte Ory à l’Opéra-Comique de Paris en 2017. Son timbre léger, ses aigus faciles et son agilité vocale lui permettent de bien cerner toutes les facettes de l’impénitent personnage, surtout dans l’acte II où il devient la dévote sœur Colette ! Son compagnon Raimbaud a trouvé chez le baryton canadien Jean-Kristof Bouton, qui a fait carrière durant plusieurs années en Roumanie, un interprète convaincant : la voix est ronde et porte bien, la diction est excellente. On a pu s’en rendre compte dans son air du vin, quasi récité (acte II, « Dans ce lieu solitaire »).
Julien Véronèse, qu’on avait applaudi en 2021 dans le rôle de Dulcamara (L’elisir d’amore) est revenu en force dans le rôle du gouverneur chargé de veiller sur le comte Ory, avec la même autorité vocale et la même présence scénique. La Comtesse Adèle, incarnée par la soprano française Judith Fa, a montré son sens du jeu scénique et de l’humour, et sa personnalité. Si sa voix ne passe pas toujours la rampe, surtout dans les ensembles, le timbre est joli et les nombreuses colorature de la partition sont chantées avec facilité. D’une voix à la fois ronde et énergique, la mezzo-soprano française Julie Pasturaud a donné à dame Ragonde toute la personnalité voulue et fut particulièrement irrésistible à l’acte II durant la scène de l’orage.
Belle découverte que la mezzo-soprano montréalaise Florence Bourget dans le rôle du gracieux page Isolier amoureux de la comtesse : visuellement convaincante et toujours à l’aise, nous faisant oublier par moments qu’il s’agissait d’un rôle pantalon, elle s’est taillé une place de choix dans cette distribution, grâce à sa voix bien dosée et toujours raffinée.
Ces solistes ont toujours habilement tiré leur épingle du jeu dans les duos, trios et grands ensembles dont regorge la partition. Les chœurs, de l’Opéra de Québec, préparés par Catherine-Élisabeth Loiselle, n’ont pas chômé et se sont montrés à la hauteur de la situation. Une mention à deux de leurs membres sortis de l’anonymat le temps d’une soirée : la soprano Émilie Baillargeon, la coquette paysanne Alice, et le ténor Dominique Gagné, joyeux compagnon de beuverie du comte.
La direction alerte et toujours souple de Laurent Campellone a fait des merveilles, tant du côté de l’orchestre qu’auprès des solistes et du chœur. Deux regrets : on aurait aimé un parterre plus garni, ce qui ne fut pas le cas, et je déplore la suppression, dans les notes de programme, des biographies des chanteurs.
Le comte Ory
Opéra en deux actes sur un livret en français d’Eugène Scribe et de Delestre-Poirson
- Production
- Opéra de Québec
- Représentation
- Salle-Louis-Fréchette, Grand Théâtre de Québec , 26 octobre 2024
- Direction musicale
- Laurent Campellone
- Instrumentiste(s)
- Orchestre symphonique de Québec
- Interprète(s)
- Philippe Talbot (Comte Ory), Judith Fa (Comtesse Adèle), Jean-Kristof Bouton (Raimbaud), Florence Bourget (Isolier), Julien Véronèse (Gouverneur), Julie Pasturaud (Ragonde), Émilie Baillargeon (Alice), Dominique Gagné (Coryphée)
- Mise en scène
- Jean-Romain Vesperini