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CRITIQUE - La serva padrona et The Medium : Portrait de femmes au caractère bien trempé

CRITIQUE  - La serva padrona et The Medium : Portrait de femmes au caractère bien trempé

Jamal Al Titi (Uberto) et Sophie Naubert (Serpina), dans La serva padrona, Orchestre classique de Montréal, 2024
Photographie: Tam Photography

En collaboration avec l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, l’Orchestre classique de Montréal a proposé un superbe début de saison où se sont vus conjugués les talents de vingt-trois musiciens et de neuf jeunes chanteurs dans deux ouvrages donnés en version scénique. La salle Pierre-Mercure ne comprenant pas de fosse, l’action prend place devant les instrumentistes, sur un espace qui s’avère amplement suffisant pour les intrigues somme toute intimistes de La serva padrona de Pergolèse et du Medium de Menotti. Bien que créées à deux siècles de distance – respectivement en 1733 et 1946 – et appartenant à des esthétiques fort différentes, les deux œuvres forment néanmoins un diptyque très réussi dont les contrastes entre les tonalités ne sont pas sans évoquer dans une certaine mesure ceux du Trittico de Puccini. À l’inverse de ce dernier, c’est cependant ici la comédie qui précède le drame.

La soirée commence dans l’alacrité avec la délicieuse musique de Pergolèse, que Simon Rivard dirige avec la dose exacte de légèreté et d’esprit primesautier. D’une belle clarté, la pâte orchestrale qu’il obtient avec sa formation convient parfaitement à cet intermezzo conçu à l’origine pour s’insérer entre les actes d’Il prigionier superbo, opera seria du même compositeur. Outre le côté soyeux des cordes, on remarque l’extrême qualité des récitatifs, assurés au clavecin par Jerome de los Santos, qui fait partie de l’Atelier lyrique en tant que pianiste coach.

Dans le rôle-titre, la soprano Sophie Naubert déploie les richesses de son instrument à l’homogénéité parfaite et au timbre idéal pour ce type de personnage enjoué annonçant par exemple la Despina de Mozart. Actrice née, elle incarne une Serpina espiègle à souhait et d’une redoutable force de caractère. À cet égard, peut-être le metteur en scène François Racine a-t-il mis un peu trop l’accent sur la dimension autoritaire de la domestique, qui ne laisse guère soupçonner ses tendres sentiments pour son maître avant la fin de la pièce. Le baryton Jamal Al Titi, qui avait fait très bonne impression quelques jours auparavant en officier du Barbier de Séville à l’Opéra de Montréal, est pour sa part un Uberto à la fois cocasse et débonnaire qui fait entendre une agréable voix bien posée, à l’aigu agréable mais au registre grave peu nourri pour le rôle. À sa décharge, il faut rappeler que le rôle fut créé par une basse et que l’équipe de l’Atelier ne compte pas ce type de voix cette année. Si le rôle muet du serviteur Vespone ne nous permet de juger des qualités vocales du ténor Angelo Moretti, il faut reconnaître à celui-ci un talent inné pour le jeu scénique. Il est absolument impayable en grand benêt maladroit qui doit tout se faire expliquer doublement et doté d’une énergie aussi désespérément faible que son quotient intellectuel… Son capitaine Tempesta est bien entendu d’une drôlerie irrésistible, mais on aurait pu s’attendre à ce qu’il fasse un tapage véritablement digne de son nom. Efficace et bien réglée, la mise en scène comporte pendant le duo final une petite touche coquine : derrière un drap retenu par Uberto et Vespone, Serpina se dépouille progressivement de son costume du XVIIIe siècle pour revêtir une robe de mariée dont le style résolument contemporain est peut-être destiné à nous préparer à plonger dans le XXe siècle avec The Medium.

De même que le Pergolèse, l’ouvrage de Menotti est joué sur un plateau dépouillé où se trouvent quelques chaises, un paravent et, élément indispensable dans cette histoire de voyante, une table autour de laquelle prennent place les clients de Mme Flora. Dans ce personnage tantôt acariâtre, tantôt torturé par ses remords d’exploiter la crédulité des gens endeuillés, la mezzo Camila Montefusco se montre admirable à tout point de vue. La force de son incarnation n’a d’égale que l’éclat de ses dons musicaux servis par un instrument d’une puissance et d’une endurance impressionnantes pour une artiste de cet âge. Sa grande scène de délire et de meurtre la hisse d’ores et déjà au rang de professionnelle accomplie et augure d’une brillante carrière. En Monica, Bridget Esler exprime des trésors de bienveillance et de compassion dans sa splendide berceuse « Le Cygne noir ». Très touchants en couple Gobineau, le baryton Mikelis Rogers et la soprano Chelsea Kolić marquent toutefois moins les esprits que Justine Ledoux, dont l’opulente voix de mezzo très prometteuse donne beaucoup de relief à Mme Nolan. À l’instar de La serva padrona, The Medium comprend – phénomène suffisamment insolite pour être souligné – un personnage muet, celui de Toby. En jeune serviteur introverti, le contre-ténor Ian Sabourin se révèle remarquable de sensibilité et de complicité quasi amoureuse avec Monica. Très à l’aise dans l’univers de Menotti, Simon Rivard confère à l’orchestre, augmenté de bois, cuivres, percussions et piano, une plénitude sonore saisissante. La présence de Paul Merkelo, trompette solo de l’Orchestre symphonique de Montréal, ajoute à l’excellence d’une soirée qui a permis de goûter pleinement deux petits chefs-d’œuvre trop rarement donnés sur les scènes québécoises.

The Medium, Orchestre classique de Montréal, 2024
Photographie: Tam Photography

La serva padrona/The Medium

Intermezzo en deux parties de Giovanni Battista Pergolesi sur un livret de Gennaro Antonio Federico/Opéra en deux actes de Gian Carlo Menotti sur un livret du compositeur

Production
Orchestre classique de Montréal
Représentation
Salle Pierre-Mercure , 8 octobre 2024
Direction musicale
Simon Rivard
Instrumentiste(s)
Orchestre Classique de Montréal
Interprète(s)
Sophie Naubert (Serpina), Jamal Al Titi (Uberto), Angelo Moretti (Vespone)/Camila Montefusco (Madame Flora), Bridget Esler (Monica), Chelsea Kolić (Mme Gobineau), Mikelis Rogers (M. Gobineau), Justine Ledoux (Mme Nolan), Ian Sabourin (Toby)
Mise en espace
François Racine
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