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CRITIQUE - Une entrée en matière des plus réussies pour l’intégrale des lieder de Schubert

CRITIQUE - Une entrée en matière des plus réussies pour l’intégrale des lieder de Schubert

Photographie: Gracieuseté de la Salle Bourgie

C’est mercredi soir que la Salle Bourgie lançait sa saison musicale 2024-2025, et pas avec n’importe quel concert : le premier de l’intégrale des lieder de Schubert, projet d’envergure qui s’échelonnera sur plusieurs années. Intitulé Schubert : Le rêve, ce concert d’ouverture présentait lieder et œuvres instrumentales du compositeur viennois rassemblés autour d’une thématique commune, soit un texte de Schubert racontant l’un de ses rêves. Et sans vouloir faire un pauvre jeu de mots, la soirée fut un véritable rêve pour l’admiratrice de l’œuvre de Schubert que je suis.

Si la formule traditionnelle du lied est le duo piano-voix, la Salle Bourgie a misé sur une autre proposition pour lancer son intégrale. C’est plutôt l’Orchestre de l’Agora, sous la chaleureuse direction de son chef Nicolas Ellis, accompagné de l’époustouflante mezzo-soprano Ema Nikolovska (on y reviendra) et du comédien Émile Proulx-Cloutier qui ont interprété les œuvres. Ce dernier récitait une traduction française du rêve de Schubert, ajoutant ainsi une magique touche de poésie à ce concert déjà poétique par son programme musical. Les lieder ont été présentés en version orchestrée; certains d’arrangements préexistants, d’autres spécialement arrangés pour ce concert par le compositeur canadien Ian Cusson et aussi par Nicolas Ellis.

La première chose de cet événement qui frappe, c’est l’intelligence en ce qui a trait aux œuvres choisies pour construire ce programme. Enchaînées les unes aux autres sans réel temps d’arrêt, elles semblaient ne faire qu’une seule, ce qui constitue une réelle réussite si l’on considère que l’ensemble des morceaux proviennent de moments différents de la carrière de Schubert. Plus loin encore, il m’a semblé que l’orchestration de certains nouveaux arrangements des lieder faisait directement écho aux pièces qui les précédaient dans le programme : dans « Der Zwerg » arrangé par Ian Cusson, les petites attaques sautillantes aux cordes graves rappelaient le début du premier mouvement de la Symphonie nº 8 dite « Inachevée » que l’on venait tout juste d’entendre. Vraiment, ce programme en soi est une œuvre d’art, qui à lui seul garantissait le succès de cette soirée.

L’autre aspect (et non le moindre) que l’on retient, c’est la prestation de la mezzo-soprano Ema Nikolovska. En plus d’avoir offert une performance musicale de très haut calibre et sans faille, elle a su séduire le public par son interprétation captivante des lieder. Dans le célèbre « Erlkönig », elle changeait non seulement sa voix, mais aussi sa posture pour interpréter les différents personnages (un père et son fils ayant une discussion). Selon l’ambiance, elle alternait entre un timbre plus rond et chaleureux et une voix plus aérienne, plus « venteuse » si je puis le dire ainsi, qui empêchait toute monotonie, nous tenant toujours au bout de notre siège. Quelle chanteuse d’exception que je souhaite revoir dès que cela sera possible!

Sous la baguette de Nicolas Ellis, l’Orchestre de l’Agora s’est positionné comme l’un des orchestres de grand talent de la scène québécoise, offrant une prestation époustouflante. La communion entre le chef et l’ensemble est profonde : la musique semble élastique sous les mouvements d’Ellis, qui sait construire à merveille ses phrases musicales. Avec une telle entrée en force, on ne peut qu’être enthousiaste du fait que cette intégrale des lieder de Schubert durera plusieurs années. J’ai déjà hâte au prochain concert, pour pouvoir faire l’expérience à nouveau et sous un autre format de ces œuvres touchantes et magnifiques.

Schubert : Le rêve

Production
Salle Bourgie
Représentation
Salle Bourgie , 25 septembre 2024
Direction musicale
Nicolas Ellis
Instrumentiste(s)
Orchestre de l’Agora
Interprète(s)
Ema Nikolovska (mezzo-soprano), Émile Proulx-Cloutier (récitant)
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