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CRITIQUE - Le brillant retour de Matthias Goerne au Festival de Lanaudière

CRITIQUE - Le brillant retour de Matthias Goerne au Festival de Lanaudière

Photographie: Mélanie Emond Photographie

Pour une deuxième fois en deux ans, le Festival de Lanaudière a offert un cadeau d’exception aux adeptes de Schubert : un récital mettant en vedette le baryton allemand Matthias Goerne. Si cet artiste d’exception avait ravi le public en 2022 lors de son interprétation de lieder de Schubert tirés de diverses sources, il a fait de même mardi soir dernier en présentant le cycle complet La belle meunière : lui et son accompagnateur, le jeune pianiste Anton Mejias, ont été rappelés pas moins de trois fois par un public visiblement conquis en fin de représentation.

Le cycle La belle meunière de Schubert, dont la durée avoisine une heure, est parsemé de changements de caractères vifs et soudains. D’un lied à l’autre, de grands contrastes se produisent, et pour interpréter avec justesse les hauts et les bas du meunier qui vit un amour déchirant, il faut une grande capacité d’adaptation et une technique vocale irréprochable qui permette de constamment passer d’un registre à l’autre. Matthias Goerne s’avère ainsi un artiste de choix pour réaliser ce programme : il a le métier et l’expérience nécessaire pour en offrir une performance exceptionnelle sur le plan musical et, qui plus est, qui semble sans effort. Il bouge au rythme des paroles et danse à l’occasion; il est tout simplement captivant. J’ai mentionné dans mon compte-rendu de son récital de 2022 qu’il n’interprète pas la musique, mais qu’il est la musique; mon avis est inchangé à la suite de sa performance de mardi.

Dans son mot d’introduction au concert, le directeur artistique du Festival de Lanaudière Renaud Loranger a mentionné que le baryton s’associe souvent à de jeunes pianistes de haut talent pour réaliser ce genre de programme. C’était le cas lors de son passage en 2022, alors que Goerne était accompagné d’Alexandre Kantorow, qui mène aujourd’hui une brillante carrière sur la scène internationale. L’invitation a cette année été lancée à Anton Mejias, un jeune pianiste âgé de seulement 23 ans dont la maîtrise du cycle de Schubert était impressionnante. On y retrouve beaucoup de passages très rapides et accentués, que le pianiste a réalisés avec aplomb, ainsi que de doux passages lyriques interprétés avec émotion. Si Mejias semblait plutôt concentré durant la première partie du cycle, on l’a senti se relâcher un peu lors du dernier tiers, ce qui a ouvert la porte à une palette de couleurs encore plus développée pour la fin du concert. Je pense particulièrement au tout dernier air, « Des Baches Wiegenlied » (« La berceuse du ruisseau »), durant lequel le temps semblait tout simplement suspendu.

Aussi magnifique ce concert fut-il, et aussi reconnaissante sois-je au Festival de Lanaudière d’avoir à nouveau invité Matthias Goerne au Québec, je suis sortie de l’église Saint-Sulpice avec une éternelle réflexion concernant le lieu choisi pour l’événement. Si les églises sont des espaces intéressants tant sur le plan visuel que de l’acoustique, ça n’est pas tous les types de répertoires qui y brillent. Et force est de le constater : si la musique vocale chorale est bien desservie par l’acoustique d’une église, ça n’est pas le cas lorsqu’il est question d’un soliste accompagné au piano. Un cycle de lieder, c’est avant tout une histoire. Qu’on comprenne ou non la langue chantée, les mots sont de la plus haute importance, et ils étaient malheureusement noyés par l’écho de l’église. C’est d’autant plus irritant pour l’oreille lorsque l’interprète a un vibrato important – ce qui est le cas de Goerne – puisque les harmoniques se frictionnent constamment, donnant une impression parfois de fausseté qui n’est, on le sait, qu’une illusion.

Je suis toutefois consciente du fait que le Festival de Lanaudière souhaite présenter ses spectacles dans des endroits qui sont accessibles au plus grand nombre et que cela ne permet pas toujours d’exploiter des salles faites pour le récital vocal. Ultimement, mon but n’est pas de dénoncer, mais plutôt d’inviter à la réflexion. Certains répertoires méritent des dispositions particulières sur le plan sonore, qu’il faudrait peut-être davantage considérer pour assurer une expérience optimale pour l’ensemble du public, qu’il soit assis en avant ou au fond de la salle. Outre ce petit bémol, c’était une soirée magique comme on en veut le plus souvent possible, avec des artistes d’exception et un répertoire des plus charmants!

Matthias Goerne et La belle meunière

Production
Festival de Lanaudière
Représentation
Église de Saint-Sulpice , 16 juillet 2024
Interprète(s)
Matthias Goerne
Pianiste
Anton Mejias
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