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CRITIQUE - Deux regards sur la mort

CRITIQUE - Deux regards sur la mort

Photographie : Tam Photography

Pour son concert de fin de saison, l’Orchestre Philharmonique et Chœur des Mélomanes proposait l’audition de deux requiems aux esthétiques certes différentes, mais dont la vision sur le mystère de la mort s’avère assez voisine. Loin de toute grandiloquence ou suggestion tonitruante de la colère divine, Gabriel Fauré et François Dompierre traduisent en effet non pas tant l’effroi de l’homme devant sa fin inéluctable que l’acceptation sereine de celle-ci. En témoigne l’atmosphère globalement apaisante des deux partitions, qui se terminent d’ailleurs par « In Paradisum », choix hautement significatif qui laisse dans les deux cas l’auditeur sur une impression finale de réelle béatitude. 

Bien plus qu’un simple préambule à la création très attendue de Dompierre, l’exécution du Requiem de Fauré révèle le niveau d’excellence auquel est parvenue en quelques années à peine la formation dirigée par Francis Choinière. La clarté du discours musical, l’équilibre entre les diverses sections et la richesse de la pâte sonore servent au mieux le chef-d’œuvre du compositeur français, dont on célèbre cette année le centenaire de la disparition. Si le début de l’« Introït » inspire quelques inquiétudes en raison d’un volume un peu excessif de l’orchestre, du chœur (réunissant 85 chanteurs) et surtout de l’orgue, dont les notes graves vibrent à faire trembler les murs de la Maison symphonique, les choses se replacent rapidement. Après avoir trouvé ses marques, le chef sait donner la juste pulsation à cette « berceuse de la mort », qui jamais ne doit verser dans le pathos. À cet égard, Myriam Leblanc et Geoffroy Salvas sont exemplaires de sobriété et de naturel dans un aérien « Pie Jesu » et un superbe « Libera me ».

D’une durée approximative de 55 minutes, le Requiem de Dompierre est composé pour un orchestre réunissant cordes, harpe, piano, deux cors, timbales, marimba et bongos. Les trois solistes (soprano, ténor et baryton) se joignent au chœur dans cinq des douze parties, qui constituent selon le compositeur « une sorte de scénario cinématographique » où se traduisent « tous les sentiments humains ». Puisant à différentes sources, Dompierre convoque aussi bien le slam ou le rap dans un « Dies irae » chuchoté par les choristes masculins que les rythmes sud-américains dans le « In Paradisum » accompagné par les bongos. Loin de nuire à l’unité de l’œuvre, cet éclectisme musical est au contraire parfaitement intégré au style du musicien, qui sait flatter l’oreille par une veine mélodique toujours aussi généreuse à 80 ans.

François Dompierre
Photographie : Tam Photography

Parmi les moments qui nous semblent les plus réussis, on retient d’abord le « Lacrimosa » pour voix d’homme, qui atteint à l’expression d’une douleur infinie, et le puissant « Libera me », qui reprend notamment le thème percutant de l’« Introït » avant de culminer sur une somptueuse apothéose. C’est aussi dans le traitement de la voix soliste que Dompierre démontre avec éclat toute la mesure de son talent. Opposé aux terreurs apocalyptiques de Berlioz ou de Verdi, le « Tuba mirum » fait dialoguer le baryton avec le cor solo en une sorte de questionnement existentiel, dans lequel Geoffroy Salvas et Laurence Latreille-Gagné sont également admirables. Myriam Leblanc fait merveille dans un « Hostias » où le marimba annonce déjà en quelque sorte une certaine couleur d’Amérique latine qu’on retrouvera dans le dernier mouvement. D’un lyrisme envoûtant, le « Recordare » bénéficie du timbre lumineux et de l’élégance du phrasé du ténor Andrew Haji. 

Seule partie réunissant les trois solistes, le « Benedictus » est un chant contemplatif qui s’entremêle harmonieusement à la ligne mélodieuse des solistes du quatuor à cordes. Après un « Agnus Dei » et un « Lux aeterna » à l’inspiration un peu fléchissante, « In Paradisum », que l’on a pu découvrir sur Internet avant même le concert, conclut de façon extrêmement heureuse cette messe des morts des temps modernes. Rassérénée et quelque peu exotique, cette invitation au dernier voyage possède une dimension qu’on pourrait qualifier de baudelairienne dans l’évocation d’un ailleurs où l’homme puisse échapper à la souffrance et aux contingences de sa condition. Interprété par la soprano en état de grâce, cet ultime volet du Requiem, qui s’incruste immédiatement dans notre mémoire auditive, a le seul tort de ne pas donner lieu à de plus amples développements qui auraient prolongé le plaisir de cette belle confiance vis-à-vis de l’au-delà.

Requiem de Fauré et Dompierre

Œuvres de Gabriel Fauré et François Dompierre
ORC : Orchestre Philharmonique et Chœur des Mélomanes
CHO : Chœur des Mélomanes

Production
Orchestre Philharmonique et Chœur des Mélomanes
Représentation
Maison symphonique , 8 juin 2024
Direction musicale
Francis Choinière
Interprète(s)
Myriam Leblanc (soprano), Andrew Haji (tenor), Geoffroy Salvas (baryton)
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