Critiques

CRITIQUE - Cendrillon : Un conte au charme toujours efficace

CRITIQUE - Cendrillon : Un conte au charme toujours efficace

Cendrillon, Opéra McGill, 2024
Photographie : Stephanie Sedlbauer

Un peu dans l’esprit de sa Manon, Massenet prouve dans Cendrillon (1899) combien il est doué pour recréer l’atmosphère musicale de l’Ancien Régime dans de superbes pastiches d’une grâce absolument délicieuse. C’est la compréhension intime de cette dimension de l’ouvrage qui frappe d’abord dans la production montée par Opéra McGill au Monument-National. À la tête d’une phalange de quarante et un musiciens d’une belle cohésion, Stephen Hargreaves souligne avec beaucoup de raffinement les innombrables subtilités d’une partition au charme envoûtant. Les cordes diaphanes, les bois tour à tour nostalgiques ou narquois, les cuivres d’une plénitude jamais agressive, tous les pupitres concourent à une splendide réussite orchestrale. Parvenir dans le cadre académique à un tel degré d’excellence est suffisamment rare pour être souligné avec enthousiasme.

L’autre source de ravissement réside dans l’interprétation du prince charmant par la mezzo Mala Weissberg. Déjà appréciée l’an dernier sur la même scène en Hänsel, la jeune chanteuse possède déjà l’étoffe d’une professionnelle : à la beauté prenante du timbre, elle joint un legato admirable, une grande musicalité, une parfaite élégance du phrasé et une présence scénique radieuse. Sans jamais forcer son instrument, elle sait à merveille exprimer les désarrois du prince d’abord neurasthénique puis éperdument amoureux de la mystérieuse inconnue. Ajoutons enfin que sa diction impeccable fait honneur au chant français, ce que l’on ne saurait malheureusement dire du reste de la distribution. On peut d’ailleurs s’étonner de la prononciation approximative de plusieurs chanteurs et du fait qu’Opéra McGill n’ait pas accordé plus d’importance à cet aspect pourtant essentiel de toute représentation lyrique. 

Cendrillon, Opéra McGill, 2024
Photographie : Stephanie Sedlbauer

La touchante Cendrillon d’Emma Battel se distingue par sa sensibilité, sa puissance et son endurance. Un peu à la peine dans son grand air « Enfin, je suis ici… », elle révèle la pleine mesure de son talent dans les magnifiques duos avec le prince et avec son père Pandolfe. À ce stade de sa carrière, il lui faudra toutefois veiller à mieux contrôler un vibrato envahissant et à gagner davantage de facilité dans les aigus, à l’exemple de la superbe fée marraine de Kinnon Weddall. Cette dernière impressionne par une virtuosité éblouissante mise au service d’une expressivité jamais prise en défaut. À ces qualités il faut ajouter une grâce naturelle dans sa gestuelle qui convient idéalement à la nature éthérée de son personnage. Pour sa part, Javiera Zepeda est une Madame de La Haltière outrecuidante à souhait qui fait entendre un riche timbre de mezzo. Sa complicité est totale avec Julianna Collevecchio et Chloe Monette, qui campent avec beaucoup de drôlerie ses deux filles écervelées. Si Jayden Burrows ne peut faire illusion en raison d’une voix à l’ambitus limité, son Pandolfe s’avère néanmoins émouvant, en particulier dans son duo « Viens, nous quitterons cette ville », où l’on perçoit toute la tendresse d’un père pour sa fille éplorée. Mentionnons enfin que le chœur se hisse à un très bon niveau, notamment dans le tableau du chêne enchanté.

Visuellement, les quelques éléments de décor évoquant la maison de Pandolfe et le palais royal retiennent moins l’attention que les nombreux costumes bellement fantaisistes. Efficace et bien rodée, la mise en scène de David Lefkowich se distingue surtout dans les deux scènes féeriques, où la magie des atmosphères concourt à nous plonger dans un monde irréel. Au deuxième acte, les différentes entrées du bal donnent lieu à d’amusantes chorégraphies dans lesquelles certaines prétendantes au trône cherchent tant bien que mal à mettre leurs appâts en valeur. En revanche, il est dommage de baisser le rideau pendant le passage orchestral (la Marche des princesses) précédant le dernier tableau et de ne pas tirer parti d’une situation dramatique haute en couleur. Cela dit, c’est d’abord la dimension musicale de cette production et bien sûr le prince remarquable de Mala Weissberg qui laisseront un souvenir vivace.

Cendrillon, Opéra McGill, 2024
Photographie : Stephanie Sedlbauer

Cendrillon

De Jules Massenet
Opéra en quatre actes sur un livret de Henri Cain
ORC : Orchestre symphonique de McGill

Production
Opéra McGill
Représentation
Monument-National , 27 janvier 2024
Direction musicale
Stephen Hargreaves
Interprète(s)
Emma Battel (Cendrillon), Mala Weissberg (le prince charmant), Kinnon Weddall (La fée), Jayden Burrows (Pandolfe), Javiera Zepeda (Madame de la Haltière), Julianna Collevecchio (Noémie), Chloe Monette (Dorothée), Ziggy Haris (le surintendant des plaisirs), Kyle Briscoe (le doyen)
Mise en scène
David Lefkowich
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