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CRITIQUE - Le Couronnement de Poppée : L’ambition et la volupté

CRITIQUE - Le Couronnement de Poppée : L’ambition et la volupté

Photographie : Kevin Calixte

Les productions d’opéras baroques se font rares à l’Opéra de Montréal. Avec ce Couronnement de Poppée à la mise en scène et à la scénographie des plus réussiesl’institution a permis une intéressante incursion dans cet univers musical.

Dernièrement, jai eu le plaisir de faire la critique de L’Orfeo de Monteverdi par Leonardo García Alarcón et son équipe. Jétais encore plus fébrile de me diriger à la salle Pierre-Mercure le 18 novembre dernier pour Le Couronnement de Poppée du même compositeur, présenté par l’Orchestre de lAgora et lAtelier lyrique de lOpéra de Montréal. 

Si jétais fébrile, mon inquiétude était encore plus marquée. LOpéra de Montréal sattaque à Monteverdi ? La dernière fois remonte à 23 ans tout de même. Il y a bien eu AgrippinadHaendel en 2005, et Zémir et Azore avec lAtelier en 2015, mais, soyons clairs dès le départ, lOpéra de Montréal ne propose pas dopéra baroque. Ainsi, javais peur dêtre otage dun spectacle faisant fi des questions musicologiques ou esthétiques inhérentes à lart baroque. Et jai été surpris. Agréablement surpris !

Alors, il y a des choses à redire bien sûr, mais ne boudons pas notre plaisir, jai passé une agréable soirée et jai profité dun beau spectacle. Tout dabord, grâce à léquipe de conception. Les costumes de Jessica Poirier-Chang sont sublimes et ingénieux, car ils servent le propos ; on pense particulièrement à la conception visuelle du personnage de Poppée qui attire lœil, à limage de la future impératrice romaine. 

Pour la mise en scène, Aria Umezawa a évidemment fait ses devoirs. Le Couronnement, contrairement à son prédécesseur L’Orfeo, ne présente pas un dualisme aussi tranché. Le livret est rédigé par un membre de lAccademia degli Incogniti, Giovanni Francesco Busenello. Ce cercle dérudits était constitué de poètes et dhistoriens libertins – dans le premier sens du mot :libre penseur – qui introduisirent des idées matérialistes etsceptiques sur la scène musicale et dramatique de Venise au XVIIe siècle. Ce sont ces considérations matérialistes – la suprématie du plaisir charnel sur la vertu, le scepticisme face à la dualité de lâme qui justifie le doute face à lhégémonie cléricale – qui font du Couronnement un opéra choquant. Cependant, la conclusion de lœuvre où Nerone et Poppée triomphent revêt une saveur amère lorsque l’on connait le destin tragique qui les attend. Pour rappel, Poppée décède d’un coup de pied de Neronequi lui se suicidera en 1668, à la suite de la révolte de Galba qui placera Othon sur le trône. Le prologue opposant Fortuna et Virtù prend tout son sens, illustrant comment lAmour, bien que triomphant, ne peut échapper à lironie du destin orchestré par la Fortune qui tantôt élève les Hommes pour ensuite se jouer de leur destin. Tous ces éléments sont présents dans la mise en scène, soit parce quils sont habilement évoqués par des images scéniques fortes, mais également car Umezawa sait laisser le texte raconter lhistoire lorsque nécessaire, un fait malheureusement tellement rare qui mérite dêtre souligné.

Je lai déjà dit, le style de Monteverdi nest pas le plus facile à aborder quand on n’en a pas lhabitude, autant pour le public que pour les interprètes. Si chacun des chanteurs a eu loccasion, à un moment ou à un autre de sa formation, daborder le répertoire baroque, on trouve généralement plus de Bach et de Haendel que de Cavalli ou de Giovanni Felice Sances dans les cursus. Nous nétions pas en face de spécialistes du XVIIe italien, et il ne fallait pas attendre autre chose. Ceci dit, certains noms sillustrent dans la production.

Ilanna Starr (Nerone) et Emma Fekete (Poppée) sontimpressionnantes. Les ornements sont détendus, on sent une certaine aise avec le style et elles forment un duo avec une belle présence scénique. Sophie Naubert (Drusilla) mérite également ses applaudissements à la fin du concert. C’est linterprète que jai senti la plus confortable avec le style. Il ma semblé quelle samusait avec ses ornements et quelle faisait sienne cette esthétique particulière. Matthew Li (Seneca) incarne parfaitement le stoïcisme droit et éloquent. Dans lensemble, les chanteurs ont clairement mis un grand soin dans lincarnation théâtrale de leurs personnages, ne se limitant pas à la dimension musicale.

Emma Fekete (Poppée/Fortuna) dans Le Couronnement de Poppée, 2023
Photographie : Kevin Calixte

Maintenant, jaimerais comprendre lapproche de la production envers la voix de contreténor dIan Sabourin. Il est important de noter que certains contreténors sont plus adaptés pour les airs de cour quà lopéra italien, et certains interprètes brillent plus dans le registre aigu, contrairement à lidée répandue qui veut que cette voix soit simplement un contralto masculin, sans plus. L’une des deux sources de la partition utilisant majoritairement la clef dalto pour Ottone, il me parait évident que le rôle était trop grave pour Sabourin. Sa performance manquait de projection, et jaurais tendance à croire quil serait plus à laise dans les lute songs. Gardons-nous cependant de juger, mais je suis curieux de voir comment la direction de lAtelier explorera ses capacités dans dautres répertoires afin de laccompagner dans son développement. Rachèle Tremblay en Ottavia ma également laissé un peu sur ma faim, la justesse nayant pas été constante lors de ses prestations.

En ce qui concerne lorchestre, le travail du continuo, assuré par Antoine Mallette-Chénier, Sylvain Bergeron, Kerry Bursey,Tristan Best et Hank Knox, se démarque comme le pilier sur lequel les interprètes peuvent sappuyer. Les choix artistiques de Nicolas Ellis sont également judicieux. Lutilisation du lirone dans les récitatifs ajoute cette couleur chatoyante indispensable à lopéra italien du XVIIe siècle tout en évoquant la lyre dOrphée. Cette association prend tout son sens à la mort de Seneca, où Nicolas Ellis a inclus la ritournelle de L’Orfeo pour renforcer la thématique de lorphisme, particulièrement pertinente lorsque lon présente la mort dun philosophe ayant prôné un stoïcisme ascétique.

Cependant, il faut remarquer que les violons peinent à garder une justesse constante. Loin de moi lidée de leur jeter la pierre :la technique nécessaire pour aborder des instruments baroques est différente de celle requise par les instruments modernes. Je ne mexplique simplement pas pourquoi on a demandé à des musiciens modernes de jouer sur des instruments baroques. Plus de la moitié des musiciens dans la fosse étaient des spécialistes du baroque, et ce nest pas comme si Montréal manquait de violonistes spécialisés talentueux. Pourquoi alors ne pas avoir également fait appel à leurs services ?

Il ne me reste quà espérer que cette production aura été un succès pour lOpéra de Montréal et pour lAgora afin dun jour, peut-être, avoir enfin droit à un Lully ou un Rameau.

Le Couronnement de Poppée

Opéra en un prologue et trois actes de Claudio Monteverdi sur un livret de Giovanni Francesco Busenello, basé sur les Annales de Tacite.
ORC : Orchestre de l’Agora

Production
Opéra de Montréal
Représentation
Salle Pierre-Mercure , 18 novembre 2023
Direction musicale
Nicolas Ellis
Interprète(s)
Emma Fekete (Poppée/Fortuna), Rachèle Tremblay (Ottavia/Famigliari II/Amore secondo), Ilanna Starr (Nerone), Sophie Naubert (Amore/Drusilla), Chelsea Kolić (Virtù/Venus), Ian Sabourin (Ottone), Sydney Frodsham (Arnalta/Famigliari I/Amore terzo), Angelo Moretti (Nutrice/Lucano/Soldat I), Mishael Eusebio (Liberto/Soldat 2/Tribuno), Matthew Li (Seneca), Mikelis Rogers (Console/Littore/Famigliari III)
Mise en scène
Aria Umezawa
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