Critiques

CRITIQUE - Une Périchole… un peu grise !

CRITIQUE - Une Périchole… un peu grise !

La Périchole, Opéra bouffe du Québec, 2023
Photographie : Opéra bouffe du Québec

L’Opéra bouffe du Québec (OBQ) propose, année après année, des spectacles colorés et joyeux, qui mettent en valeur un répertoire négligé, l’opérette, et permettent de faire connaissance avec de jeunes artistes lyriques, tout en admirant la cohésion d’un chœur dynamique et sympathique. Une soirée à l’OBQ, c’est comme un souper avec un vieil ami qui nous reçoit une fois par année : quelle que soit l’affection qu’on porte à cet ami, il faut bien avouer que certains soupers sont plus réussis que d’autres…

Parmi les chefs-d’œuvre de la grande période d’Offenbach (avec La Belle HélèneLa Vie parisienne et La Grande-duchesse de Gérolstein), La Périchole est sans doute celui comportant le plusde paradoxes. Sa musique joyeuse recouvre un propos empreint de cynisme, voire de cruauté, avec comme protagonistes un couple d’artistes des rues qui meurent de faim. Elle accepte une forme de prostitution afin de se nourrir. Lui, abandonné, songe à mettre fin à ses jours… De brusques changements de registres font alterner des moments de tendresse avec des répliques très grinçantes, et pourtant le ton doit rester léger et pétillant (comme le champagne, auquel on compare invariablement l’opérette). La production de l’OBQ, bien que charmante, ne nous paraît pas avoir résolu toutes ces difficultés. 

Par exemple, la gestion des chœurs soulève bien des questions. Dans les opérettes de Lopez, les choristes participent à un numéro musical qui arrive pendant un arrêt dans le déroulement de l’histoire : ils n’ont qu’à chanter gaiement. Chez Offenbach, ils font partie de l’action : pendant les longs ensembles échevelés qui ponctuent la fin des actes 1 et 2, ils réagissent, ils commentent, mais doivent aussi se faire oublier pendant les moments où un dialogue parallèle a lieu entre les solistes. Toutes ces attitudes sont évidemment beaucoup plus compliquées à mettre en place. 

On doit avouer que la mise en scène des mouvements de foule apparaît parfois peu inspirée. Le chœur de l’OBQ, qu’on a souvent vu plus remuant, se retrouve bien la plupart du temps en un seul bloc face au public. Les solistes aussi ont tendance à lancer leurs notes à l’avant-scène, quasiment en tête-à-tête avec le chef. 

La distribution, habituellement très solide à l’OBQ, ne convainc pas complètement. Pour le rôle de la Périchole, personnage hors norme qui mélange la force et la fragilité, et semble annoncer par instants la Carmen de Bizet, à d’autres la Manon de Massenet, il faut une interprète qui a le diable au corps, une véritable boute-en-train, à la fois vulnérable et volontaire, rusée et sincère. Sans atteindre ce degré de complexité, Piquillo n’est pas seulement un amoureux un peu benêt. Il a des accès de révolte et de lucidité. L’œuvre demande des chanteurs-acteurs capables d’humour et de tendresse, d’ironie et d’abandon, autant de nuances qui doivent passer dans le chant. 

La Périchole, Opéra bouffe du Québec, 2023
Photographie : Opéra bouffe du Québec

Les deux jeunes interprètes qu’on entend à l’OBQ ont des présences sympathiques et de jolies voix. Mais force est d’admettre qu’ils ne cochent pas toutes les cases de leurs rôles aux multiples facettes et qu’ils ne tirent pas parti de tous les beaux moments que leur réserve la partition. 

Le baryton Geoffroy Salvas, en Don Andrés, se révèle le meilleur élément de la distribution. Il maîtrise tous les aspects de son interprétation : voix, diction, jeu  à un point tel qu’on l’imagine aisément chanter l’opérette dans de grands théâtres européens. La deuxième étoile revient au ténor Éric Thériault, habitué de l’OBQ, très à l’aise en Don Pedro, un rôle secondaire, où il arrive à briller sans tirer la couverture. Associé au très énergique Alexandre Iannuzzi en Panatellas, il profite des meilleurs gags de la mise en scène.


Ces quelques réserves ne doivent pas jeter de l’ombre sur un spectacle rempli de qualités. Une œuvre ambitieuse, montée avec soin, par une troupe talentueuse, mérite qu’on l’encourage. On se permet de critiquer un vieil ami, parce qu’on l’aime beaucoup, mais on voudra toujours goûter à ce qu’il nous a préparé pour souper !

La Périchole

Opéra-bouffe en 3 actes de Jacques Offenbach, livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy
ORC : Orchestre de l’Opéra bouffe du Québec
CHO : Chœur de l’Opéra Bouffe du Québec

Production
Opéra bouffe du Québec
Représentation
Maison des Arts de Laval , 28 octobre 2023
Direction musicale
Simon Fournier
Interprète(s)
Rosalie Lane Lépine (La Périchole), Thomas Viñals (Piquillo), Geoffroy Salvas (Le vice-roi), Alexandre Iannuzzi (Panatellas), Éric Thériault (Don Pedro), Martin Héroux (Tarapote, le notaire, le prisonnier), Léa Jourdain (Guadalena, Frasquinella), Natacha Demers (Mastrilla, Ninetta), Geneviève Bastien (Berginella, Brambilla)
Mise en scène
Alain Zouvi
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