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CRITIQUE - María de Buenos Aires : Un tango sans fougue

CRITIQUE - María de Buenos Aires : Un tango sans fougue

Photographie : Tam Photography

C’est le 23 novembre dernier que l’Orchestre classique de Montréal (OCM) présentait María de Buenos Aires du compositeur argentin Astor Piazzolla. Basé sur un livret dHoracio Ferrer, l’opéra-tango fête tout juste ses 55 ans, alors qu’il a été présenté pour la première fois en mai 1968.

L’œuvre raconte l’histoire d’une María, le nom le plus commun des communautés latines, qui vit dans les tréfonds de Buenos Aires. Le livret évoque en fait le sort des travailleuses du sexe qui, anonymes, vivent dans les misères ténébreuses de la capitale argentine ; là où seules les compromissions, la déchéance et l’ignominie règnent. Le premier acte présente une María vivante qui constate et chante les misères de sa vie et de son destin. Dans le second acte, la femme n’est en fait que l’ombre d’elle-même, puisque sa misérable vie a fini par l’emporter au royaume des morts. 

La scène est partagée entre trois personnages marginalisés de la société. Il y a la María, un payador chanteur de musique traditionnelle souvent issu des communautés autochtones des pays d’Amérique du Sud, ainsi qu’un duende, un humain difforme et hideux prenant part à l’imaginaire du folklore latin – présenté dans le cadre de l’opéra par un comédien et non un chanteur. L’œuvre est également souvent présentée avec de nombreux·ses danseur·ses de tango. 

L’histoire cet opéra a initialement été imaginée par l’actrice et chanteuse argentine, Egle Martin, alors amante de Piazzolla. Le compositeur a par ailleurs débuté la composition de son œuvre en imaginant le rôle pour elle. Entre le commencement et la fin de l’écriture de l’œuvre, les amants s’étaient toutefois quittés – c’est à la chanteuse de tango Amelita Baltar qu’a ensuite été confié le rôle.

L’œuvre de Piazzolla est originairement composée pour un quintette formé d’un bandonéon, d’un violon, d’un piano, d’une guitare et d’une contrebasse, accompagné d’un alto, d’un violoncelle, d’une flûte et de plusieurs percussions. Dans l’interprétation de l’Orchestre classique de Montréal, on retrouvait tous ces instruments hors du commun de la sphère classique, en plus de l’ensemble à cordes habituel qu’est l’OCM. L’œuvre était présentée en version concert ; presque sans mise en scène.

La prestation livrée par l’orchestre, qui aurait pu être pleine d’ardeur, a souffert d’importantes failles, ne rendant malheureusement pas du tout justice à l’opéra de Piazzolla. Si la performance des musiciens de l’OCM était sans fausse note, elle était toutefois dénuée d’émotions, voire simplement inexpressive. L’interprétation qui aurait dû respirer la sensualité du tango était froide et austère. Il en va de même pour la direction offerte par le chef d’orchestre Jacques Lacombe, qui a battu la mesure sans erreur, mais sans vitalité.

Du côté du chant, l’œuvre écrite par le compositeur était destinée à une chanteuse de tango et non à une chanteuse classique. Le registre de la mezzo-soprano Julie Nesrallah n’était pas du tout approprié pour ce type d’œuvre vocale. Ainsi, dans les airs grave, la voix de Nesrallah ne se projetait que très peu dans l’espace, et ce, même si l’interprète portait un micro – aucun commentaire ne sera émis sur cet usage –, ne rendant ainsi pas du tout valeur à son interprétation de María. L’interprétation de la chanteuse manquait en outre d’énergie et les paroles prononcées étaient à de multiples moments inintelligibles. Le baryton Clarence Frazer a, quant à lui, livré une performance droite et un peu plus solide, puisque sa voix portait davantage. Et si son interprétation manquait au début de dynamisme, il s’est quelque peu repris pour la seconde partie de l’œuvre.

Julie Nesrallah (Maria) et Victor Andres Trelles Turgeon (comédien) dans María de Buenos Aires, 2023
Photographie : Tam Photography

C’est donc à Victor Andres Trelles Turgeon, qui interprétait le duendeque revient la meilleure interprétation de la soirée. Totalement ancré dans son personnage, le comédien a livré une performance dont l’élan était bien senti. Toutefois, son jeu d’acteur, tourné vers ses collègues chanteurs, était peu, voire aucunement reçu par ces derniers, ce qui a créé une large dislocation de l’interaction entre les personnages. Il n’y a eu qu’un seul moment à la toute fin de l’œuvre où Nesrallah a finalement interagi avec le duende. Le micro a également failli à l’interprétation de Trelles Turgeon ; dès que le comédien en était trop éloigné, le public perdait l’essentiel de son propos. 

Parmi les quelques points positifs de la soirée, il faut tout de même noter l’interprétation bien effectuée et vivante des solistes invités par l’orchestre. En effet, la participation du guitariste Adam Cicchilitti, du bandonéoniste Denis Plante, de la pianiste Esther Gonthier et de la flûtiste Caroline Séguin a redonné de la vigueur à l’interprétation musicale de l’œuvre. 

On doit finalement le sauvetage du concert aux danseurs·ses de tango. Leurs flamboyantes et sensuelles danses ont été les vedettes de cette soirée, permettant ainsi quelques agréments colorés et vibrants dans une soirée malheureusement très beige.

María de Buenos Aires

Opéra-tango d’Astor Piazzolla sur un livret un livret d’Horacio Ferrer

ORC : Orchestre classique de Montréal
DAN : Camille Dubois-Chalifoux, Alexander Latorre, Jorge López, Sandra Naccache, Paulina Posadas, Alejandro Villalobos, Dominique Wang

Production
Orchestre classique de Montréal
Représentation
Salle Pierre-Mercure , 23 novembre 2023
Direction musicale
Jacques Lacombe
Instrumentiste(s)
Adam Cicchilitti (guitare), Esther Gonthier (piano), Catherine Meunier et Catherine Varvaro (percussions), Denis Plante (bandonéon), Caroline Séguin (flûte)
Interprète(s)
Julie Nesrallah (Maria), Clarence Frazer (baryton), Victor Andres Trelles Turgeon (comédien)
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