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CRITIQUE - L’Orfeo : La véritable vertu des passions

CRITIQUE - L’Orfeo : La véritable vertu des passions

Valerio Contaldo (Orphée) dans L’Orfeo, Festival de Lanaudière, 2023
Photographie : Agence BigJaw

Le samedi 22 juillet au Festival de Lanaudière a eu lieu une représentation de L’Orfeo de Monteverdi par la Cappella Mediterranea, en collaboration avec le Chœur de chambre de Namur, sous la direction de Leonardo García Alarcón. Pour ma part, c’était un plaisir de retrouver l’œuvre de Monteverdi que j’ai déjà eu l’occasion d’interpréter et d’étudier. Cependant, rien ne m’avait préparé à cette soirée extraordinaire.

Bien que la musique de Monteverdi soit d’une magnificence indéniable, il faut reconnaître qu’elle ne se laisse pas apprivoiser aisément. Contrairement aux opéras plus familiers – avec leurs arias virtuoses et leurs intrigues enchevêtrées – l’œuvre du divin Monteverdi se distingue par son esthétique typique du XVIIe siècle naissant, où l’aspect théâtral rivalise par moments avec les éléments musicaux. En effet, les chœurs et les airs se mêlent harmonieusement, mais cèdent également la place à de nombreux passages qui s’approchent davantage du récitatif et de la déclamation.

Leonardo García Alarcón a choisi de miser sur cette théâtralité. Les chanteurs se sont clairement démarqués grâce à leur technique irréprochable ; cependant, plus que dans tout autre opéra que j’ai pu voir, c’est leur jeu, d’une vérité presque violente, qui a captivé le public tout au long du spectacle. Les interprètes s’investissent, utilisent de subtiles inflexions ou des pauses afin de communiquer les passions des personnages. L’ensemble est très savoureux. Les moments tendres sont poignants et les quelques passages comiques sont charmants – en particulier le duo de pâtres de l’acte II. Mentionnons également la surprise de voir le violon principal effectuer une danse, instrument en main, lors des célébrations des bergers. Théâtral, disais-je !

Mariana Flores, qui interprétait brillamment les rôles d’Eurydice et de La Musica, charme par sa déclamation émouvante et sa vulnérabilité palpable, habilement mise en valeur dans des pianissimo qui tiennent la salle sous son emprise. De son côté, le ténor Valerio Contaldo, dans le rôle d’Orphée, fait preuve d’une intensité remarquable. Son timbre chatoyant et solaire confère au personnage une chaleur envoûtante. Une mention spéciale doit également lui être accordée pour ses ornements lors de l’acte III. Il faut par ailleurs souligner le travail d’Alessandro Giangrande (Apollon et pâtre) dans le duo final avec Orphée et également celui de Giuseppina Bridelli (La Messagiera), qui a été particulièrement poignante lors de la scène annonçant la mort d’Eurydice – l’un des moments les plus touchants du spectacle.

Cependant, L’Orfeo est une œuvre qui, bien qu’elle possède des rôles principaux, ne peut avoir de véritable « héros » – au sens où il ne suffit pas d’avoir de bons solistes pour en faire un succès. Le chœur de chambre de Namur est splendide et parfaitement rodé à l’exercice de l’opéra. Avant le début de la représentation, j’admets avoir été quelque peu inquiété par le large effectif du chœur que je craignais trop puissant contre l’orchestre. Or, il n’en est rien et l’ensemble a trouvé un bel équilibre, malgré une acoustique étouffée.

Du côté de l’orchestre, on me permettra d’encenser le rôle de Rodrigo Calveyra qui tenait la partie de flûte à bec et de cornet à bouquin. En général, les productions de L’Orfeo font appel aux flûtes à bec, mais simplement aux reprises ou dans les ritournelles afin d’agrémenter le travail des cordes. Cette fois-ci, Alarcón les utilise parfois en substitution des violons pour les récitatifs, et l’effet est saisissant. C’est d’ailleurs la grande différence de cette version par rapport à toutes les autres que j’ai pu entendre : le chef se sert de chaque partie de l’orchestre afin de renouveler l’écoute des récitatifs. Cuivres, flûtes, harpe, positifs, régale (petit orgue portatif) ; personne n’y échappe. Les couleurs sont constamment changeantes afin d’appuyer les vers du texte. 

Mariana Flores (Eurydice, La Musica) dans L’Orfeo, Festival de Lanaudière, 2023
Photographie : Agence BigJaw

Cette approche timbrale, mettant en valeur les instruments anciens, pourrait être hâtivement jugée comme « non historique ». Cependant, il est important de se rappeler que Monteverdi lui-même a expressément requis l’utilisation du régale lors des scènes de l’Enfer, créant ainsi un effet de grandeur et de majesté. Dès le début de la partition, au même plan que les personnages de l’opéra, Monteverdi décrit minutieusement les instruments qu’il requiert. Cette inscription apparait dans les deux éditions publiées au cours de sa vie, soit en 1609 et en 1615. Cette attention démontre l’attachement de Monteverdi à l’œuvre et indique que son choix pour l’approche timbrale était déjà clairement prévu à son époque. Alarcón ne fait que broder sur cette idée. Cette version de L’Orfeo a également été endisquée en 2021 par la Cappella Mediterranea, et elle deviendra assurément ma référence à l’avenir.

Pour terminer, il convient de remercier le Festival de Lanaudière qui a eu l’audace d’inviter un si large effectif pour présenter une œuvre qui – sans être obscure – n’est pas non plus une symphonie de Beethoven. Le seul point négatif de la soirée, s’il devait y en avoir un, serait l’acoustique de l’amphithéâtre Fernand-Lindsay. Dans son mot d’introduction, le directeur artistique précisait que la salle était l’endroit parfait pour L’Orfeo. Si je suis d’accord avec lui pour l’aspect visuel – la salle en extérieur nous laisse voir le coucher du soleil pendant la descente d’Orphée aux Enfers – je dois tout de même préciser qu’assis dans les premières rangées ou au milieu de la salle, il était difficile d’apprécier toutes les nuances ou les couleurs des musiciens sur scène. 

Il faut dire que les cellulaires et alarmes de voiture n’ont pas aidé. On n’en tiendra cependant pas rigueur au Festival, qu’on espère voir réinviter M. Alarcón et son équipe rapidement.

L’Orfeo

Opéra en cinq actes de Claudio Monteverdi sur un livret d’Alessandro Striggio (fils)
ORC : Cappella Mediterranea
CHO : Chœur de chambre de Namur

Production
Festival de Lanaudière
Représentation
Amphithéâtre Fernand-Lindsay , 22 juillet 2023
Direction musicale
Leonardo García Alarcón
Interprète(s)
Valerio Contaldo (Orphée), Mariana Flores (Eurydice, La Musica), Giuseppina Bridelli (La Messagiera), Anna Reinhold (Proserpina, Speranza), Alejandro Meerapfel (Plutone), Salvo Vitale (Caronte), Alessandro Giangrande (Apollo, Pâtre), Leandro Marziotte (Pâtre), Nicholas Scott (Pâtre, Spirito, Eco), Matteo Bellotto (Pâtre), Estelle Lefort (Ninfa), Philippe Favette (Spirito)
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