CRITIQUE - Des Noces de Figaro classiques – et humoristiques
Rachèle Tremblay (Marcellina), Scott Brooks (Bartolo), Leon Kosavić (Figaro), Andrea Núñez (Susanna) et Hugo Laporte (Comte Almaviva) dans Les Noces de Figaro, Opéra de Montréal, 2023
Photographie : Vivian Gaumand
L’Opéra de Montréal entame sa saison 2023-2024 avec une production on ne peut plus classique des Noces de Figaro, aux antipodes d’une campagne de marketing qui a fait couler beaucoup d’encre. Point de tatouages ni de bijoux dentaires dans cette mise en scène de Stephen Lawless, dont les décors et les costumes sont conçus par Leslie Travers : tout est solidement ancré dans le XVIIIe siècle de Mozart et Beaumarchais.
La production ne s’en adresse pas moins à un vaste public, qu’elle cherche à rejoindre non pas par le biais d’une actualisation du récit, mais par une mise en scène qui multiplie les effets comiques. Au premier acte, le fameux fauteuil où se cachent d’abord Cherubino, puis le Comte Almaviva est ainsi remplacé par un lit autour duquel les personnages déploient une pantomime complexe et d’une grande efficacité comique. Ce même lit est d’ailleurs au centre de la mise en scène dans toute la première partie du spectacle (actes I et II) : on y voit Susanna et Figaro anticiper légèrement sur leur mariage prochain, Cherubino esquisser des gestes plus ou moins appropriés envers Susanna et la Comtesse, Marcellina et Bartholo se rapprocher physiquement tout en complotant pour permettre à cette dernière d’exiger de Figaro qu’il l’épouse en guise de remboursement d’une vieille dette, et ainsi de suite – la dimension charnelle de l’intrigue (qui, ne l’oublions pas, tourne autour de la question du droit de cuissage que le Comte veut rétablir pour pouvoir en profiter auprès de Susanna) est ici tout sauf évacuée.
Le personnage de Cherubino (campé de façon très convaincante par Katie Fernandez), en particulier, est présenté – avec moult métaphores visuelles d’une subtilité variable – comme un adolescent qui peine à maîtriser ses pulsions. Il en résulte un humour scénique qui flirte parfois avec le vulgaire, au grand plaisir d’un public visiblement conquis (il est rare qu’on entende autant rire à l’opéra !).
La mise en scène souligne par ailleurs à gros traits certains clichés du livret, utilisés ici à des fins comiques. Lorsque Figaro (Leon Košavić, excellent) chante son air de l’acte IV « Aprite un po’ quegli occhi » (« Ouvrez un peu les yeux, hommes imprudents et niais »), dans lequel il se plaint de la rouerie des femmes, il dirige une lampe vers le public et les lumières s’allument dans la salle, comme pour dire « voyez toutes ces femmes qui se jouent de vous, pauvres hommes ». Dans la partition de Mozart, ce propos sexiste (inspiré par le fait que Figaro se croit, à tort, trahi par Susanna) est contrebalancé par l’air de Marcellina « Il capro et la capretta » qui le précède presque immédiatement, mais cet air prônant la bonne entente entre les sexes est ici coupé, comme c’est d’ailleurs le cas dans la quasi-totalité des productions scéniques des Noces de Figaro.
Kirsten MacKinnon (Comtesse Almaviva) et Katie Fernandez (Cherubino) dans Les Noces de Figaro, Opéra de Montréal, 2023
Photographie : Vivian Gaumand
La dimension politique de l’opéra – créé juste avant la Révolution française et composé d’après une pièce dans laquelle Beaumarchais critique ouvertement l’aristocratie – est également mise en valeur, à des moments qui surprennent parfois. La scène du mariage au troisième acte comporte en effet une chorégraphie suggérant une forme de révolte des serviteurs que rien ne soutient à cet endroit du livret et de la partition ; l’air de Figaro « Se vuol ballare » (acte I), au contraire, est mis en scène de façon assez neutre malgré le fait que Figaro y défie explicitement le Comte.
Sur le plan musical, la production est fortement desservie par l’acoustique décidément problématique de la salle Wilfrid-Pelletier. De la corbeille où j’étais placée, la merveilleuse musique de Mozart ne s’entendait pas avec toute l’ampleur que j’aurais souhaitée : l’Orchestre Métropolitain (dirigé par Nicolas Ellis) semblait jouer constamment pianissimo, et le pianoforte était plus que discret – ce qui est d’autant plus dommage que l’accompagnement des récitatifs et de certaines transitions scéniques était de toute évidence plein d’une inventivité dont j’aurais aimé pouvoir apprécier toutes les nuances. Quant aux voix, elles peinaient à se faire entendre, surtout dans la première partie (actes I et II) où seule Kirsten MacKinnon en Comtesse Almaviva parvenait à déployer pleinement la richesse de son timbre. Après l’entracte, l’équilibre sonore et la mise en valeur des voix étaient heureusement meilleurs, permettant d’apprécier davantage les prestations de Leon Košavić en Figaro, Andrea Núñez en Susanna et Hugo Laporte en Comte Almaviva. On ne peut que rêver du résultat musical que donnerait cette production dans une salle réellement conçue pour l’opéra.
Les Noces de Figaro
Opéra bouffe en 4 actes de Wolfgang Amadeus Mozart, sur un livret de Lorenzo da Ponte d’après la comédie de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
ORC : Orchestre Métropolitain
CHO : Chœur de l’Opéra de Montréal
- Production
- Opéra de Montréal
- Représentation
- Salle Wilfrid-Pelletier , 23 septembre 2023
- Direction musicale
- Nicolas Ellis
- Interprète(s)
- Leon Košavić (Figaro), Andrea Núñez (Susanna), Kirsten MacKinnon (Comtesse Almaviva), Hugo Laporte (Comte Almaviva), Katie Fernandez (Cherubino), Rachèle Tremblay (Marcellina), Scott Brooks (Bartolo), Emma Fekete (Barbarina), Angelo Moretti (Basilio/Don Curzio), Matthew Li (Antonio)
- Mise en scène
- Stephen Lawless