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CRITIQUE - Au Festival d’opéra de Québec : La Fille sans régiment revisite Donizetti

CRITIQUE - Au Festival d’opéra de Québec : La Fille sans régiment revisite Donizetti

Emanuel Lebel (Sulpice) et Thera Barclay (Marie) dans La Fille sans régiment, Festival d’opéra de Québec, 2023
Photographie : Emmanuel Burriel

Pour sa 12e édition, le Festival d’opéra de Québec a mis à l’affiche trois œuvres lyriques en français : une création, avec la Messe solennelle pour une pleine lune d’été de Michel Tremblay, mise en musique par Christian Thomas, Roméo et Juliette de Charles Gounod, et La Fille sans régiment, une adaptation de l’opéra-comique bien connu de Gaetano Donizetti, La Fille du régiment

Depuis 2017, le Festival d’opéra de Québec s’allie aux Jeunesses Musicales Canada (JMC) pour présenter des œuvres du répertoire lyrique dans une version allégée, ramenée à quelques chanteurs et à un piano. Après Une veuve joyeuse de l’an dernier, voici La fille sans régiment – entendez par là, sans chœur, sans grands déploiements, dans un format « bagage cabine » comme l’écrit Danielle LeBlanc, la directrice des JMC, dans les notes de programme.  Si bien qu’avec beaucoup d’humour, le narrateur, en guise de prologue, prévient le public qu’en raison de problèmes d’avion, le chœur et l’orchestre ont perdu leurs bagages et qu’il n’y aura donc pas de régiment ! Le ton est donné, et quelques clins d’œil à l’actualité pimentent ainsi la soirée.

Sur scène, quatre panneaux amovibles plantent le décor qui, au deuxième acte, deviendra l’élégant salon de la marquise. La mise en scène et l’adaptation du livret par Nathalie Deschamps vont chercher l’essentiel de l’opéra de Donizetti et mettent l’accent sur la guerre et ses angoisses, sur le patriotisme et, bien entendu, sur l’amour. Les costumes hauts en couleur d’Émily Wahlman recréent l’atmosphère des campagnes napoléoniennes contre l’Autriche avant le Congrès de Vienne.

Dès les premiers accents de l’ouverture, la pianiste Rosane Lajoie a brillamment pris la place de l’orchestre. Tout au long de la représentation, par sa musicalité et son aplomb, elle s’est montré une partenaire de haut calibre.

Cinq chanteurs se sont partagé la scène et ont fait bonne figure dans les nombreux ensembles que comprend l’œuvre. Le narrateur et homme à tout faire de cette production, le baryton-basse de Québec Maxence Lasserre-Engberts – également à l’aise en voix de tête (acte II) –, servait de pivot et assurait l’enchaînement des scènes. Il a incarné tour à tour Hortensius (l’intendant de la marquise), le régiment (!) et la duchesse de Crakentorp. Chacune de ses interventions, plus parlées que chantées, montrait le plaisir évident qu’il avait à entrer dans la peau de ces personnages.

La Fille sans régiment, Festival d’opéra de Québec, 2023
Photographie : Emmanuel Burriel

Marie, la fille adoptée par le régiment, était chantée par la soprano d’Ottawa Thera Barclay, dont on a pu apprécier la voix cristalline et les très agiles passages en colorature. Elle a donné beaucoup de caractère à la jeune vivandière, fière de son régiment et désespérée par les projets de mariage « à haute vitesse » que lui mijote une tante aristocrate qui la soustrait du monde militaire. Beaucoup de brio dans l’air « Au bruit de la guerre », de purs moments de bel canto dans sa romance (acte I) et dans sa cavatine (acte II) ainsi qu’un fort sens du comique lors de sa métamorphose forcée en jeune fille de la haute société (acte II) ont mis en valeur ses nombreuses qualités tant vocales que scéniques. 

Formé à Québec, le baryton Emanuel Lebel est une valeur sûre qui a campé un remarquable Sulpice, ce sergent considéré par Marie comme son père adoptif. La voix est ronde, la diction, impeccable, et l’interprétation est toujours alerte et solide. 

Queen Hezumuryango, une mezzo-soprano originaire du Burundi diplômée de l’Université de Montréal, a été une hilarante marquise de Berkenfield, toujours au bord de l’évanouissement. J’ai apprécié sa voix puissante et soutenue, de même que la richesse de son timbre.

Dans le rôle de Tonio, l’amoureux de Marie, le ténor torontois Jeremy Scinocca m’a laissée sur ma faim : sa voix ne convient pas – ou pas encore, l’avenir nous le dira – à un opéra de ce genre, les sons semblaient forcés et souvent gutturaux. Les dialogues parlés manquaient d’aisance et de naturel. Heureusement, il est parvenu à camoufler ses faiblesses par un jeu scénique convaincant et par sa musicalité. Apparemment, les jeunes ténors prêts à affronter le grand opéra italien sont une denrée rare. 

Cette production fort réjouissante entamera en automne une tournée au Québec et au Nouveau-Brunswick.

La Fille sans régiment

Adaptation par les Jeunesses Musicales Canada de La Fille du régiment de Gaetano Donizetti, opéra-comique en deux actes sur un livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Jean-François Bayard

Production
Festival d'opéra de Québec
Représentation
Théâtre La Bordée (Québec) , 26 juillet 2023
Direction musicale
Louise Pelletier
Interprète(s)
Thera Barclay (Marie), Queen Hezumuryango (Marquise de Berkenfield), Jeremy Scinocca (Tonio), Emanuel Lebel (Sulpice), Maxence Lasserre-Engberts (Hortensius, Caporal et Duc)
Mise en scène
Nathalie Deschamps
Pianiste
Rosane Lajoie
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