CRITIQUE - Une fin de saison transcendante : La Troisième symphonie de Mahler à l’OSM
Photographie : Gabriel Fournier
Pour terminer la saison 2022-2023, sa première saison complète sous la direction de Rafael Payare, l’Orchestre symphonique de Montréal a choisi une œuvre majeure du répertoire symphonique avec voix. Dans le cadre de son cycle Mahler entamé cette saison (et qui se poursuivra l’an prochain), l’orchestre a en effet interprétéla Symphonie no 3, la plus longue jamais écrite par le compositeur (100 minutes dans l’interprétation de l’OSM sous la baguette de Payare). Réunissant un orchestre élargi, une voix d’alto solo, un chœur de voix féminines et un chœur d’enfants, cette œuvre monumentale est sous-tendue par une profonde réflexion sur la Création, la nature et le sens de la vie humaine, et surtout par un puissant élan vital qui en fait un véritable baume pour l’âme en cette période troublée. On pouvait difficilement imaginer mieux pour la fin de cette saison qui marque aussi un retour à la normale après une trop longue pandémie.
Les prestations antérieures de Payare avec l’OSM – qui avait ouvert la saison 2022-2023 avec une inoubliable interprétation de la Symphonie no 2 « Résurrection » du même Mahler – laissaient attendre une soirée grandiose, et cette attente ne s’est pas démentie. Dès le début de la symphonie, Payare déploie une impressionnante maîtrise des contrastes qui sont si importants dans la musique de Mahler en général, et plus particulièrement dans ce premier mouvement construit sur des thèmes aux caractères opposés. Dans un tempo allant mais posé permettant de déployer toute la profondeur de ce mouvement monumental (près de 35 minutes à lui tout seul), Payare développe des univers totalement différents pour le thème de cor sur lequel s’ouvre la symphonie et pour le thème dansant que Mahler associe à Pan dans ses manuscrits, et qui donne lieu ici à des moments d’une délicieuse légèreté. Comme à son habitude, le chef fait habilement ressortir les contrechants, ce qui donne encore plus de relief à la partition; les cuivres graves ressortent parfois un peu trop, mais ce léger déséquilibre se dissipe d’autant plus vite qu’on garde toujours en tête la sublime musicalité des longs solos exécutés avec une incroyable maestria par le tromboniste solo James Box.
Dans le deuxième mouvement, Payare propose un univers complètement différent, tout en finesse et en légèreté, parfait pour ce menuet intitulé dans les manuscrits de Mahler « Ce que me racontent les fleurs dans le pré ». Un même souci du détail et du contraste de timbres se révèle dans le troisième mouvement (« Ce que me racontent les animaux dans la forêt »), un scherzo dont les épisodes confiés au cor de postillon, entendu depuis la coulisse, produisent un effet saisissant. La fin de ce troisième mouvement donne lieu à une apothéose d’une telle intensité qu’elle en donne des frissons – à tel point que le public, conquis, ne peut pas s’empêcher d’applaudir en entendant les dernières notes !
Pour le quatrième mouvement (« Ce que me raconte la nuit »), confié à l’alto solo, la mezzo-soprano Michelle DeYoung se joint à l’orchestre, déployant un timbre chaleureux parfait pour cette musique d’une grande intériorité. Tout en retenue, l’interprétation vocale laisse parfois espérer des inflexions un peu plus animées. La diction aurait pu être plus ciselée; la grande attention accordée aux consonnes fait souvent en sorte qu’elles se trouvent indûment prolongées, ce qui nuit à la fluidité et à la compréhension du texte. De toute évidence, trop de professeur·e·s de chant ou de diction lyrique continuent à répéter que l’italien est une langue de voyelles, et l’allemand, une langue de consonnes ; il serait temps de réviser cette pratique qui conduit à des exagérations d’un côté comme de l’autre.
Photographie : Gabriel Fournier
Mis à part ce détail, DeYoung livre une excellente performance, en particulier dans le cinquième mouvement (« Ce que me racontent les anges / les cloches du matin ») où voix solo, orchestre et chœurs s’accordent pour créer une atmosphère de joyeuse exubérance. Magnifiquement préparés, les deux chœurs créent un dialogue rendu d’autant plus intéressant par leur disposition, à différents niveaux des balcons de la Maison symphonique, ce qui permet de créer des effets sonores particulièrement intéressants.
Le sixième mouvement (« Ce que me raconte l’amour »), enfin, est un moment de pure magie suspendue hors du temps. Maîtrisant parfaitement le contraste entre l’exubérance du cinquième mouvement et le début intimiste de cet ultime mouvement de la symphonie, Payare nous fait entrer de plain-pied dans un univers de paix et de beauté parfaites – jusqu’à l’apothéose finale, qui nous laisse tout simplement sans voix.
À travers toute la symphonie, c’est une véritable joie de voir les musiciens et musiciennes travailler ensemble pour créer une beauté dont ils et elles ont de toute évidence pleinement conscience. Le violon solo et le violon solo associé, Andrew Wan et Olivier Thouin, sont particulièrement inspirants à cet égard : leur complicité est palpable, tout comme le plaisir évident qu’ils ont à jouer ensemble sous la direction de Payare.
Tout cela ne fait que renforcer le bonheur profond que procure ce concert, dont on ressort avec l’impression d’avoir fait, le temps d’une symphonie, une incursion dans un autre monde.
NB : Le concert du 31 mai sera diffusé sur la plateforme Symphony.live ; c’est un événement à ne pas manquer si vous n’avez pas pu aller entendre le concert en personne !
Concert de clôture : Rafael Payare et la troisième symphonie de Mahler
Symphonie no 3 de Gustav Mahler
ORC : Orchestre symphonique de Montréal
CHO : Chœur de l’OSM et Les Petits Chanteurs du Mont-Royal
- Production
- Orchestre symphonique de Montréal
- Représentation
- Maison symphonique , 31 mai 2023
- Chef de chœur
- Andrew Gray et Andrew Megill
- Direction musicale
- Rafael Payare
- Interprète(s)
- Michelle DeYoung (mezzo-soprano)