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CRITIQUE - L'amour au temps du siège de Saragosse

CRITIQUE - L'amour au temps du siège de Saragosse

Photographie : Bruno Petrozza

Grâce au remarquable dynamisme du Nouvel Opéra Métropolitain, Miguela de Théodore Dubois vient enfin de connaître sa création en version de concert. Après avoir achevé sa partition en 1891, le compositeur avait caressé le projet d'une production à l'Opéra-Comique, mais avait finalement dû se contenter de deux exécutions du tableau final, la première aux Concerts Lamoureux (sous le titre de Circé) le 23 février 1896 et la seconde (en version scénique) au palais Garnier le 18 mai 1916. Dans ce dernier cas, on avait également donné le prélude. C'est donc dire l'importance de cet événement montréalais auquel assistaient notamment Francis Dubois (arrière-petit-fils de Théodore) et la veuve du chef Jean-Claude Malgoire, grand défenseur du musicien.

Assez complexe et réunissant douze personnages, le livret évoque les amours tumultueuses de Miguela, marquise de Mendoza, et du colonel Martigny, au moment de la guerre d'indépendance d'Espagne, plus précisément en 1809. Si l'amour finit par triompher, c'est toutefois au prix de la défaite espagnole et du meurtre par Martigny du chef des bandits Villa-Nera (alias Hernandez), tuteur de Miguela et farouche ennemi de l'armée napoléonienne. Sur cette donnée historique, Dubois a composé une œuvre aux vastes proportions, soit près de deux heures trente, qui réserve une part importante aux ensembles et aux chœurs. Les rythmes et couleurs hispanisants se retrouvent surtout au deuxième tableau du deuxième acte, pendant un soir de carnaval, où Miguela entonne une page des plus ensorcelantes. L'autre grand air, confié à Martigny, se situe à la fin du tableau précédent, lorsque le colonel s'avoue la force de ses sentiments. Possédant à l'évidence la fibre théâtrale, Dubois sait fort bien écrire pour les grandes masses instrumentales et chorales, dans des tableaux hauts en couleur et en émotions contrastées. 

Myriam Leblanc
Photographie : Bruno Petrozza

C'est une interprétation extrêmement soignée qu'ont livrée les 44 musiciens de l'Orchestre du Festival Classica placés sous la direction de Benjamin Levy. Le chef a assuré une parfaite cohésion à la phalange, qui a bien su mettre en relief l'instrumentation souvent opulente et les finesses d'écriture de Dubois, tout en ménageant de superbes moments dramatiques aux effets grandioses. Tout aussi impressionnants, les 20 membres de l'ensemble ArtChoral se révèlent  exceptionnels d'intensité et d'homogénéité dans leurs nombreuses interventions. Autre objet d'émerveillement : la diction parfaite de tous les chanteurs, qui compense en grande partie l'absence de surtitres. Dans le rôle-titre, Myriam Leblanc vit avec une rare intensité les affres et les extases d'une femme au caractère bien trempé. Capable des plus fines nuances, sa grande voix de soprano lyrique se révèle d'une puissance étonnante qui pourrait sans difficulté remplir les vaisseaux les plus vastes. Le ténor Emmanuel Hasler ne lui cède en rien à cet égard, son instrument sonore faisant merveille dans son air du deuxième acte. S'il plafonne dans les notes les plus extrêmes de sa tessiture, l'ardeur de son chant force l'admiration. Pour sa part, Hugo Laporte interprète avec sa distinction coutumière le rôle du méchant Hernandez, qui se pare du coup d'une élégance quasi insoupçonnée. Du côté du camp français, se démarquent le Lowitz du baryton Geoffroy Salvas, modèle de projection vocale, ainsi que les Blaisot et Larivière d'une belle dignité de Guillaume Andrieux et Mathieu Abel. Chez les Espagnols, les basses Dion Mazerolle et Pierre-Étienne Bergeron confèrent beaucoup d'autorité à frère Domingo et à Esteban, tandis que Thomas Vinals est un frère Juanito d'une sensibilité à fleur de peau. Devant une réussite aussi éclatante, il nous reste à souhaiter longue vie au Nouvel Opéra Métropolitain pour nous faire découvrir d'autres pans méconnus du répertoire lyrique.

Emmanuel Hasler
Photographie : Bruno Petrozza

Miguela

de Dubois
Opéra en trois actes sur un livret de Jules Barbier
ORC : Orchestre du Festival Classica
CHO : Ensemble ArtChoral

Production
Nouvel Opéra Métropolitain (NOM)
Représentation
Salle Claude-Champagne , 14 juin 2023
Direction musicale
Benjamin Levy
Interprète(s)
Myriam Leblanc (Miguela), Emmanuel Hasler (Martigny), Hugo Laporte (Diaz Hernandez), Geoffroy Salvas (Lowitz), Guillaume Andrieux (Blaisot), Dion Mazerolle (Fray Domingo), Thomas Vinals (Fray Juanito), Pierre-Étienne Bergeron (Esteban), Pauline Sabatier (Inésille)
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