CRITIQUE - Adorable… et rare !
Photographie : Bruno Petrozza
Il peut sembler surprenant que Jules Massenet, compositeur derrière la bouleversante Manon et le tragique Werther, ait commis une opérette au titre farfelu, L’adorable Bel-Boul. Cependant, en y réfléchissant bien, on se souvient que l’humour n’est pas absent de ses œuvres : il a écrit aussi Cendrillon, une féérie très joyeuse qu’on connaît bien, mais aussi une « comédie chantée » à la drôlerie débridée, Chérubin, qui mériterait d’être jouée plus souvent.
Pendant longtemps, on a dit que cette pochade en un acte avait été perdue, voire détruite par le compositeur lui-même : en début de carrière (1874) il cherchait à établir sa réputation de compositeur sérieux, à une époque où l’opérette avait mauvaise presse. Le manuscrit de la mystérieuse Bel-Boul a finalement été retrouvé il y a quelques années, au hasard dans une vente aux enchères, par le musicologue Jean-Christophe Branger. Spécialiste de Massenet, auteur d’une biographie monumentale sur le compositeur à paraître dans les prochains mois, il était présent le soir de l’unique représentation pour prononcer une très instructive conférence en guise de hors-d’œuvre.
Il a mentionné combien le sujet de l’œuvre est « sulfureux », à tel point qu’un directeur de théâtre en France lui a affirmé qu’il était impossible de la jouer de nos jours. Sans aller jusqu’à la censure ou l’annulation, il faut admettre que le livret a de quoi faire froncer quelques sourcils. Il a pour point de départ la mésaventure de Zaï-Za, une jeune femme qui a perdu son voile à la mosquée. À l’heure où les Iraniennes vont en prison pour avoir enlevé le leur et où les Afghanes sont effacées de la vie publique, on peut comprendre certaines objections.
Malgré ces réserves, l’importance de cette redécouverte donne bien des permissions. S’agissant d’un compositeur aussi important, cette œuvrette méritait donc d’être réentendue. La musique légère, habilement troussée et même souvent inspirée se laisse écouter avec beaucoup de plaisir. Elle n’a pas les déhanchements plus appuyés ni la géniale folie de celle d’Offenbach, à qui on pense obligatoirement dès qu’il est question d’opérette. Elle a comme modèles plus probables les petits opéras-comiques en un acte de Victor Massé ou de François Bazin, par exemple, très populaires à l’époque, mais qu’on n’entend guère aujourd’hui.
Rareté, donc, curiosité aussi, ce petit Massenet avait attiré presque une demi-salle Claude Champagne qui du coup paraît trop grande. Un praticable noir essaie de délimiter un espace de jeu intime sur cet immense plateau où prennent place habituellement des orchestres symphoniques. Le Nouvel Opéra Métropolitain (NOM) veut, c’est louable, réduire son empreinte carbone, en renonçant à faire construire des décors. Cependant, les projections censées les remplacer ne convainquent guère. Elles s’étalent sur différentes surfaces hétéroclites et changent de manière aléatoire sans apporter grand-chose à la représentation. Peut-être pourrait-on regarder plutôt du côté des décors recyclés, comme le pratiquent plusieurs théâtres montréalais.
On a investi dans des costumes colorés, évoquant de manière plutôt fantaisiste l’Ouzbékistan où se déroule l’action. Le fameux voile de Zaï-Za n’a rien d’angoissant, il ressemble plutôt à la voilette que portaient les élégantes de la Belle Époque. Le costume de la servante conviendrait aussi bien à celle de Pergolèse. Les hommes portent des couvre-chefs amusants, à l’origine un peu floue… le tout s’avère assez inoffensif.
On passe un très bon moment, surtout à cause des interprètes, tous excellents. On remarque la voix agile et sonore de Myriam Leblanc en Fatime, ainsi que le beau timbre de Florence Bourget dans le rôle du jeune amoureux Hassan. Ce dernier se voit gratifié d’une envoutante aubade, que Massenet publiera isolément sous le titre de Nuits d’Espagne. Geoffroy Salvas en père naïf et pompeux possède une voix et un jeu parfaits pour l’opéra-comique.
Photographie : Bruno Petrozza
Au piano, Michel-Alexandre Broekaert donne à la musique de Massenet tout l’élan et l’humour nécessaires. Il est accompagné d’un trombone et d’une clarinette occasionnels, mais aussi d’une autre pianiste dans une ouverture à quatre mains très séduisante. L’expérimenté François Racine signe une mise en scène simple et efficace.
On remercie donc le NOM de faire entendre cette rareté pour la première fois au XXIe siècle. Bel-Boul, effectivement adorable mais non mémorable, ne mérite ni d’être détruite, mais peut-être pas non plus d’entrer définitivement au répertoire. On peut nommer facilement des dizaines de titres plus intéressants, d’Offenbach notamment, mais aussi d’Hervé (son rival), de Lecocq (musicien léger trop sous-estimé), voire de Claude Terrasse.
La grande rareté, au fond, c’est d’entendre à Montréal de l’opérette présentée par une troupe professionnelle. Le public adore ce genre qui est, à l’heure actuelle, l’apanage des troupes de banlieue. Elles font souvent de l’excellent travail, mais il y a de la place pour davantage d’opérette. Souhaitons que le NOM s’aventure de ce côté et nous propose d’autres raretés de la musique lyrique légère lors de ses prochaines éditions.
L’Adorable Bel-Boul
Opérette de salon en un acte de Jules Massenet sur un livret de Louis Gallet et Paul Poirson
- Production
- Nouvel Opéra Métropolitain (NOM)
- Représentation
- Salle Claude-Champagne , 6 juin 2023
- Direction musicale
- Michel-Alexandre Broekaert
- Interprète(s)
- Pauline Sabatier (Zaï-Za), Myriam Leblanc (Fatime), Geoffroy Salvas (Ali-Bazar), Antonio Figueroa (Sidi-Toupi), Florence Bourget (Hassan)
- Mise en scène
- François Racine
- Pianiste
- Michel-Alexandre Broekaert