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CRITIQUE - Madama Butterfly à Québec : Lorsque authenticité et actualisation ne font pas bon ménage

CRITIQUE - Madama Butterfly à Québec : Lorsque authenticité et actualisation ne font pas bon ménage

Francesca Tiburzi (Cio-Cio San) dans Madama Butterfly, Opéra de Québec, 2023
Photographie : Jessica Latouche

Quel défi que celui que s’est donné l’Opéra de Québec pour sa dernière production de la saison ! Par un malencontreux hasard, la compagnie a offert l’opéra Madama Butterfly seulement quelques jours après une production de la même œuvre présentée par l’Opéra de Montréal. Heureusement, cela n’a pas empêché l’Opéra de Québec d’offrir les quatre représentations à guichet fermé.

C’était à la soprano italienne Francesca Tiburzi que revenait le rôle-titre de Cio-Cio San dans deux des présentations de la production. Elle remplaçait sa collègue coréenne Myung Joo Lee qui, pour des raisons de santé, n’était pas en mesure de livrer l’entièreté des prestations. Tiburzi n’a toutefois pas eu des airs de remplaçante, loin de là! Madama Butterfly est un rôle qu’a incarné la soprano à de nombreuses reprises, dont au Festival Puccini en Italie, rien de moins. Si elle a livré une merveilleuse performance dans l’air « Un bel dì vedremo », le reste de sa prestation a pour le moins été inégale. Alors que la voix de Tiburzi brillait dans les aigus et offrait un ton presque suave dans les mezzos, l’entre-deux était faible et se perdait quelques fois derrière la masse sonore de l’orchestre. Son jeu d’actrice manquait par ailleurs énormément de délicatesse, alors que la Butterfly qu’elle incarnait se laissait emporter par des comportements impulsifs adolescents plutôt que de briller par sa maturité et sa détermination. 

Eric Laporte, un habitué de l’Opéra de Québec, tenait cette fois-ci le rôle de Pinkerton, un Américain sans gêne et avec un grand manque de morale. En effet, le ténor a réellement incarné son personnage de manière à dépeindre le côté grotesque de l’homme qui cherche à assouvir à tout prix ses « besoins » sexuels. Du côté du chant, l’interprétation offerte le 18 mai dernier par Laporte était tout à fait exceptionnelle, à la fois juste et puissante. 

Eric Laporte (Benjamin Franklin Pinkerton) et Phillip Addis (Sharpless) dans Madama Butterfly, Opéra de Québec, 2023
Photographie : Jessica Latouche

La mezzo-soprano Lysianne Tremblay a vaillamment joué son rôle de la domestique Suzuki. Son sens du drame très démonstratif donnait une couleur presque caricaturale à son rôle, ce qui, bien sûr, rejoignait toutes les caractéristiques orientalistes de la production. Le baryton Phillip Addis a, quant à lui, livré une excellente performance dans son rôle de Sharpless, dans un timbre et des émotions parfaitement maîtrisées. Le ténor Antoine Normand présentait très bien son personnage de Goro, alors que Marcel Beaulieu se perdait quelque peu dans les masses avec le rôle du Bonze. 

Le travail de Clelia Cafiero, cheffe d’orchestre pour la production, a été tout à fait excellent alors qu’elle a dirigé un Orchestre symphonique de Québec qui a livré une soirée puissante et impeccable en musique. 

Le grand bémol de la production s’est trouvé sans contredit du côté des choix de la mise en scène. Si l’Opéra de Montréal a présenté quelques jours plus tôt une œuvre finement travaillée pour éviter le plus possible les questions d’appropriation, d’exotisme et de mauvais goût dans la manière dont sont dépeints les personnages japonais dans l’œuvre de Puccini, il n’en a rien été du côté de Québec. La production présentait tant un orientalisme exacerbé que tous les propos offensants, dépassés et troublants de l’œuvre originalement imaginée par son compositeur– rappelons que Butterfly n’a que 15 ans lorsqu’elle est livrée à l’officier Pinkerton. Il va sans dire que François Racine a ici préféré l’authenticité à l’actualisation de l’opéra, une décision qui pour plusieurs raisons laisse peut-être à désirer.  

Notons en outre le choix fort peu astucieux de la production pour l’enfant de Butterfly dans les actes 2 et 3. Alors que le livret nous présente un bambin âgé d’environ 3 ans, la compagnie lyrique a choisi un enfant beaucoup plus âgé, sans même prendre le temps de changer quelques mots dans le livret pour que l’histoire fonctionne mieux avec sa participation. 

Au moment où les plus grandes compagnies lyriques d’Occident sont à l’heure des grandes questions éthiques et musicales, il faut espérer à l’avenir une meilleure actualisation des œuvres présentées par l’Opéra de Québec.

Madama Butterfly

Opéra en deux ou trois actes de Giacomo Puccini sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa
ORC : Orchestre symphonique de Québec
CHO : Chœur de l’Opéra de Québec

Production
Opéra de Québec
Représentation
Grand Théâtre de Québec , 18 mai 2023
Direction musicale
Clelia Cafiero
Interprète(s)
Francesca Tiburzi (Cio-Cio San), Eric Laporte (Benjamin Franklin Pinkerton), Lysianne Tremblay (Suzuki), Phillip Addis (Sharpless), Geneviève Dompierre-Smith (Kate Pinkerton), Antoine Normand (Goro), Geoffroy Salvas (Yamadori), Marcel Beaulieu (Le bonze), Robert Huard (Yakuside), Michel Desbiens (Le commissaire), Agathe Herrmann (La mère), Andrée-Anne Laprise (La tante), Émilie Baillargeon (La cousine)
Mise en scène
François Racine
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