CRITIQUE - Didon & Énée : Un retour aux sources
Les 17, 18 et 19 novembre dernier, un nouvel ensemble baroque voyait le jour à Montréal. L’Ensemble Bonaventure, fondé par Vincent Canciello, Ana Neocleous, et Ian Plansker se présente comme la toute dernière initiative étudiante dans le milieu de la musique ancienne. Pour les plus curieux, ces initiatives sont une bonne façon de prendre la température de cet écosystème. On se souviendra des Barocudas qui avaient été nommés finalistes pour l’album classique de l’année 2021 aux JUNOS, ou des premières éditions du OFF Montréal-Baroque, une vitrine alors soutenue par Marie Nadeau-Tremblay, Élise Paradis et Isabelle Douailly-Backman.
L’Ensemble Bonaventure présentait donc Didon & Énée d’Henry Purcell. Hasard du calendrier, l’ensemble Caprice présentait le même opéra dix jours plus tôt. Cette coïncidence pouvait cependant constituer une belle opportunité de comparer deux approches.
Bonaventure propose en effet une version aux aspirations les plus nobles. Il faut savoir que l’œuvre a été créée à Londres en 1689, mais qu’il ne nous reste que le livret. La première musique écrite qui nous soit parvenue date de la moitié du XVIIIe siècle, et contredit à quelques endroits le livret, en plus d’omettre complètement le prologue. Ian Plansker, le directeur musical du projet, s’est donc donné comme défi de reconstituer le prologue, les danses et les chœurs manquants.
Là où l’ensemble Caprice présentait une semaine plus tôt un prologue composé pour l’occasion du concert, où la patte de Matthias Maute était reconnaissable dès les premières mesures, la version d’Ian Plansker tentait de conserver le style d’origine. La musique est parfois empruntée à d’autres œuvres scéniques de Purcell, parfois composée de toutes pièces sans que l’on ne s’en aperçoive, prouesse qu’il convient de porter au crédit du jeune directeur. Le tout donne des ailes à cette œuvre d’ordinaire si courte et offre plus de matière à certains rôles. Pour les amateurs d’opéra baroque, on reconnaissait immédiatement le style français caractéristique des prologues de l’époque (même en Angleterre), et les tiraillements intérieurs des personnages ainsi que leurs motivations sont approfondies par l’inclusion du texte du livret d’origine.
Non content de restituer la musique et le texte le plus fidèlement possible, la troupe avait également abordée la prononciation historique de l’anglais de la fin du XVIIe siècle – une nouveauté que l’on ne voit guère sur nos scènes montréalaises. Il est tout à fait possible d’entendre des cantates françaises avec une approche historique de la prononciation, le latin à la française soit devenu monnaie courante, mais cette approche de l’anglais n’est que très marginale, sinon inédite.
Si toutes ces approches ont de quoi enthousiasmer n’importe quel amateur de musique baroque, l’exécution de ces nobles aspirations, cependant, n’aura pas su être d’un niveau constant.
Commençons par applaudir le travail d’Alice Boissinot Gustavino qui interprète le rôle de Belinda. La jeune soprano possède une belle voix fraîche et délicate, et démontre surtout sa compréhension du style baroque par son phrasé et ses ornements. Le programme de la soirée nous indique également qu’elle se perfectionne au violoncelle baroque et à la viole de gambe, expliquant sans doute sa familiarité avec le style. Malheureusement, on ne retrouve pas cette connaissance affinée du style chez ses collègues. Saina Alikhani, qui interprète le rôle de Didon, possède une voix puissante, qui serait sans doute à l’aise chez Haendel, mais qui peine à transmettre avec justesse la tourmente qui consume la reine de Carthage. Adam Schmidt, qui interprète Énée, possède une belle voix de ténor que l’on pourrait parfaitement imaginer dans un œuvre de Puccini ou Verdi, mais qui n’arrive pas à trouver son aise dans l’écriture de Purcell.
La salle du théâtre MainLine était pleine à craquer pour l’occasion. Comme la production était entièrement soutenue par des étudiants, tant musicalement que financièrement, on ne peut que se réjouir de voir qu’une telle initiative ait fait se déplacer autant de spectateurs pour trois représentations. Les instruments baroques étant ce qu’ils sont, le changement soudain de température à l’arrivée du public dans une si petite salle aura donné beaucoup de travail aux instrumentistes afin de maintenir l’accord des cordes de boyaux. Efforts qui n’ont pas toujours été suffisants, mais qui s’explique facilement au vu de ces circonstances.
Au final, l’Ensemble Bonaventure aura été en mesure d’offrir un spectacle de près de deux heures pour premier concert, avec un immense travail de reconstitution et une vraie proposition, un positionnement dans la manière d’aborder la musique ancienne. Si le concert présentait quelques soucis dans l’exécution, on ne peut que souhaiter à l’organisation de réussir de trouver du financement extérieur, car le temps ne saurait que faire mûrir une cuvée si prometteuse.
Didon & Énée
Opéra en trois actes d’Henry Purcell sur un livret de Nahum Tate
ENS : Ensemble Bonaventure
CHO : Jenn Hall, Petra Stauffer, Dylan Hillerbrand, Owen Spicer, Gabriel Frank, Evan Krieger
- Production
- Ensemble Bonaventure
- Représentation
- Théâtre MainLine , 17 novembre 2022
- Direction musicale
- Ian Plansker
- Interprète(s)
- Saina Alikhani (Didon), Adam Schmidt (Énée), Alice Boissinot (Belinda), Dahlia Gamache (Deuxième sorcière), Kristen De Marchi (La Sorcière), Rain Senavinin (Un marin)
- Mise en scène
- Maddison Popov