CRITIQUE - I Musici de Montréal : Une envoûtante Karina Gauvin pour de sublimes Illuminations
Karina Gauvin
Photographie : Michael Slobodian
Pour démarrer sa 39e saison sur le thème « Voyages extraordinaires » et sous la direction de son nouveau chef et conseiller artistique Jean-François Rivest, l’Orchestre de chambre I Musici de Montréal proposait au public de la Métropole « un périple dans les îles britanniques ». La voix se voyait confier une place de choix lors de ce premier concert avec l’inclusion au programme du cycle de mélodies Les Illuminations du grand compositeur anglais Benjamin Britten.
Le concert débuta avec deux courtes œuvres que le chef présenta comme un voyage dans la campagne anglaise, le Book Green Suite de Gustav Holst et la Sérénade op. 20 d’Edward Elgar. Jouant debout, comme ce sera le cas pour l’ensemble du concert, les 11 violonistes et altistes d’I Musici démontreront dans la première pièce une belle cohésion avec leurs collègues violoncellistes et leur compagnon contrebassiste. Dans le premier mouvement, le Prélude, le chef réussit à tirer une grande émotivité des trois violoncellistes. Si le deuxième mouvement et son air nous rappellent l’emprunt folklorique, la danse du troisième est entraînante à souhait; les musiciennes et musiciens y insufflent une belle énergie. Cette même énergie est tout aussi présente dans la Sérénade pour cordes d’Elgar, et le larghetto du deuxième mouvement est particulièrement réussi. Ses formes mélodiques s’intensifient avec justesse, et s’imposent jusqu’à une finale en rappel de phrase d’ouverture du mouvement.
Pour la pièce vocale – et de résistance – de ce concert, le chef Rivest n’aurait pas pu faire un choix plus judicieux. Ayant chanté et enregistré l’œuvre Les Illuminations de Benjamin Britten – sur des textes extraits du recueil du même nom écrits par Arthur Rimbaud et publié sous l’étiquette Atma Classique – avec Les Violons du Roy sous la direction de Jean-Marie Zeitouni en 2009 et l’ayant reprise lors du Festival du Domaine Forget avec le même chef en 2013, la soprano Karina Gauvin a livré une prestation d’exception. Pour ces sublimes illuminations, on a eu droit à une envoûtante Karina Gauvin !
Plus d’une décennie plus tard, la voix est toujours aussi cristalline et puissante. La diction est impeccable et pour qui y prête attention, les liaisons – si complexes dans la langue française – parfaites. De la Fanfare au Départ, l’interprétation des neuf parties du cycle est d’une rare intensité dont est capable la grande artiste qu’est Karina Gauvin, grâce à la maîtrise de cette prose poétique d’Arthur Rimbaud et de cette partition lyrique de Britten. La cantatrice, comme la présentera Jean-François Rivest qui offrira aussi quelques informations utiles sur la composition du cycle avant l’entrée en scène de son interprète, est éblouissante du début à la fin. Elle nous convainc qu’elle a, à elle seule, « la clef de cette parade sauvage », cette phrase introductive du cycle qui est reprise dans ses parties 6 (interlude) et 8 (Départ).
Elle rend aux vers libres de Rimbaud leur caractère séduisant et enivrant, ce qui est particulièrement vrai pour Antique, la plus belle partie du cycle selon moi, dans laquelle la violon solo d’I Musici, Julie Triquet, tient à son tour une magnifique ligne vocale. Mais on pourrait en dire autant de la Phrase qui l’a précédée, où les aigus de Karina Gauvin sont particulièrement beaux et soutenus, mais aussi de la pénultième Parade, qui vaut à la chanteuse des applaudissements… avant que le cycle ne se termine pourtant ! La finale est tout en sobriété, comme le réclame la partition de Britten, qui fait chanter à son interprète :
Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs.
Assez eu. Rumeurs de villes, le soir, et au soleil, et toujours.
Assez connu. Les arrêts de la vie. Ô Rumeurs et Visions !
Départ dans l'affection et le bruit neufs*
Pour ceux et celles qui apprécient cette œuvre et voudraient apprécier un autre « Départ dans l’affection et le bruit neufs », il y aura intérêt à écouter l’interprétation qu’en fait la soprano anglaise Felicity Lott, dont le français est impeccable, comme le révèle l’enregistrement de 1988 (Chandos) où celle-ci est accompagnée par le Royal Scottish National Orchestra et celui de 1994 (Collins Classics/Naxos) avec l’English Chamber Orchestra. Mais aussi, à aller entendre la soprano – et jeune étoile montante de notre milieu lyrique québécois – Magali Simard-Galdès lors du concert de l’Orchestre classique de Montréal à la salle Pierre-Mercure le 5 mars 2023.
En deuxième partie et pour compléter le programme de la soirée, Jean-François Rivest fit interpréter, avec la sophistication requise par l’œuvre, la Sonate pour cordes de William Walton, faisant ainsi à nouveau la preuve qu’I Musici de Montréal continue, sous sa nouvelle direction musicale, de présenter une programmation originale misant sur la découverte, la tradition et l’innovation en musique classique.
*****
* Comme l’a fait remarquer Jean-François Rivest avant de diriger Les Illuminations, les textes des 10 poèmes n’étaient pas reproduits dans le programme du concert. Il est à espérer que l’on corrige cette omission si d’autres cycles de mélodies devaient être programmés par le nouveau chef d’I Musici. Et l’on devrait aussi envisager la projection des surtitres pour permettre au public d’apprécier les paroles chantées par l’interprète. Les textes de ce cycle de Britten sont par ailleurs accessibles dans le livret du CD d’Atma Classique, disponible ici.
Britannia : Karina Gauvin et Les Illuminations
Œuvres d’Holst, Elgar, Britten et Walton
Webdiffusion : 6 au 16 octobre 2022
ORC : I Musici de Montréal
- Production
- Orchestre de chambre I Musici de Montréal
- Représentation
- Salle Pierre-Mercure , 29 septembre 2022
- Direction musicale
- Jean-François Rivest
- Interprète(s)
- Karina Gauvin