CRITIQUE - Charpentier : La gloire du Grand Siècle
Hervé Niquet.
Photographie : Guy Vivien
Lorsque l’on est amateur de musique baroque, française de surcroît, et que l’on apprend que Clavecin en concert a eu l’idée d’inviter Hervé Niquet pour diriger du Charpentier, on libère son vendredi soir, on sort ses habits du dimanche et on réserve ses places au plus vite!
Le genre du grand motet français est peu joué à Montréal. C’est un style qui souffre grandement des compromis souvent nécessaires à la tenue de concerts. En effet, il demande un effectif instrumental conséquent et il faut réunir un chœur qui connait profondément le style, avec tout ce que cette entreprise implique en termes de finances. Nombreux sont les producteurs qui penseront que tous ces efforts et cet argent seraient plus rentables dans une production du Messie d’Haendel ou pour une messe de Bach.
Saluons alors l’audace des ensembles qui osent le pari du grand motet. Ceux qui ont bonne mémoire se rappelleront notamment d’Arion et son concert intitulé La chapelle du Roi-Soleil, donné en novembre 2021.
Clavecin en concert propose donc une soirée pleine de promesses en s’associant au chef de renommée mondiale Hervé Niquet. Référence incontournable du genre, connu autant pour son exigence que sa créativité, le chef aura réussi à faire briller chaque section de l’orchestre et du chœur à l’occasion de ce concert renversant. La scène baroque montréalaise se compare facilement à une grande famille, et il est aisé d’avoir l’impression de connaitre ses musiciens aux visages familiers. Toutefois, c’est une équipe à l’ardeur renouvelée qui, nous semble-il, aura eu l’occasion de ravir le public. La direction énergique d’Hervé Niquet aura insufflé à la troupe une cohésion et une « magie » qui nous ont permis d’entendre ces artistes comme jamais auparavant.
Dès les premières mesures, on apprécie le travail effectué sur la texture. Le diapason à la 392 donne de l’espace au chœur en plus de réduire la tension sur les cordes. Le résultat final donne aux violons et altos un son distinct et nasillard avec de belles attaques franches. Les bois ne sont pas en reste avec des paires de flûtes à bec et de hautbois qui renforcent la partie de dessus et rendent avec justesse toute la noblesse de la musique française. On retrouve avec plaisir Alex Belser, serpentiste, dont le nom ne figure pas au programme et dont on imagine l’ajout tardif à l’équipe. Chapeau à lui donc, d’autant que l’apport du serpent dans la sonorité du continuo est indéniable. Quel plaisir d’avoir, à Montréal, un spécialiste de cet instrument qui figurait dans les offices liturgiques en Nouvelle-France et qui était encore en usage jusqu’au début du XXe siècle.
En ce qui a trait aux chanteurs, la véritable joie de la musique de Charpentier réside sans doute dans son écriture qui favorise l’échange entre les voix. Bien que les soli soient réussis – on pense par exemple au Te per orbem terrarum – c’est dans les nombreux trios du concert que les cinq solistes mêleront leurs chants avec raffinement. On notera également une diction soignée du latin à la française. Une mention spéciale à Philippe Gagné (Haute-contre) qui offre des récits au timbre scintillant et à Dominique Côté (Basse) qui commande le Te Deum Laudamus avec majesté.
L’image finale de ce concert, s’il devait y en avoir une, serait sans doute celle de ces deux enfants assis au balcon qui trépignaient d’enthousiasme au son des trompettes et timbales des marches qu’Hervé Niquet a retrouvées et utilisées en prélude au Te Deum. Quel plaisir de voir la musique de Charpentier parler directement à un si jeune public, sans égard au caractère connu ou obscur du répertoire. Combien d’autres œuvres laissons-nous sur les étagères sans les offrir à nouveau à des oreilles curieuses?
Hervé Niquet dirige Charpentier – Entre triomphe et piété
Œuvres de Marc-Antoine Charpentier
ENS : Ensemble Clavecin en concert
- Production
- Salle Bourgie
- Représentation
- Salle Bourgie , 30 septembre 2022
- Direction musicale
- Hervé Niquet
- Interprète(s)
- Myriam Leblanc (dessus), Catherine Saint-Arnaud (dessus), Philippe Gagné (haute-contre), Aldéo Jean (taille), Dominique Côté (basse)