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CRITIQUE - Il Trovatore : Un début de saison porté par la distribution

CRITIQUE - Il Trovatore : Un début de saison porté par la distribution

Luc Robert (Manrico) et Nicole Car (Leonora), dans Il Trovatore, Opéra de Montréal du 10 septembre, 2022
Photographie : Vivien Gaumand

Le 10 septembre dernier, l’Opéra de Montréal lançait sa saison 2022-2023 avec une œuvre tirée du répertoire de l’opéra italien : le célèbre Il Trovatore de Verdi. Présenté dans leur campagne publicitaire comme une œuvre où la vengeance se trouve au premier plan, cet opéra annonçait un début de saison sous le signe de la passion et des déchirements. 

Vengeance, il y a eu; déchirements aussi. Passion? Nous ne l’avons qu’entraperçue. Il Trovatore relate la quête de vengeance de la gitane Azucena, dont la mère a été brûlée vive par le Comte de Luna père, il y a de cela plusieurs années. Des décennies plus tard, son fils Manrico, qui n’est autre que le frère de l’actuel Comte de Luna – leur père étant décédé – tombe amoureux de Leonora que le Comte de Luna poursuit de ses assiduités. Le cœur de la jeune femme penche plutôt pour le troubadour Manrico, ce qui déclenche une rivalité entre les deux frères, qui ignorent toujours leur lien de parenté. Lorsque le Comte de Luna fait prisonnier Manrico, Leonora accepte de sacrifier sa liberté pour sauver la vie de son bien-aimé et feint de se donner au Comte de Luna. Toutefois, pour se soustraire au Comte, elle ingère une dose de poison dissimulée dans sa bague et agonise tandis que Manrico comprend trop tard que celle qu’il aimait ne lui a jamais tourné le dos. Pris de colère car Leonora lui échappe encore, le Comte de Luna assouvit sa vengeance en tuant ManricoAzucena dévoile alors la lutte fratricide qui vient de se jouer sur scène, vengeant par la même occasion sa mère. 

Le sujet de cet opéra est donc riche alors que plusieurs drames se croisent sur scène, que ce soit la mort violente de la mère de la gitane, le suicide et le fratricide. Or, la transposition de ces éléments-clés de la trame dramatique sur la scène reste tiède. D’abord au point de vue de la scénographie, les décors sont sombres et minimalistes et les costumes sont simples. Les repères de lieu et d’époque – l’Espagne du XVe siècle – sont effacés. Ensuite, la mise en scène demeure assez avare de moments forts. Pourtant, les occasions ne manquaient pas. L’amour entre Manrico et Leonora est presque imperceptible visuellement puisque les deux interprètes, Luc Robert et Nicole Car, se regardent peu. Cette dynamique apparait certes plus justifiée en ce qui concerne la relation entre le Comte de Luna, incarné par Étienne Dupuis, et Leonora, mais il faut reconnaitre qu’elle ne sert pas du tout les contrastes qui devraient émerger de ces relations antagonistes. De manière générale, toute la mise en scène de Michel-Maxime Legault souffre de cette esthétique hiératique. La mise à mort de Manrico par son frère n’est même pas donnée à voir; celui-ci s’écroule subitement sur le corps de Leonora avant qu’Azucena ne s’exclame que le Comte de Luna vient de tuer son propre frère, alors qu’Étienne Dupuis est resté en retrait sur la scène lors de ce moment-clé. 

Heureusement, les performances vocales des interprètes de la distribution presqu’entièrement québécoise relèvent la barre de cette production. L’accueil extrêmement chaleureux qu’a reçu la contralto Marie-Nicole Lemieux à la fin de la représentation en dit long, non seulement sur l’attachement du public pour cette grande artiste, mais aussi sur la performance qu’elle a livrée sur la scène de la salle Wilfrid-Pelletier. Son interprétation du personnage d’Azucena, la gitane qui cherche vengeance et qui semble avoir ourdit un plan ayant mis plusieurs années à atteindre sa fin, en est un qui pourrait aisément être joué de manière caricaturale, un écueil que Marie-Nicole Lemieux évite en incarnant une femme torturée par un passé difficile, joué avec beaucoup de nuances. La profondeur de son interprétation lui confère une intensité décuplée qui la démarque de ses collègues. 

Matthew Treviño (Ferrando), Marie-Nicole Lemieux (Azucena) et Étienne Dupuis (Comte de Luna), dans Il Trovatore, Opéra de Montréal du 10 septembre, 2022
Photographie : Vivien Gaumand

Luc Robert, qui est un habitué du rôle de Manrico, livre aussi une performance remarquable. Il est à regretter qu’il ne soit pas présent plus souvent sur les scènes lyriques du Québec, car il s’agit-là d’un interprète de grande qualité. Étienne Dupuis et Nicole Car ont aussi assuré des prestations de haut niveau; Nicole Car a été particulièrement touchante dans ses airs du quatrième acte et Dupuis a su convier à son personnage sans scrupule une grande véracité, tout en mettant à profit la grande technique vocale qu’on lui connaît

Cette fantastique distribution a été supportée tout au long de l’œuvre par un Orchestre Métropolitain énergique, dirigé d’une main de maître par le chef Jacques Lacombe. Dès les premières mesures de la partition, les cuivres ont brillé par leur force et les nombreuses interventions des bois – caractéristiques des partitions lyriques de Verdi – ont été impeccables. 

Il Trovatore s’avère donc une production réussie sur le plan vocal et l’Opéra de Montréal doit être salué pour avoir réuni sur scène une distribution aussi sélecte, de calibre international. Il est seulement déplorable que l’aspect visuel ait été aussi négligé, car de tels artistes méritaient véritablement d’être mis en valeur dans un environnement aussi flamboyant que leurs talents.

Il Trovatore

Opéra de Giuseppe Verdi sur un livret de Salvatore Cammarano
ORC : Orchestre Métropolitain

Production
Opéra de Montréal
Représentation
Salle Wilfrid-Pelletier , 10 septembre 2022
Direction musicale
Jacques Lacombe
Interprète(s)
Luc Robert (Manrico), Marie-Nicole Lemieux (Azucena), Nicole Car (Leonora), Étienne Dupuis (Comte de Luna), Matthew Treviño (Ferrando), Kirsten Leblanc (Iñez), Angelo Moretti (Ruiz), Mikelis Rogers (un vieux gitan) et Jaime Sandoval (un messager)
Mise en scène
Michel-Maxime Legault
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