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CRITIQUE - Gianni Schicchi vole l’héritage… et la vedette

CRITIQUE - Gianni Schicchi vole l’héritage… et la vedette

Nathan Keoughan (Gianni Schicchi), dans Gianni Schicchi, Institut Canadien d’art vocal, 2022
Photographie : Studio Tourneson

Chaque année, l’Institut canadien d’art vocal (ICAV) rassemble une cohorte de jeunes et brillants chanteurs à l’occasion d’une immersion estivale intensive d’une vingtaine de jours. L’ICAV, en résidence à l’Université de Montréal, propose ainsi des « cours de chant et des coachings privés, axés sur la technique vocale, l'interprétation musicale, la préparation à la carrière, le jeu et la mise en scène, la préparation physique et la diction. » Le stage intensif se conclut avec la présentation sur scène d’un opéra, et l’heureux élu cette année était Gianni Schicchi, de Giacomo Puccini. 

Ce court opéra-comique en un acte fait initialement partie du Triptyque, heureux collage de trois courts opéras axés sur le thème de la mort, l’un tragique, l’autre comique et le troisième de nature mystique. Si Puccini défendait avec rage l’idée de ne jamais les représenter séparément, l’histoire a rapidement isolé cette petite merveille de concision comique aux accents de commedia dell’arte que constitue Gianni Schicchi, et qui s’inspire d’un court texte présenté en appendice d’une édition de la Divine Comédie du poète italien Dante. 

Le vieux Buoso Donati est mort, et des rumeurs courent qu’il a légué sa fortune à des moines. La famille retrouve le testament qui confirme le pire. Heureusement, personne n’est au courant de la mort du vieil homme. La famille va faire appel au malin Gianni Schicchi qui fomente le plan machiavélique de se faire passer pour le défunt et de redicter le testament en faveur de la famille Donati… mais surtout en faveur de lui-même, au grand dam de la famille qui assiste impuissante à l’ascension sociale fulgurante de Schicchi! Amour, ruse, trahison, quiproquos, tous les ingrédients sont habilement ficelés pour régler cette affaire en une petite heure, servie par un livret aussi délicieux que la musique qui l’accompagne. 

Cette formation de l’ICAV a l’avantage de réunir les meilleurs jeunes chanteurs issus de différentes écoles ou en début de carrière. Nous avons ainsi eu l’occasion d’entendre tous ces chanteurs au cours des années précédentes, que ce soit à McGill, à l’UdeM, au Conservatoire de Montréal ou à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal. Ce concert post-pandémie nous a permis de remettre les pendules à l’heure et de constater que le coronavirus n’avait pas eu raison du talent de nos jeunes voix lyriques canadiennes. 

Sur scène, on retrouvait le décor conventionnel de cet opéra avec un mobilier simple mais juste assez coloré et drapé pour rappeler que l’intrigue se déroule à Florence, à la fin du Moyen-Âge. Sur la gauche, un piano à queue qui jouait la transcription de la partie d’orchestre, et au centre un chef qui s’assurait de faire le lien entre la musique et l’action. Montée en un temps record, cette production n’accusait cependant aucune lacune sur scène. Les déplacements étaient limpides et naturels, tout comme les occupations des personnages de second plan, ou encore la complicité entre chef, pianiste et chanteurs, des détails qui permettent souvent de jauger la finesse et la qualité du travail en amont de la représentation.

Gianni Schicchi, Institut Canadien d’art vocal, 2022
Photographie : Studio Tourneson

Nathan Keoughan incarne un Gianni Schicchi très réussi : les changements de voix, les regards habiles, les apartés – adresses au public – et les mouvements amples et désinvoltes lui donnent l’air d’un parfait Arlequin. Vocalement, il est à la fois puissant, cinglant, railleur et joue des couleurs vocales pour donner des tons changeants à ses paroles, mettant ainsi dans sa poche la famille Donati qui ne voulait pourtant pas de son aide au départ. La grande liberté de mouvement qu’il se donne en présence du médecin et du notaire ajoutent à ces scènes immobiles un grand capital comique. 

River Guard avait déjà incarné Rinuccio en 2016 à Halifax et c’est un rôle qui lui va comme un gant. Ses inflexions et sa puissance vocales concentrent les moments les plus dramatiques de l’opéra – en solo ou en duo avec Lauretta – et sa constance tout au long de la soirée, de même que son jeu dynamique et habile, ont montré qu’il était un choix judicieux pour cette production. La présence scénique timide de Lauretta, incarnée par Odéi Bilodeau, a disparu dès les premières mesures du célèbre aria « O mio babbino caro » au profit d’une voix pleine de justesse, d’équilibre et de subtilité, se terminant avec un aigu pianissimo qui a plongé l’auditoire dans une transe silencieuse. L’air est magnifiquement maîtrisé et senti, de même que le duo final avec son bienaimé Rinuccio. On aura plaisir à la revoir dans un rôle plus exigeant en ce qui concerne le jeu. Dans le rôle de Zita, Queen Hezumuryango a fait preuve d’une grande présence scénique, exagérant à l’envi son jeu pour produire les effets les plus comiques, jouant du regard, de la robe ou de la canne pour faire valoir son point. Une double réussite vocale et théâtrale. Une mention spéciale à la performance impeccable du pianiste Steven Massicotte, dont la précision, l’efficacité et les dynamiques ont réussi à nous faire oublier qu’il n’y avait pas d’orchestre. La collaboration entre le pianiste, le chef Giuseppe Pietraroia et les chanteurs était symbiotique. Ce succès nous rassure quant à la qualité de la formation qui est donnée lors de cette académie estivale de l’ICAV, et notre seul regret est de n’avoir pas vu davantage de spectateurs que les familles et amis des principaux concernés. Dans ce contexte intime, avec de jeunes chanteurs talentueux et une œuvre comme Gianni Schicchi, nous avons ici la meilleure porte d’entrée qui soit dans l’univers de l’opéra pour le néophyte. À l’an prochain! 

Gianni Schicchi

Opéra-comique en un acte de Giacomo Puccini
Direction artistique : Richard Margison

Production
Institut canadien d'art vocal
Représentation
Salle Claude-Champagne , 19 juillet 2022
Direction musicale
Giuseppe Pietraroia
Interprète(s)
Nathan Keoughan (Gianni Schicchi), Odéi Bilodeau (Lauretta), River Guard (Runiccio), Queen Hezumuryango (Zita)
Mise en scène
Tom Diamond
Pianiste
Steven Massicotte
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