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CRITIQUE - Université de Montréal : Une Tragédie de Carmen qui a de la voix!

CRITIQUE - Université de Montréal : Une Tragédie de Carmen qui a de la voix!

Photographie : Dominick Gravel

Dans la vague de productions étudiantes pandémiques qui ont dû puiser dans un répertoire restreint, facilitant la mise en place des procédures sanitaires, l’Atelier d’opéra de l’Université de Montréal a jeté son dévolu sur La Tragédie de Carmen, adaptation signée Marius Constant de l’opéra de Bizet et de la nouvelle de Mérimée. Cet opéra de chambre, créé en 1981, condense l’intrigue en une petite heure et demie en conservant les parties les plus intenses, conduisant les personnages « dans une foudroyante et fascinante chevauchée du côté de la mort » selon les mots du musicologue Jean-Vincent Richard. 

La mise en scène signée François Racine entrecoupe le propos en une collection de scènes qu’il introduit pour permettre au spectateur de garder le fil de l’histoire. Si ce procédé a l’inconvénient de briser le flot dramatique et de sortir fréquemment le spectateur de sa bulle, il se justifie pleinement. En effet, les scènes étant dénuées d’interludes, de conversations ou de transitions permettant de créer des liens dans l’histoire, il devient difficile de comprendre cet enchaînement sans une très bonne connaissance de l’œuvre. Ces interludes explicatifs accordent également un certain répit aux chanteurs, qui enchaînent les arias à une cadence frénétique. Enfin, ils pallient l’absence de programme imprimé, faisant en sorte de ne pas désorienter le spectateur novice. Pour le reste, le choix de la sobriété était pleinement gagnant dans la mise en scène. L’intrigue est déplacée dans le Mexique des narcotrafiquants, mais les références sont somme toute discrètesce qui permet de rapprocher l’œuvre du public sans tomber dans le cliché. Le caractère condensé de cette version se reflète aussi dans l’efficacité de l’utilisation de l’espace et des objets : la nappe de l’auberge devient la muleta du matador, une trappe secrète permet d’évacuer un cadavre en un éclair et un simple banc assorti d’un jeu de lumières évoque avec brio la geôle de Don José. Car le génie de cette relecture de Carmen est là : nous vivons les réminiscences de la vie torturée de Don José lors de sa dernière nuit en cellule avant son exécution. Cette collection de souvenirs amers et violents nous replonge dans les plus belles pages de musique de Bizet, avec un orchestre réduit à quinze musiciens et huit personnages sur scène.

Vocalement, cette production est un franc succès. Emmanuel Hasler incarne à merveille un Don José torturé et impulsif. Sa polyvalence vocale amène un nuancier de contrastes et de subtilités tout à fait remarquable. Il s’impose avec puissance dans ses duos et duels, avec grâce dans son aria « La fleur que tu m’avais jetée ». Le travail avec un maître de combat porte fruit, puisque les scènes de combat sont fluides et bien menées. On aura plaisir à suivre son parcours futur. De son côté, Queen Hezumuryango-Dushime incarne une Carmen lascive et aguicheuse, servie par une voix ample et riche. Elle nous fait voyager dans son personnage complexe d’un bout à l’autre de la soirée et exprime son plein potentiel dans la scène finale, où elle révèle en même temps sa vulnérabilité et sa grande force de caractère. Ariane Cossette dans le rôle de Micaela est une très belle découverte. Ses rares apparitions ne l’ont pas empêchée de marquer les esprits. Son timbre aérien et puissant au vibrato serré, sa présence scénique et ses lignes vocales dynamiques attirent immédiatement l’attention du spectateur. 

Photographie : Dominick Gravel

L’Orchestre de l’Université de Montréal, dirigé par Jean-François Rivest, était réduit à 15 musiciens solistes dans le cadre de cet opéra de chambre. On y retrouve la musique de Bizet, que les arrangements de Marius Constant rendent plus sombre, moins pétillante, plus intérieure. Dans l’ensemble, chef et musiciens ont donné une lecture satisfaisante de l’œuvre et font preuve d’une belle interaction avec les chanteurs sur scène. 

Le choix d’une sobriété efficace dans les différents aspects de cette production a permis de mettre en lumière la grande qualité vocale des étudiants et de laisser cette adaptation de Carmen révéler sa personnalité propre. Le réancrage discret de l’intrigue est dosé à merveille pour en faire une production actuelle sans la dénaturer. En mettant l’accent sur la formation au jeu d’acteur ou à la maîtrise de scènes de combat – plutôt que sur des décors coûteux, par exemple –, l’Atelier d’opéra de l’UdeM investit dans le futur de ses étudiants, et c’est tout à son honneur au vu des résultats observés. Cette production de La Tragédie de Carmen est une réussite bien dosée, dans un format plutôt inusité du fait des conditions pandémiques, mais qui donne un vent d’espoir quant à la suite des choses. Comme quoi, sous la contrainte, il est possible de sortir le meilleur des étudiants et des équipes enseignantes.

La Tragédie de Carmen, opéra de chambre d’après Carmen de Georges Bizet

Adaptation de Peter Brook, Jean-Claude Carrière et Marius Constant
Orchestre de l’Université de Montréal

Production
Atelier d'opéra de l'Université de Montréal
Représentation
Salle Claude-Champagne , 12 avril 2022
Direction musicale
Jean-François Rivest
Interprète(s)
Queen Hezumuryango-Dushime (Carmen), Emmanuel Hasler (Don José), Ariane Cossette (Micaela), Ricardo Galindo (Escamillo), William Aziz (Lilas Pastia), Justin Domenicone (Zuniga), River Guard (Garcia), Une vieille gitane (Maria Pandolfo)
Mise en scène
François Racine
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