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CRITIQUE - Carmen à l’OCM : Un défi relevé avec brio !

CRITIQUE - Carmen à l’OCM : Un défi relevé avec brio !

Julie Nesrallah (Carmen), dans Carmen, Orchestre classique de Montréal, 2022
Photographie: Brent Calis

Présenter Carmen aujourd’hui, que ce soit en version originale ou en version tronquée comme c’était le cas ici, représente un défi de taille. Pourquoi ? Parce que cette œuvre est jouée tellement souvent que les comparaisons sont inévitables et que le standard entourant sa production est généralement assez élevé. En ce sens, il est impératif d’admettre ici qu’avec sa version de concert abrégée de Carmen, l’Orchestre classique de Montréal (OCM) n’a rien à envier à qui que ce soit. Le public a eu droit à un concert d’une grande qualité, tant en ce qui a trait aux solistes qui ont incarné les divers personnages qu’en ce qui concerne la trame musicale.

Il importe d’abord de souligner rapidement que cette soirée s’est déroulée dans un cadre quelque peu particulier. En effet, comme la première des deux représentations programmées a été présentée le 8 mars – Journée internationale des droits de la femme –, l’œuvre au programme a semblé prendre tout son sens. En s’adressant au public avant le concert, le directeur général de l’OCM Taras Kulich a d’ailleurs souligné cela en présentant la protagoniste de l’opéra comme « la plus grande féministe de l’histoire » – de la musique, on le suppose. En outre, il est bien de préciser que le thème de cette 82e saison de l’OCM est « Femmes d’exceptions » (ou « Woman of distinction » en anglais) et que chacun des concerts est l’occasion de souligner les accomplissements de femmes ayant marqué par ses actions le Québec. L’OCM a donc rendu hommage hier à la Québécoise d’origine marocaine Danièle Henkel, ce qui a bien lancé la soirée ayant lieu en cette journée spéciale. 

Si l’on a annoncé cet événement comme étant une « version concert » de Carmen, il faut avouer que la mise en scène signée Eda Holmes confère davantage à l’événement le statut de production lyrique. Le décor sobre mais efficace – une lampe, un fauteuil et quelques accessoires –, l’utilisation de l’espace scénique par les artistes et quelques coquetteries (Carmen qui fait attacher sa robe par le chef d’orchestre, le dérangeant ainsi dans sa direction) ont permis de transporter le public de la salle Pierre Mercure directement à l’opéra.

En ce qui a trait maintenant à la musique, l’OCM a visé juste avec sa distribution. Si les mérites de la Carmen de la mezzo-soprano Julie Nesrallah sont souvent vantés, ce n’est pas pour rien : elle a incarné à la perfection son personnage et a captivé le public dès son entrée sur scène. Son timbre de voix rond et chaleureux se prêtait parfaitement à l’interprétation de la protagoniste, ce qui, d’emblée, assure une grande part du succès de cette production. Son aisance sur scène, ses qualités de jeu, ainsi que sa fougue méritent de grands honneurs.

Hugo Laporte (Escamillo) et Julie Nesrallah (Carmen), Carmen, Orchestre classique de Montréal, 2022
Photographie: Brent Calis

Bien que la scène lui appartenait complètement, il serait injuste de dire qu’elle a éclipsé pour autant ses collègues : la balance à cet égard était parfaite. À ce sujet, l’interprétation de Micaela offerte par la soprano Suzanne Taffot mérite une mention spéciale. Le timbre cristallin et pur de la voix de Taffot apportait un vent de fraîcheur à la production ; ses interventions ont d’ailleurs été reçues avec une grande chaleur par le public, particulièrement son air « C’est des contrebandiers le refuge ordinaire... Je dis que rien ne m’épouvante ». Sa maîtrise de son instrument vocal est impressionnante, surtout en ce qui a trait aux ornementations qui étaient d’une grande précision.

Suzanne Taffot (Micaela), Carmen, Orchestre classique de Montréal, 2022
Photographie: Brent Calis

De leur côté, le ténor Ernesto Ramirez et le baryton Hugo Laporte – respectivement Don Jose et Escamillo –, ont tous deux également contribué au succès de cette production. Bien qu’il ait parfois semblé un peu trop concentré, Ramirez a donné à Don Jose toute la naïveté qui lui convient et a, somme toute, très bien chanté. Ses talents de jeu ont été révélés à quelques reprises, alors qu’il se laissait aller davantage. Hugo Laporte, quant à lui, semble destiné à incarner des personnages de l’allure d’Escamillo : petit sourire en coin, torse bombé, il sait très bien se donner des airs de fier-à-bras. Le célèbre air du toréador a ainsi été interprété avec un grand respect du style et n’a pas manqué de faire rire la foule à quelques reprises.

En somme, l’OCM a relevé avec brio le défi qui découle de la production de Carmen de Bizet et nous a offert un moment musical d’exception. Boris Brott a dirigé son ensemble avec une énergie qui semblait contagieuse ; le résultat a été un accompagnement musical à la hauteur de la performance des solistes. On ne peut que regretter que ça n’ait pas été capté : je l’aurais définitivement réécouté !

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Carmen
Version abrégée de Carmen de Georges Bizet
Production : Orchestre classique de Montréal
Salle Pierre-Mercure, 8-9 mars.

INT : Julie Nesrallah (Carmen), Suzanne Taffot (Micaela), Ernesto Ramirez (Don Jose) et Hugo Laporte (Escamillo)
DM : Boris Brott
ORC :  Orchestre classique de Montréal

Production
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